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Municipales 2020 : "Ici, les gens sont des zombies..." Bienvenue à La Grand-Combe, la ville au taux de chômage le plus élevé de France

Article rédigé par Robin Prudent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
La ville de La Grand-Combe (Gard), en janvier 2020. (AWA SANE / ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

A quelques semaines des municipales, franceinfo a analysé les données démographiques, politiques, économiques et sociales de toutes les communes françaises. Dans le Gard, la ville de La Grand-Combe, 5 000 habitants, bat le record de chômage en métropole : 40%. 

Entre les conserves de maïs doux et les paquets de macaronis à petit prix, Louisa garde le sourire. Cette mère célibataire aux cheveux bruns passe le plus clair de son temps derrière la caisse de cette petite épicerie solidaire du Secours populaire, située dans le centre-ville de La Grand-Combe (Gard). Elle s'active bénévolement pour venir en aide aux plus démunis... dont elle fait aussi partie. Sans emploi depuis de longues années, Louisa vit au RSA avec sa fille et doit faire face aux dépenses courantes avec 150 euros par mois. "Je n'ai pas de voiture, je ne peux pas me déplacer et ici, il n'y a rien, pas d'emploi", égrène la quinquagénaire sans colère, mais d'un ton désabusé.

Le chevalement du puits Ricard, un ancien charbonnage, à La Grand-Combe (Gard), le 21 janvier 2020. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Dehors, il fait froid et la pluie a fait fuir les rares passants du bourg. Le local du Secours populaire est d'ailleurs l'un des seuls "commerces" du centre ouvert ce mardi matin. La ville dort-elle encore ? Ou ne s'est-elle jamais réveillée depuis le départ des mines de charbon dans les années 1970 ? Vidée des deux tiers de ses habitants en moins de cinquante ans, la commune de 5 000 âmes détient aujourd'hui un triste record : 40% de chômage, le plus haut taux pour une ville de plus de 1 000 habitants en France métropolitaine, selon les données de l'Insee.

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Un chiffre qui désabuse les habitants et aiguise les rivalités politiques, à quelques semaines des élections municipales. "L'Etat a laissé tomber les communes minières", accuse Patrick Malavieille, le maire communiste de la ville depuis 25 ans (avec une interruption de 2001 à 2008). "C'est la chute libre, la dégringolade", brocarde son opposant Ludovic Bouix (ex-UDI), qui pointe la responsabilité de la municipalité.

Les habitants font grise mine

Cette "dégringolade", elle est visible quelques kilomètres après Alès. La Grand-Combe apparaît à travers les montagnes boisées des Cévennes. Deux édifices de l'âge d'or de la ville se dessinent dans le ciel : l'église Notre-Dame, la plus vaste du département, et le chevalement du puits Ricard, un ancien charbonnage désormais classé aux Monuments historiques. Entre les deux, les anciennes cités minières, les nouvelles barres HLM et les commerces fermés se répartissent sur le vaste territoire de la commune. "Ici, les gens sont des zombies, prévient Jérémy*, emmitouflé dans sa veste. C'est marche ou crève. Moi, je marche, je me casse." Avec son CAP maçonnerie, le quadragénaire natif du coin veut rejoindre Montpellier pour essayer de retrouver un emploi.

Les devantures de commerces fermés à La Grand-Combe, le 21 janvier 2020. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Le constat est vite dressé : avec le départ des mines, la ville a perdu l'ensemble de son équilibre économique. "C'est comme si vous preniez une station balnéaire et que vous lui enleviez la mer. Biarritz sans l'océan, il ne reste plus rien", souffle Patrick Malavieille, dans son costume tout noir. Les quelques usines qui embauchaient encore à la fin des années 1990, comme Alcatel Câbles, ont déserté à leur tour. Bilan : il n'existe aujourd'hui plus aucun gros employeur sur le territoire, à l'exception de la mairie, de la maison de retraite et des établissements scolaires.

Quand on met tous les œufs dans le même panier et que le panier tombe, tout est cassé.

Ludovic Bouix, candidat d'opposition à la mairie

à franceinfo

Ce no man's land de l'emploi est encore marqué par l'époque du charbon, où les ouvriers avaient le droit à un logement, du chauffage, des soins gratuits. Aujourd'hui, la ville est devenue un repoussoir pour les jeunes. "Ici, on se sent seul, démuni et il n'y a pas de boulot", déplore Nicolas, 28 ans, en attendant sa pizza près du camion installé sur la place principale. Ce soir-là, le snack est l'unique point lumineux du quartier et le jeune homme est simplement de passage dans sa ville d'origine. Cela fait plusieurs années qu'il n'attend plus rien des politiques et s'est  installé à Marmande (Lot-et-Garonne) pour trouver un emploi stable.

"Les politiques n’arrivent pas à redémarrer la ville"

Le cercle vicieux de la paupérisation de la commune est déjà bien entamé. Avec ce taux de chômage élevé, les revenus des habitants ont fondu. Le taux de pauvreté a atteint 39% en 2016, selon l'Insee. Et seuls 20% des ménages sont imposés. Trois fois moins qu'au niveau national. "La misère augmente chaque année, je ne l'ai jamais vue régresser et les politiques n’arrivent pas à redémarrer la ville", commente d'une voix essoufflée Jean-Pierre Espa, assis devant son modeste bureau de secrétaire général de l'antenne du Secours populaire. "L'hiver, certaines personnes doivent choisir entre se chauffer et se nourrir", raconte ce retraité massif, "tombé dans l'humanitaire comme Obélix dans la marmite".

Jean-Pierre Espa, secrétaire général de l’antenne du Secours populaire de La Grand-Combe (Gard), le 21 janvier 2020. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Il se murmure d'ailleurs qu'il y aurait autant d'acteurs sociaux dans la commune que chez la voisine Alès, pourtant huit fois plus peuplée. Ces derniers évitent de trop parler de politique pour ne pas risquer une brouille avec la mairie... mais font tous le même constat. "On est vraiment perçus comme un point noir. Tout le monde part et ceux qui restent sont à l'agonie", raconte Azzedine Maalou, figure locale du monde associatif et candidat sans étiquette aux municipales "pour se faire entendre". "J'ai vu des gens pleurer quand on a fait une distribution de colis alimentaires", se remémore le trentenaire, petit-fils de mineur algérien, intarissable sur "son" festival de rap qui réveille la ville chaque été.

Je connais beaucoup de gens qui ne mangent que des compotes ou qu'une seule fois par jour.

Azzedine Maalou, candidat d'opposition à la mairie

à franceinfo

Cette situation économique préoccupante accapare largement la campagne électorale en cours. Le maire a misé depuis des années sur une nouvelle zone industrielle, installée à coups de millions d'euros à l'entrée de la ville avec un pont flambant neuf. Mais les entreprises ne semblent pas se bousculer, malgré un prix attractif : 15 euros le mètre carré. "Le drapeau rouge est un repoussoir", grince le centriste Ludovic Bouix. Pas de quoi convaincre le maire : "Il y a peu de mairies communistes… mais il y a beaucoup de chômage en France !" rétorque-t-il, en dénonçant les "chasseurs de primes", ces entreprises qui prennent les subventions et déguerpissent au bout de quelques années.

Une ville "dortoir"

Un coup d'œil dans les vitrines des rares agences immobilières de la ville permet d'entrevoir une autre conséquence de cette débâcle : le "krach" immobilier. On tombe par exemple sur un grand appartement du centre-ville, 89 m² "à rafraîchir", pour 36 000 euros, soit environ 400 euros le mètre carré, ou encore un terrain constructible de 512 m² pour 15 000 euros, soit moins de 30 euros le mètre carré. "Tout le monde se barre d'ici. C'est une ville dortoir", se lamente Jacques, propriétaire d'un immeuble à moitié vide et candidat sur une liste d'opposition. Comme lui, ils sont nombreux à se remémorer l'époque où la ville comptait un vélodrome, un camping, un cinéma et des restaurants.

L'arrivée de nouvelles populations, attirées par les loyers très bas de la ville, cristallise aussi les inquiétudes. "Ils [l'équipe municipale en place] ghettoïsent la ville où ils règnent en maître", accuse Ludovic Bouix depuis la table de son salon. Le maire balaie ces attaques "infondées", même s'il reconnaît qu'en "concentrant les difficultés, on ajoute de nouvelles difficultés"

Impossible de trouver un nouveau médecin

Parmi ces défis récents, la question de la santé revient régulièrement. "On a des retards de prise en charge, notamment pour les soins dentaires, alerte Marie-Laure Pons, médecin depuis seize ans dans la ville. Beaucoup ont droit à des soins gratuits, mais ils ne peuvent pas aller voir des spécialistes sans voiture. Il manque une étape dans la prise en charge." Une précarité qui s'accentue avec la désertification médicale. Depuis le début de l'année, deux médecins ont arrêté de pratiquer sur la commune. Et impossible de trouver un remplaçant malgré une maison médicale flambant neuve.

Marie-Laure Pons, médecin à La Grand-Combe, le 21 janvier 2020. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Face à ces décrochages successifs, les politiques paraissent démunis. "Le maire n'est plus intéressé par la ville... La preuve, il n'est jamais là", raille son opposant de longue date Ludovic Bouix (UDI). Il faut dire que le premier magistrat cumule ce mandat avec ceux de conseiller communautaire et de conseiller départemental. "Je sais que ce n'est pas à la mode, mais heureusement que je cumule ! Sinon, je ne serais pas dans les petits papiers des collectivités pour obtenir les subventions nécessaires à la ville", se justifie Patrick Malavieille.

"Déconstruire le discours pessimiste"

Pour autant, il est un point sur lequel tout le monde s'accorde : la nécessité de changer l'image de la ville. "Quand on parle de La Grand-Combe, on est pointé du doigt", affirme Ludovic Bouix. "Dans les mentalités, La Grand-Combe est encore une ville que l'on subit, où l'on ne va pas par choix", reconnaît Patrick Malavieille, installé face à la lampe de mineur posée sur son bureau. Entre le devoir de mémoire et le besoin de renouvellement, l'équilibre est difficile à trouver. "Même ceux qui n'ont pas vécu la grande époque vivent dans la nostalgie de celle-ci", note le maire.

L'avenir de La Grand-Combe passera peut-être finalement par le réseau de solidarité qui a dû se mettre en place dans la ville. "Notre travail est aussi de déconstruire le discours pessimiste, insiste Pierre Privat, président du Service d'entraide protestant. Le rôle du groupe, de la mixité est très important pour cela. Parmi la quarantaine de personnes que l'on suit à l'année, on a décroché plusieurs contrats de travail, des formations, et on a eu des obtentions de permis."

Pierre Privat, président du Sep, et Magalie Audras, sa directrice, le 21 janvier 2020 à La Grand-Combe. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

L'antenne du Secours populaire est aussi devenue un refuge pour de nombreuses personnes isolées. Pas uniquement pour recevoir de l'aide, mais aussi pour en donner et rompre la solitude. "Avant, je ne sortais pas de chez moi, je ne parlais pas, mais là, je suis bien", sourit Louisa. Et elle n'est pas la seule, assure la trésorière de la structure, Gisèle Grandidier : "Elles veulent rendre ce qu'on leur donne !" Une lueur d'espoir pour conjurer le mauvais sort et éviter que La Grand-Combe ne devienne "la grande tombe", comme le prédit un tag inscrit à la hâte sur l'un des panneaux de la ville.

* Le prénom a été modifié

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