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Décès de Claude Lanzmann : "Il a fait naître une parole qu'on n'avait pas entendue avant"

L'historienne spécialiste de la Shoah, Annette Wieviorka réagit à la disparition du réalisateur de Shoah, le grand documentaire sur l'extermination des Juifs d'Europe.

Article rédigé par franceinfo
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Portrait du cinéaste Claude Lanzmann le 10 février 1986 à Paris. (RAPHAEL GAILLARDE / GAMMA-RAPHO)

Historienne, spécialiste de la Shoah, Annette Wieviorka a réagi, jeudi 5 juillet sur franceinfo, à l'annonce de la mort, à 92 ans, de Claude Lanzmann, réalisateur de Shoah (1985), film de référence sur l'extermination des juifs d'Europe par les nazis : "Il fait parler les gens en faisant naître une parole qu'on n'a peut-être pas entendue avant."

franceinfo : Que représente pour vous le travail de Claude Lanzmann, et en particulier son film Shoah ?

Annette Wieviorka : Shoah, ça a été un événement, parce que non seulement il faisait intervenir des survivants, des témoins et des bourreaux, mais il les faisait intervenir sur les lieux mêmes, à Chełmno, à Treblinka, à Auschwitz, donc c'est un documentaire qui à la fois montre ce qu'il reste, ou le presque rien qu'il reste, et ces gens. Et l'autre originalité, l'autre singularité de Shoah, c'est qu'il tourne au plus près de la machine de mise à mort, il ne tourne pas des survivants, j'ai envie de dire, ordinaires, il tourne ceux qui ont été dans les Sonderkommandos, ceux qui ont été dans l'insurrection du ghetto de Varsovie.

Est-ce que d'après vous, l'œil de Claude Lanzmann était l'œil d'un historien, d'un journaliste, d'un cinéaste ?

Un peu des trois. Chaque fois que j'ai un travail à faire sur un des protagonistes de Shoah, je regarde à nouveau Shoah. Les gens de cinéma, des gens comme Desplechin, des réalisateurs ont dit à quel point ce film avait compté. Et peut-être que du journaliste, il a eu ce pour quoi les historiens sont pas très bons, la capacité de faire parler les gens. La parole est toujours au centre de son documentaire et certains ont trouvé même qu'il y avait une forme de cruauté, notamment quand il interroge le fameux coiffeur Bomba. Mais effectivement, il fait parler les gens en faisant naître une parole qu'on n'a peut-être pas entendue avant.

C'était nouveau d'entendre la parole des bourreaux, et parfois malgré eux-mêmes ?

La parole des bourreaux, on l'avait beaucoup entendue aux procès, Nuremberg, Eichmann. Dans un documentaire oui, je pense que c'était nouveau. Moins nouveau peut-être, la parole des survivants parce qu'une grande partie de ceux qu'il a interrogés dans Shoah avaient témoigné au procès d'Adolf Eichmann et avaient été d'ailleurs filmés par un grand documentariste américain qui s'appelle Hurwitz.

L'avez vous rencontré ?

Oui, je l'ai rencontré. Il y a un peu un télescopage avec le décès il y a un an de Simone Veil, et sa panthéonisation, dimanche. Tous ces gens qui ont compté, qui comptent, on s'est tous retrouvés (...) dans la Fondation pour la mémoire de la Shoah, donc je l'ai côtoyé. C'était un homme puissant, c'est un homme qui a vraiment aimé la vie, qui a aimé boire, qui a aimé manger, qui a aimé les femmes et qui a imposé aussi sa vision, c’est-à-dire qu'il avait une conscience aigüe d'avoir fait un chef d'œuvre. Il était très conscient de la renaissance de l'antisémitisme et pour lui, Israël, il avait tourné ce film Pourquoi Israël (1973), Israël était pour lui capital, l'existence de l'Etat d'Israël était pour lui quelque chose de fondamental.

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