Sept questions sur les accusations d’espionnage au profit de la Russie visant un officier français
Un lieutenant-colonel en poste sur une base de l'Otan près de Naples, en Italie, est soupçonné d'avoir fourni des renseignements aux Russes. Il a été écroué fin août à Paris, a révélé dimanche Europe 1.
Des poursuites judiciaires ont été engagées contre un officier français en poste sur une base de l'Otan, en Italie. Arrêté et écroué fin août, ce militaire haut gradé est soupçonné de trahison et d'espionnage pour le compte de la Russie, a révélé Europe 1, dimanche 30 août. La radio évoque la possible intervention d'un membre du GRU, le service de renseignement de l'armée russe, pour soudoyer cet officier en poste à Naples. Franceinfo revient en sept questions sur cette affaire.
Qui est l'officier arrêté ?
Ce lieutenant-colonel de l'armée française, en poste à l'Otan, "travaille précisément au centre de commandement des forces alliées, situé près de Naples, où sont coordonnées toutes les actions stratégiques pour le sud de l'Europe", affirme Europe 1. Selon Le Monde, le commandement de l’Otan, basé à Naples, gère les opérations pour le sud de l’Europe mais également celles concernant l’Afrique, notamment la Libye. "Âgé d’une cinquantaine d’années, cet officier travaillait sur la base de Lago Patria", précise France Télévisions.
D'après Europe 1, "le suspect, père de cinq enfants, a de lointaines racines familiales en Russie, et parle couramment la langue de ce pays." Il aurait été vu en Italie en compagnie d'un homme identifié comme un agent du GRU, le service de renseignement de l'armée russe.
De quoi est-il soupçonné ?
L'officier a été mis en examen le 21 août pour "livraison d'informations à une puissance étrangère", "collecte d'informations portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation en vue de les livrer à une puissance étrangère", "intelligence avec une puissance étrangère portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation" et "compromission du secret de la défense nationale par une personne dépositaire de ce secret", a appris franceinfo de source judiciaire. L'homme a été placé en détention provisoire.
La ministre des Armées, Florence Parly, a confirmé, dimanche 30 août sur Europe 1, qu'un "officier supérieur est sous le coup d'une procédure judiciaire pour atteinte à la sécurité", en vertu de l'article 40 du Code de procédure pénale, qui impose à toute autorité publique de signaler à la justice un crime ou un délit dont elle a connaissance.
Quand a-t-il été repéré ?
Le signalement du ministère des Armées date du 22 juillet. Il a donné lieu ensuite à l'ouverture d'une information judiciaire par le parquet le 29 juillet. L'homme a été arrêté par les services de contre-espionnage, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), alors qu'il s'apprêtait à repartir en Italie à la fin de ses vacances en France. Il a été placé en détention provisoire à la prison de la Santé à Paris le 21 août, a détaillé Europe 1.
Quelles sont les méthodes des services de renseignement russes pour recruter ?
S'il a vraiment été recruté par des agents de Moscou, on ne sait pas sur quelle corde a joué le GRU, le service de renseignement russe, pour recruter l'officier en question. Mais les techniques classiques, rappelle Mediapart, sont résumées par l'acronyme anglo-saxon MICE (pour "Money, Ideology, Compromission, Ego" : l'argent, l'idéologie, la compromission, l'ego"). L'espionnage russe "aurait pris ces dernières années une ampleur telle que le ministère [des Affaires étrangères] avait jugé bon de renforcer les défenses de ses agents", détaille le site d'investigation. En 2017, les fonctionnaires du Quai d'Orsay avaient ainsi suivi une formation où les formateurs ont insisté sur le fait qu’"au rayon 'compromission' de diplomate, le recours à des prostituées serait une pratique prisée des Russes".
On peut "tenir quelqu'un par un chantage affectif, sexuel", ou encore en jouant sur sa "frustration", renchérit Pierre Conesa, spécialiste des questions stratégiques interrogé par Europe 1. Mais il souligne que les recruteurs peuvent aussi jouer sur des motivations idéologiques : "Pendant la guerre en Bosnie, un officier avait trahi car il 'souhaitait éviter la guerre'."
Pour l'Otan, dans quel contexte survient cette mise en examen ?
Ces informations surviennent alors que l'organisation transatlantique traverse une passe compliquée, malmenée par Donald Trump et les incertitudes stratégiques causées par la politique étrangère américaine, mais aussi par les tensions entre la Turquie d'un côté, la France et la Grèce de l'autre. Le président français, Emmanuel Macron, partisan d'une autonomie stratégique de l'Europe par rapport aux Etats-Unis, avait déclaré en novembre 2019 que l'Otan était en état de "mort cérébrale".
Les affaires d'espionnage impliquant des militaires français sont-elles nombreuses ?
Non. Les inculpations et condamnations de militaires pour espionnage au profit d'une puissance étrangère, principalement la Russie ou en son temps l'URSS, sont rares en France, inférieures à une dizaine depuis la guerre froide. En juillet, deux anciens agents des services de renseignements extérieurs (DGSE) ont été condamnés pour trahison au bénéfice de la Chine.
En 2001, un officier français détaché à l'Otan a été condamné pour avoir fourni en 1998 des informations à la Serbie sur les bombardements menés par l'Alliance atlantique contre ce pays lors de la guerre du Kosovo.
Que risque-t-il ?
Selon l'article 411-4 du Code pénal, cité par le Code de justice militaire (article 476-15) "le fait d'entretenir des intelligences avec une puissance étrangère, avec une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou avec leurs agents, en vue de susciter des hostilités ou des actes d'agression contre la France, est puni de trente ans de détention criminelle et de 450 000 euros d'amende".
La loi précise qu'est "puni des mêmes peines le fait de fournir à une puissance étrangère, à une entreprise ou une organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou à leurs agents les moyens d'entreprendre des hostilités ou d'accomplir des actes d'agression contre la France".
L'article suivant du Code pénal (411-5) concerne les faits "de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation". La peine est ici de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende. Enfin, selon le l'article 411-6 "le fait de livrer ou de rendre accessibles à une puissance étrangère, à une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou à leurs agents des renseignements, procédés, objets, documents, données informatisées ou fichiers dont l'exploitation, la divulgation ou la réunion est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation est puni de quinze ans de détention criminelle et de 225 000 euros d'amende".
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