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Revue stratégique d'Emmanuel Macron : "Il n'y a pas une révolution dans le changement de la doctrine militaire", selon le journaliste Jean-Dominique Merchet

Pour Jean-Dominique Merchet, le président de la République doit encore dévoiler "le nombre de milliards qui seront consacrés à la défense d'ici 2030, c'est ce que tout le monde attend".

Article rédigé par franceinfo
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Le président de la République, Emmanuel Macron, en déplacement à Toulon (Var), le 9 novembre 2022. (ERIC GAILLARD / POOL / AFP)

Les annonces d'Emmanuel Macron ne sont "pas une révolution dans le changement de la doctrine militaire", a estimé Jean-Dominique Merchet, journaliste à L’Opinion, spécialiste des questions militaires et stratégiques, mercredi 9 novembre sur franceinfo. Le chef de l'État a présenté depuis Toulon, sur la frégate Suffren, la stratégie militaire de la France pour les années à venir, et a officialisé la fin de l'opération Barkhane au Sahel. 

franceinfo : Est-ce qu'il fallait redéfinir les objectifs stratégiques de la politique de défense française à la lumière de la guerre en Ukraine ?

Jean-Dominique Merchet : Les objectifs, tels que le président Macron vient de les présenter, sont dans une grande continuité par rapport à la politique de la France depuis 20, 30, 40 ans. Ce qu'il annonce n'est pas une révolution dans le changement de la doctrine militaire. C'est surtout une adaptation. Il a d'ailleurs assez peu parlé de l'Ukraine, disant qu'il ne fallait pas préparer la défense de 2022, mais la défense de 2030. Il y a assez peu de nouveautés.

À quoi doit ressembler cette défense française en 2030 ?

On ne le saura pas tout de suite. Le discours du chef de l'Etat est un discours très doctrinal, très théorique. C'est une revue stratégique qui est l'introduction aux décisions qui vont être prises dans le cadre d'une loi de programmation militaire qui sera votée au début de l'année 2023. Là, on saura vraiment. Il y aura des milliards, des programmes qui seront lancés et d'autres arrêtés. On y verra plus clair. Là, on est dans une vision stratégique de la France, le rôle de la France dans le monde. La France doit continuer à pouvoir peser sur les affaires mondiales. On est resté dans quelque chose d'assez général qui se traduira dans les mois qui viennent par des décisions beaucoup plus concrètes.

"Evidemment, le président n'a pas dit ce que tout le monde attend depuis des mois et des mois, c'est-à-dire le montant, le nombre de milliards qui seront consacrés à la défense d'ici 2030."

Jean-Dominique Merchet, journaliste à "L’Opinion"

à franceinfo

Est-ce qu'il ne s'agit pas aussi de ne plus préparer l'armée française uniquement à des opérations extérieures ponctuelles ?

On parle beaucoup d'un retour à la guerre de haute intensité, à des engagements majeurs. C'est vrai qu'on est sorti d'une période ouverte en 2001 avec les attentats de New York et toute la guerre contre le terrorisme. L'illustration la plus manifeste de cela, c'est que l'armée française a quitté le Mali au mois d'août 2022, où elle menait une lutte antiterroriste. Et le président a annoncé aujourd'hui la fin officielle de l'opération Barkhane, l'engagement français au Mali, qui était de fait terminé depuis le mois d'août.

Est-ce qu'il s'agit de préparer une nouvelle sorte de guerre ?

Il s'agit de préparer la France à affronter de nouveaux défis, par exemple ce que l'on appelle la lutte informationnelle, l'influence, c'est-à-dire les réseaux sociaux, la désinformation. On le voit en Afrique, par exemple, où la société russe Wagner a fait beaucoup de propagande anti-française. Donc il s'agit de pouvoir résister à ça.

Il s'agit aussi de pouvoir intervenir dans d'autres champs, par exemple dans les fonds sous-marins. On l'a vu récemment avec l'attaque contre le gazoduc Nord Stream en mer Baltique. Des lieux où il ne se passait rien deviennent potentiellement des lieux d'affrontement. C'est le cas évidemment de la cyberdéfense, c'est le cas de l'espace avec les satellites.

"Donc la défense prend sans doute une forme encore plus globale qu'auparavant. Mais c'était déjà des choses connues."

Jean-Dominique Merchet, journaliste à "L’Opinion"

à franceinfo

Il y a aujourd'hui plus la réaffirmation d'une ambition française et européenne. Le président a beaucoup parlé de souveraineté européenne. Il n'en a pas moins donné un petit coup de pied à l'Allemagne sur le projet allemand de bouclier antimissile. Il a eu des mots assez durs, sans évidemment citer l'Allemagne de manière diplomatique, mais tout le monde aura compris. Au contraire, il a tendu la main plus qu'il ne l'avait fait auparavant au Royaume-Uni, annonçant un sommet franco-britannique au début de l'année prochaine. On voit une France qui a une ambition européenne, mais pas forcément toujours facile avec nos Allemands.

Est-ce que cette défense européenne est un serpent de mer ?

En quelque sorte, c'est un serpent de mer. D'autant que la guerre en Ukraine, si elle fait prendre conscience aux Européens qu'ils doivent assumer une partie importante de leur défense, et que la guerre est à nos portes, elle renforce surtout l'Alliance atlantique, surtout l'OTAN. Tout le monde a bien compris que si les Américains n'étaient pas là, les choses ne se passeraient pas comme elles se passent en Ukraine. Les Russes auraient déjà gagné la guerre. La France, dans ce cadre-là, essaie de jouer une carte. Mais elle n'a pas forcément beaucoup d'atouts dans son jeu.

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