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Enquête Où sont passés les 800 millions d’euros du plan anti-pesticides ?

Depuis 2009, près d’un milliard d’euros a été distribué pour faire baisser la consommation de pesticides. Celle-ci a pourtant augmenté de près de 15 %. Enquête sur les raisons d’un échec.

Article rédigé par franceinfo - Anne-Laure Barral, cellule investigation de Radio France
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Enquête sur le fiasco du plan Écophyto, censé réduire l’utilisation des pesticides. (WESTEND61 / WESTEND61)

En 2007, Jean-Louis Borloo, alors ministre de l’Environnement, lançait un grand projet : réduire de 50 % l’usage des pesticides, en 10 ans si possible, à travers un grand programme de subventions baptisé plan "Écophyto 2018". En conclusion du Grenelle de l’environnement, Nicolas Sarkozy s’en félicite devant les représentants des organisations agricoles. Aujourd’hui pourtant, le député socialiste de Meurthe-et-Moselle Dominique Potier fulmine : "C’est une incurie. Il y a une telle dispersion de moyens que l’on s’y perd." Dès 2014, alors à la tête d’une mission parlementaire, il constate que 361 millions d’euros ont été engloutis sans résultat.

Malgré ce constat d’échec, les financements augmentent. En 2019, la Cour des comptes tire à son tour la sonnette d’alarme. Selon elle, non seulement ce plan de réduction des pesticides va mobiliser 800 millions d’euros entre 2009 et 2021, mais 400 millions d’euros de fonds publics dépensés pour les mêmes raisons par an, se sont rajoutés à cette somme. La France aurait donc dépensé plusieurs milliards pour réduire les usages de phytosanitaires en dix ans, sans tenir cette promesse, puisqu’au contraire, leur usage a augmenté en moyenne de près de 15 %.

Évolution de l’usage des pesticides agricoles en France (moyennes triennales du nombre de doses-unités) (CELLULE INVESTIGATION DE RADIOFRANCE)

Des initiatives qui poussent à utiliser des pesticides

Pourquoi un tel fiasco ? La mise en place de réseaux de surveillance l’explique en partie. L’idée consistait à surveiller des parcelles tests afin de détecter d'éventuelles maladies ou des insectes ravageurs, pour pouvoir alerter les agriculteurs. 9,5 millions d’euros par an ont permis de mobiliser 4 000 observateurs issus de chambres d’agriculture, de coopératives, d’instituts techniques, entre autres, pour surveiller 18 000 parcelles, et éditer des dizaines de bulletins de santé du végétal. Mais le résultat, c’est qu’au lieu de réduire la consommation de pesticides, ce système d’alerte a parfois au contraire poussé à la consommation. En mars 2016, un sms envoyé par une coopérative du Centre Val de Loire indique "nombreuses captures de charançons hier dans les colzas, intervenir sous quatre à cinq jours". Ce type de message n’a pas incité les agriculteurs à se passer de produits phytosanitaires, regrettent des chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) dans un article consacré aux raisons de l’échec du plan Écophyto.

Selon certains agriculteurs, les sociétés BASF ou Syngenta profitent de ce système pour envoyer directement des mails ou des sms qui alertent sur les ravageurs. Élisabeth Borne, alors ministre de l’Environnement, avait dénoncé le dispositif et fait réduire de 20 % les subventions consacrées à ces bulletins. "On n’a jamais été contre le fait de rationnaliser le système. Il faut dire que toutes les régions n’étaient pas au même niveau", reconnaît Philippe Noyau, de l’association des chambres d’agriculture. En effet, il apparaît que les régions ayant touché le plus d’argent ne sont pas forcément celles qui ont investi le plus dans cette surveillance, ni celles qui ont le mieux réussi à baisser leur usage des pesticides. Ainsi, la chambre régionale d’Occitanie et ses partenaires ont touché plus d’un million d’euros par an, alors que l’usage des phytos a augmenté de 1 % selon les chiffres d’achats de pesticides publiés par le ministère de l’environnement entre 2013 et 2019. La Corse, qui a reçu 200 000 euros par an, a consommé 27 % de pesticides en plus entre 2013 et 2019.

Montant des subventions accordées dans le cadre du plan Écophyto en 2013. (CELLULE INVESTIGATION DE RADIOFRANCE)

Nombre de parcelles agricoles surveillées dans le cadre du plan Écophyto en 2013. (CELLULE INVESTIGATION DE RADIOFRANCE)

Les chambres d’agriculture ne sont pas les seules responsables de cette mauvaise gestion. Un rapport administratif du CGEDD (Le Conseil général de l’environnement et du développement durable) et du CGAAER (Le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux) estime que : "La coordination est insuffisante au sein de la Direction générale de l’alimentation. Les tableaux (de répartition des subventions) sont renseignés de manière hétérogène, ce qui rend peu fiable une consolidation nationale. Cette situation n’est pas satisfaisante notamment pour disposer d’éléments de comparaison sur les pratiques et les coûts dans différentes régions."

Un réseau de fermes pas toujours exemplaires

L’un des autres postes majeurs de subventions (13,5 millions d’euros par an) correspond à l’animation d’un réseau de fermes dit "Dephy". L’idée était de fédérer un réseau de 3 000 exploitants qui s’engagent à réduire leur usage de pesticides et à partager leur expérience pour servir d’exemple aux autres. Les financements versés aux chambres d’agriculture devaient permettre de rémunérer des agents et de payer des frais de mission pour animer ce réseau. Malgré des résultats très encourageants pour certains exploitants, nombre de ces animateurs étaient jeunes et inexpérimentés. "Il y a un renouvellement du personnel massif dans le réseau", explique Bertrand Omon, agronome à la chambre d’agriculture de Normandie.

À ce "turn-over" des personnels s’est ajouté un autre obstacle : "On a montré qu’il peut y avoir de beaux résultats dans ce réseau, mais on est prié de ne pas le dire trop fort", poursuit l’agronome. Bref, les bons élèves n’auraient pas été montrés comme des exemples à suivre pour inciter les autres. À la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), on reconnaît un échec. "On a manqué collectivement d’ambition", estime Hervé Lapie, secrétaire général adjoint du syndicat agricole. "Les seuls gagnants là-dedans ce sont les chambres d’agriculture par les subventions qu'on leur donne", commente une conseillère du pôle de conseil indépendant PCIA dans le Grand Ouest. "Ce n'est ni plus ni moins de la com’. Et on a financé de la com’."

Encore plus grave : des bénéficiaires de cet argent n’ont pas toujours été exemplaires dans son usage. En 2019, la Cour de discipline budgétaire et financière a condamné les responsables de cinq chambres d’agriculture pour avoir financé des syndicats agricoles. Dans le Finistère, la chambre départementale a aussi puisé dans son budget pour acheter des places de foot pour ses élus et collaborateurs. En 2016, la même chambre avait déjà provoqué l’ire des agriculteurs en finançant un voyage d’études en Afrique du Sud d’une valeur de 80 000 euros pour les élus, mais aussi leurs conjoints.

La soupe à la subvention

"Ce plan a été pensé avec une vraie logique de guichet", estime l’ex chercheuse de l’Inra Laurence Guichard. Ainsi, de nombreuses études qui ont bénéficié de subventions doublonnent. Le plan attribue par exemple plus de trois millions d’euros à une étude baptisée "Pestiriv", dont la mission est de mesurer l’exposition des riverains des vignes aux pesticides. Sauf qu'"on a déjà fait des études de ce type", remarque Xavier Reboud, chercheur à l’Inra et président du Comité d’orientation stratégique recherche et développement. "On voit bien qu’aujourd’hui on a une multitude d’études qui ne sont pas faites pour accompagner la transition, mais pour chercher des subventions", regrette Hervé Lapie, secrétaire général adjoint de la FNSEA.

Plus surprenant : des acteurs privés qui vendent des pesticides, ont aussi bénéficié de ces aides. Le groupe InVivo a ainsi bénéficié de plus 300 000 euros, pour tester des solutions visant à réduire l’usage de produits de synthèse contre les limaces. Mais dans le même temps, le groupe agricole a racheté plusieurs grosses sociétés irlandaise, brésilienne et chinoise pour devenir l’un des leaders de la distribution de pesticides dans le monde. Des acteurs, comme l’Institut français du textile et de l’habillement et le Centre technique du cuir, ont aussi obtenu une enveloppe pour travailler sur les équipements de protection des agriculteurs. Du matériel auquel on a recours justement lorsqu’on traite les récoltes. Selon des documents auxquels la Cellule investigation de Radio France a eu accès : 200 000 euros ont aussi été accordés à la FNSEA pour un jeu concours sur internet portant... sur ces équipements de protection.

Ne pas fâcher la profession

À son arrivée au ministère de l’Agriculture, Stéphane Le Foll a tenté d’instaurer un système de pénalités afin que les vendeurs de pesticides proposent davantage d’offres alternatives à l’usage de produits chimiques. Mais le dispositif a été attaqué devant le Conseil d’État par les fabricants et les coopératives. En conséquence, "le plan Écophyto II n’a jamais été appliqué", regrette Dominique Potier. Et les aides, elles, continuent. Depuis deux ans Remy Arsento, représentant SNE-FSU au conseil d’administration de l’Office français de la biodiversité, qui gère une partie des financements Écophyto, vote contre le financement de ce plan. "On n’est pas contre la réduction des pesticides, explique le délégué syndical, mais quand on continue à voter les mêmes projets qui ne portent pas leurs fruits, on se dit que cela revient un peu à gaspiller l’argent public." Son vote est cependant sans conséquence. Comme il est minoritaire au conseil d’administration, le financement du plan est encore adopté.

Seule évolution notable : une loi a imposé aux acteurs agricoles de choisir désormais entre la vente des pesticides et le conseil aux agriculteurs. Mais là encore, la plupart des acteurs ont choisi le secteur le plus rentable : la vente de produits, quitte à se passer des subventions du plan. Reste cette question : pourquoi ne pas avoir coupé ce robinet d’argent plus tôt, devant des résultats aussi décevants ? Élus et organisations non gouvernementales expliquent en chœur qu’il ne fallait pas fâcher la profession, ni décourager les bonnes volontés. "Pour un politique qui veut se faire réélire, explique Claudine Joly, membre du comité d’orientation stratégique du plan pour France Nature Environnement, il est plus facile de dire que l’on encourage les bonnes volontés". Mais financer les bonnes volontés ne suffit apparemment pas à obtenir des résultats. Même après une décennie.

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