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Pourquoi les linguistes sont favorables à une féminisation des noms de métiers

Les linguistes interrogés par franceinfo s'accordent pour dire que la féminisation des noms de métiers est une évolution naturelle et que l'Académie française ne pouvait pas plus longtemps s'y opposer.

Article rédigé par franceinfo - Édité par Margot Delpierre
Radio France
Publié Mis à jour
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L'Académie française a approuvé, jeudi 28 février, la féminisation des noms de métiers. (LIONEL BONAVENTURE / AFP)

L'Académie française a adopté, jeudi 28 février, à "une large majorité" un rapport sur la féminisation des noms de métiers soulignant qu'il n'existait "aucun obstacle de principe" à la féminisation des noms de métiers et de professions, car "celle-ci relève d'une évolution naturelle de la langue, constamment observée depuis le Moyen Âge", selon les académiciens. En effet, selon les linguistes interrogés par franceinfo, il semble naturel que l'Académie aille dans ce sens. 

Parce que la féminisation n'est pas une nouveauté 

"La France a été freinée par l'Académie française pendant une bonne trentaine d'année", rappelle Bernard Cerquiglini. Pour l'auteur de l’ouvrage Le Ministre est enceinte (ou la grande querelle de la féminisation des noms), paru en octobre 2018 aux éditions du Seuil, "il s'agit seulement de démasculiniser la langue, de revenir à un fonctionnement normal et naturel de la langue. La langue française, jusqu'au XVIIe siècle, féminisait largement. Ensuite, le recul des femmes dans la société s'est traduit par un recul des professions féminisées."

"La langue française n'a pas du tout besoin d'être féminisée, ajoute la linguiste Éliane Viennot, autrice de Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française, éd. iXe, 2014. Elle sait tout à fait se débrouiller toute seule."

Parce que féminiser la langue, c'est aussi lutter contre les discriminations

La langue "a longtemps reflété, au XIXe siècle, la minoration de la femme, explique Bernard Cerquiglini. À l'époque, une présidente, une préfète, une générale, une ambassadrice n'étaient que des épouses."

Dans le dictionnaire de l'Académie française, actuellement, on lit 'ambassadrice : épouse de l'ambassadeur'. C'est une vieille norme. Dans le dictionnaire usuel, on voit 'ambassadrice : personne, femme, qui représente son État auprès d'un autre État'.

Bernard Cerquiglini

à franceinfo

"On a là une crise d'identité de l'Académie française qui s'est sentie dépassée par la francophonie. L'Académie a dû se rendre compte que le français lui échappait un peu et qu'elle ne pouvait pas gérer l'usage du monde entier. Le président Macron, lors d'un discours prononcé à l'Académie française, il y a un an, a dit 'le Français s'est émancipé de la France'. L'Académie française a eu du mal à s'en rendre compte et à l'admettre. Elle le fait. L'Académie est en train de passer du XIXe siècle au XXIe siècle."

L'Académie "a toujours 50 ans de retard depuis sa naissance", assène Éliane Viennot. "Là avec 50 ans de retard, elle admet que la société française utilise de plus en plus des féminins puisque des femmes arrivent de plus en plus dans des professions qui autrefois n'étaient que masculines." "En français, contrairement à l'anglais, on utilise spontanément des noms féminins pour parler des femmes et des noms masculins pour parler des hommes, comme c'est le cas dans toutes les langues romanes, c'était le cas en latin. On est intervenu dans la langue et notamment l'Académie française depuis qu'elle existe pour condamner [la féminisation des mots]."

Parce que ce n'est qu'une question d'habitude

Si la féminisation dérange certains, c'est parce qu'"il y a un sentiment esthétique très profond dans la langue, reconnaît Bernard Cerquiglini. "Nous trouvons toujours qu'un mot nouveau, par exemple un néologisme pour contrecarrer un anglicisme, est laid. Pendant longtemps j'ai entendu dire que 'une' ministre ou 'une préfète', c'est laid."

"C'est essentiellement une question d'habitude, confirme Éliane Viennot. Le mot chancelière était inconnu des Français pendant l'été 2005, et deux mois après, tout le monde se l'était mis dans l'oreille. Aujourd'hui, on expliquerait à des gens que chancelière est impossible à utiliser et qu'il faut dire madame le chancelier, les gens éclateraient de rire. C'est exactement pareil pour tous les autres, c'est une question d'habitude. Il faut en général quelques mois pour s'habituer à un mot."

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