La Ruche qui dit oui : le business lucratif du "consommer local"
La start-up française s'exporte dans plusieurs pays européens et lève des millions d'euros auprès des investisseurs. Francetv info a mené l'enquête sur le fonctionnement de cet essaim qui veut court-circuiter les grandes surfaces.
Acheter sa viande et ses légumes auprès de producteurs locaux pour court-circuiter la grande distribution et ses marges jugées excessives. C’est pour certains le moyen de soutenir les éleveurs français en colère. D'autres y voient simplement un gage de qualité.
Entre les coopératives et les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP), les initiatives pour mettre en lien les producteurs et les consommateurs ne manquent pas. Mais, dans le monde du circuit court, un acteur a pris son envol : la Ruche qui dit oui.
"S’affranchir de l’agro-industrie"
Cette start-up parisienne repose sur un principe simple : le consommateur s’inscrit sur la plate-forme et commande ses courses en ligne directement auprès de producteurs situés à moins de 250 kilomètres de chez lui.
Viande, légumes, lait, céréales… tous les produits issus de l’agriculture locale sont disponibles. Une fois la commande effectuée, "l’abeille" (le client) choisit près de chez lui une "ruche" (le point-relais) tenue par une "abeille-reine" (un auto-entrepreneur payé par la start-up), où les producteurs livrent les paniers.
Marion, Nancéienne de 26 ans, a été séduite par le concept il y a un an. "J'avais envie de manger des bons produits, récoltés par des agriculteurs de la région." Le prix des produits est directement fixé par les producteurs. "A part les produits de saison, c'est souvent plus cher qu'en grande surface, explique-t-elle. Mais, quand mon budget me le permet, je suis prête à mettre le prix pour éviter les supermarchés." Sur le site de la Ruche, le but est clair : "Les communautés des Ruches grandissent et agissent localement pour s’affranchir de l’agro-industrie et retrouver leur liberté."
"Success story"
Pour lever des fonds et lancer leur croisade en 2011, Marc-David Choukroun et Guilhem Chéron, les deux fondateurs de la Ruche, sont allés frapper à la porte des géants de la sphère internet. Kima Ventures, le fonds d’investissement de Xavier Niel et de Jérémie Berrebi, a mis la main au porte-monnaie pour financer le projet, tout comme Marc Simoncini (Meetic) et Christophe Duhamel (Marmiton).
Depuis, la start-up a déployé ses ailes. Forte d'une colonie de 726 ruches en France, l'entreprise s'exporte désormais en Belgique, en Espagne, en Allemagne, en Angleterre et en Italie. La Ruche, agrémentée entreprise sociale et solidaire, affiche un chiffre d'affaires de deux millions d'euros pour l'année 2014 et emploie 70 personnes. En juin, elle a levé huit millions d'euros auprès de fonds d’investissements étrangers, rapporte Techcrunch. Pour le site économique, plus de doute : "La Ruche semble avoir trouvé le business modèle le plus efficace en termes de start-up alimentaire”.
Une véritable success story française. Mais comment fonctionne économiquement la Ruche qui dit oui ? Sur chaque vente, le site prélève en fait une double commission : 8,35% des ventes sont reversées à la start-up, et "l'abeille-reine", c'est-à-dire le responsable de "ruche", touche elle aussi 8,35% en tant qu'auto-entrepreneur.
"Le UberPop de l'agriculture"
Mais tout le monde ne dit pas oui à la ruche. "Ils se présentent comme une plate-forme de vente directe, mais ça ne l’est pas du tout", s'indigne Hubert Morice, paysan maraîcher et éleveur de poules dans la région de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Comme plusieurs petits producteurs, l'agriculteur milite à coups de posts de blog et de chaîne de mails contre ce qu'il appelle les "frelons parisiens".
"Ce sont des opportunistes. L’objectif, c’est de surfer sur une demande en faisant travailler des gens avec un statut précaire, sans les employer, invective Hubert Morice, qui a lancé une coopérative avec d'autres producteurs et consommateurs de la région pour vendre ses produits. La Ruche qui dit oui prend une marge alors que ce sont les agriculteurs et les responsables de ruches qui font le travail. Ce n'est rien d'autre que le 'UberPop de l'agriculture'."
"Les gens sont demandeurs de systèmes de revenus complémentaires"
Interrogé par francetv info, le directeur général de la Ruche répond : "On explique aux responsables des ruches que ce n’est pas une activité complète." Marc-David Choukroun confie avoir souffert de cette mauvaise publicité. "Certains veulent voir le côté négatif de la chose et affirment que les 'reines' sont exploitées, mais, la réalité, c'est qu'on leur offre la liberté de travailler comme ils le souhaitent. Les gens sont demandeurs de systèmes de revenus complémentaires."
Le revenu moyen d'une "abeille-reine" tourne autour de 400 euros par mois. "Ce n'est pas beaucoup. Il ne faut pas avoir de motivation financière pour tenir une ruche", assure Géraldine Fauconnier-Giacomin, qui, en plus de son emploi d’assistante maternelle, gère "pour le plaisir" deux ruches en Meurthe-et-Moselle avec sa mère. En échange d’une vingtaine d’heures de travail, les deux femmes arrivent à générer environ 250 euros par semaine.
"Les responsables de ruches et les producteurs discutent beaucoup de la marge que prend Paris, explique la Nancéienne. C’est pourtant quelque chose qui était clair et net dès le départ. S'ils ne le souhaitent pas, ils n'y participent pas. C'est tout."
"C'est toujours mieux que les grandes surfaces"
Mais quels avantages offre la Ruche qui dit oui par rapport aux AMAP qui, elles, ne prélèvent aucun pourcentage ? "La Ruche qui dit oui dispose d'un plus grand réseau que les AMAP, explique Vincent, éleveur lorrain de poules pondeuses et de vaches laitières. En revanche, l'intérêt des AMAP, c'est que la demande est régulière [en adhérant à une AMAP, le client s'engage à acheter son panier toutes les semaines]. Avec la Ruche, tout peut changer d'une quinzaine à l'autre. C'est difficile de ne pas pouvoir prévoir quand on fait de l'élevage."
Pour trouver l'équilibre, Vincent jongle donc entre les ruches, les AMAP et la grande distribution. "Cela fait beaucoup de déplacement, mais c'est comme cela qu'on s'en sort", explique-t-il.
"Les déplacements représentent un très gros poste de dépenses pour les producteurs", raconte de son côté Alice, laitière dans le Nord-Pas-de-Calais. Chaque semaine, elle livre une quinzaine de ruches parisiennes en lait et en yaourts. Cela fait loin, alors on se regroupe avec d’autres producteurs pour faire du covoiturage. Mais, pour nous, c'est toujours mieux que la grande distribution."
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