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On vous explique pourquoi l'invasion de criquets en Afrique de l'Est fait craindre une crise humanitaire et environnementale

Les insectes s'attaquent aux cultures au Kenya, en Ethiopie, en Somalie et en Ouganda. Pour vaincre ces essaims, il faudrait épandre des pesticides sur des milliers de km2.

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Un homme traverse un essaim de criquets, le 17 janvier 2020 Ă  Samburu (Kenya). (NJERI MWANGI / REUTERS)

"Les criquets sont entrĂ©s dans le pays aujourd'hui." Après l'Ethiopie, la Somalie et le Kenya, l'Ouganda a Ă©tĂ© Ă  son tour envahi, dimanche 9 fĂ©vrier, par des essaims de criquets pèlerins. Ces dernières semaines, d'Ă©pais nuages d'insectes affamĂ©s ont fondu sur la Corne de l'Afrique, oĂą l'Organisation de l'ONU pour l'agriculture et l'alimentation (FAO) a estimĂ© qu'un seul de ces essaims couvrait une surface de 2 400 km2 – soit la superficie du Luxembourg. Franceinfo vous en dit plus sur cette invasion qui menace l'approvisionnement en nourriture de millions de personnes.

Quels sont les dĂ©gâts ?

Inoffensif lorsqu'il est solitaire, le criquet pèlerin se mue, lorsqu'un essaim se forme, en animal vorace, qui s'attaque Ă  toute vĂ©gĂ©tation verte. "Quand il est adulte, il mange l'Ă©quivalent de son poids, soit 2 grammes. Quand il y en a des milliards dans un essaim, cela fait des millions de tonnes potentiellement consommĂ©es. C'est cela qui crĂ©e de l'insĂ©curitĂ© alimentaire", explique Ă  franceinfo Cyril Piou, chercheur au Centre de coopĂ©ration internationale en recherches agronomiques pour le dĂ©veloppement (Cirad). Selon la FAO, l'essaim de 2 400 km2 est formĂ© de 200 milliards d'individus, qui consomment donc 400 000 tonnes de nourriture par jour. 

Afrique de l'Est : des criquets volants dévastent les cultures
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Capable de parcourir 150 km par jour, ces nuages d'insectes suivent les vents dominants et se concentraient fin janvier dans le centre du Kenya et la moitiĂ© sud de l'Ethiopie. Le 10 fĂ©vrier, de premiers insectes sont signalĂ©s en Ouganda et en Tanzanie. De nombreux essaims se trouvent Ă©galement Ă  la frontière entre l'Inde et le Pakistan. Deux pays, la Somalie et le Pakistan, ont dĂ©crĂ©tĂ© l'urgence nationale pour faire face Ă  la situation.

La situation des essaims, en janvier 2020, selon la FAO. (FAO)

Dans la Corne de l'Afrique, les agriculteurs avaient dĂ©jĂ  moissonnĂ© leurs champs avant l'arrivĂ©e des essaims. Mais les Ă©leveurs, qui venaient dĂ©jĂ  de subir trois annĂ©es de sĂ©cheresse, sont frappĂ©s de plein fouet par une invasion qui dĂ©truit les moyens de subsistance de leurs animaux. Si la menace des criquets n'a pas Ă©tĂ© jugulĂ©e d'ici le dĂ©but de la prochaine saison de semis, aux alentours de mars, les agriculteurs pourraient voir leurs champs anĂ©antis. Selon la FAO, l'Ethiopie et la Somalie n'avaient pas vu d'essaims de criquets pèlerins d'une telle ampleur depuis 25 ans, et le Kenya n'avait pas eu Ă  affronter de menace acridienne d'une telle force depuis 70 ans.

Comment expliquer cette invasion ?

Le criquet pèlerin, appelĂ© "criquet du dĂ©sert" en anglais, est originaire de la pĂ©ninsule arabique, de l'Arabie saoudite, d'Oman et du YĂ©men. Une zone dont les cĂ´tes ont Ă©tĂ© frappĂ©es par deux cyclones en 2018. Ces prĂ©cipitations importantes ont favorisĂ© la pousse de vĂ©gĂ©tation et créé les conditions idĂ©ales pour la reproduction des insectes. "Leur dĂ©veloppement n'a pas Ă©tĂ© arrĂŞtĂ© rapidement. Pendant toute l'annĂ©e 2019, ils ont pu se multiplier dans cette zone-lĂ . Ils ont ensuite commencĂ© Ă  envahir l'Iran, le Pakistan d'un cĂ´tĂ©, l'Afrique de l'Est de l'autre", rappelle Cyril Piou.

InterrogĂ© sur le rĂ´le jouĂ© par le rĂ©chauffement climatique dans cette crise, le chercheur estime qu'il est "un peu tĂ´t pour le dire" et rappelle que le phĂ©nomène n'est pas nouveau. Il y a eu six "invasions" – des crises d'un an et plus â€“ de criquets au XXe siècle, dont la dernière s'est produite entre 1987 et 1989. Dans un entretien au Monde, Keith Cressman, spĂ©cialiste des invasions acridiennes Ă  la FAO, fait lui le lien : "Il est certain que cette succession de cyclones est Ă  l'origine de la crise. Nous constatons depuis dix ans une augmentation de leur nombre. Neuf ont Ă©tĂ© comptabilisĂ©s dans l'ocĂ©an Indien pour la seule annĂ©e 2019. Si cette tendance se confirme, alors les infestations de criquets pèlerins dans la Corne de l'Afrique seront Ă©galement plus frĂ©quentes."

Est-il possible de lutter contre ce phĂ©nomène ?

Pour Cyril Piou, la meilleure manière de lutter contre l'insecte est de traiter prĂ©ventivement les zones de reproduction. "Cela se fait avec Ă©pandage de pesticides, gĂ©nĂ©ralement chimiques mĂŞme si on en essaye de plus en plus d'utiliser un champignon entomopathogène", dĂ©crit le spĂ©cialiste de l'insecte. Mais une fois que l'essaim est formĂ©, la tâche est bien plus ardue : il faut traiter beaucoup plus d'hectares et rĂ©pandre beaucoup plus de pesticides, par avion.

Selon lui, les crises passĂ©es se sont terminĂ©es grâce Ă  la conjonction de plusieurs facteurs compliquĂ©s Ă  rĂ©unir : de mauvaises conditions climatiques pour la reproduction, une baisse de la disponibilitĂ© des vĂ©gĂ©taux et l'application de pesticides chimiques. Faute de quoi, "le criquet va toujours trouver des endroits oĂą se reproduire. Si on le laisse faire, il va trouver d'autres zones. (...) On est en face d'une catastrophe humanitaire et environnementale du fait des Ă©pandages sur de grandes superficies", souligne l'expert.


La crise actuelle pourrait donc durer de longs mois. Fin janvier, la FAO a lancĂ© un appel pour rĂ©unir 76 millions de dollars (environ 69 millions d'euros) afin d'aider les pays concernĂ©s Ă  lutter contre l'insecte qui menace leur sĂ©curitĂ© alimentaire, mais peine Ă  rĂ©unir les fonds : seuls 15,4 millions de dollars (14 millions d'euros) ont Ă©tĂ© rĂ©coltĂ©s.

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