Le PS survivra-t-il à 2016 ?
Après une semaine de trouble à l'Assemblée nationale et le recours au 49-3, l'historien et spécialiste du Parti socialiste Alain Bergounioux s'exprime sur le risque de scission qui traverse la majorité gouvernementale.
Des fractures à nouveau exposées au grand jour. Le retour de la loi Travail à l'Assemblée nationale, mardi 5 juillet, a ravivé les tensions entre les différents courants de la gauche et du PS. Manuel Valls a directement annoncé un nouveau recours à l'article 49-3 pour faire passer en force le projet de loi de la ministre Myriam El Khomri, sans vote ni débat. Dans la foulée, des députés socialistes ont fait planer la menace d'une motion de censure contre le gouvernement. Si le projet a échoué à deux signatures près, il est révélateur des tensions qui traversent le PS, déjà vives lors du débat sur la déchéance de nationalité ou sur l'état d'urgence.
A moins d'un an de l'élection présidentielle, le Parti socialiste se retrouve embourbé dans ce qui ressemble à l'une des plus grosses crises de son histoire, explique à francetv info Alain Bergounioux, directeur de La Revue socialiste. Adhérent au PS, l'historien a également occupé de nombreuses fonctions au sein de cabinets ministériels, notamment aux côtés de Michel Rocard quand celui-ci était Premier ministre (1988-1991).
Francetv info : Recours au 49-3, tentative de motion de censure "de gauche" contre le gouvernement, menaces d'exclusion du parti pour les frondeurs... Le Parti socialiste ne serait-il pas au bord de l'implosion ?
Alain Bergounioux : Oui, il y a une tension très forte, mais on n'est pas encore dans un processus d'implosion, comme cela a pu se passer pour la SFIO en 1920 avec le congrès de Tours. Certains y pensent, notamment chez les "frondeurs". La menace d'une motion de censure, c'était un geste de mécontentement de l'aile gauche du PS. On peut considérer néanmoins que son échec, du fait des deux seules signatures manquantes [seules 56 signatures ont été recueillies sur les 58 nécessaires], est un moyen de dire que cela reste une contestation symbolique.
Mais on oublie qu'il y a également des tentations à la droite du parti ! Certains députés s'interrogent sur la démarche d'Emmanuel Macron avec son mouvement "En marche". On est vraiment dans une période d'incertitude. Mon sentiment, après une semaine d'hommage à Michel Rocard, c'est qu'il y a une leçon à tirer de son parcours. Quelles que soient les critiques qu'il pouvait adresser, lui est resté fidèle toute sa vie au PS.
Ce qui se passe à l'heure actuelle est bien plus grave, et ne touche pas que le PS. C'est tout le clivage droite-gauche, qui est complètement perturbé avec l'extrême droite et l'essor du populisme. Toute une partie des classes populaires ne vote plus à gauche désormais.
Aujourd'hui, on se retrouve dans un processus de fragmentation du Parti. Mais les députés sont conscients qu'il est très difficile de reconstruire une autre force politique.
Pourquoi les frondeurs n’ont-ils pas réussi à aller au bout de leur démarche ?
Certes, ils n'ont pas réussi à déposer une motion de censure à l'encontre du gouvernement, mais la question qui se pose est de savoir s'ils le voulaient vraiment. Les frondeurs ne peuvent pas déposer une motion de censure à l'encontre du gouvernement, risquer de se faire exclure du PS et, parallèlement, vouloir s'imposer dans la primaire, comme c'est le cas du député Benoît Hamon ou de la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann.
Les frondeurs savent très bien qu'ils n'ont pas intérêt à quitter le PS avec les législatives à venir. Ils ont besoin du parti pour conserver leurs mandats. Les élections restent un facteur de rassemblement, peut-être pas particulièrement sincère, mais ils n'ont pas le choix.
Selon Le Canard Enchaîné, Emmanuel Macron annoncerait sa candidature pour la présidentielle...
En ce qui concerne Emmanuel Macron, on ne peut pas être dans une stratégie d'affirmation et de rupture comme il l'est sans poser quelques actes. Mais, malheureusement, il ne s'inscrit pas dans une stratégie de rénovation de la gauche, le "ni de droite, ni de gauche", ce n'est pas rocardien, ce n'est pas rassembleur. Sa démarche doit être explicitée. Maintenant, il faut qu'il apporte des réponses.
Le PS a-t-il déjà traversé de telles crises par le passé ?
Le PS est très régulièrement enterré, mais je pense qu'il faut pondérer ces analyses. Je vais citer Mark Twain, dont un journal avait annoncé la mort, qui avait répliqué : "L'annonce de ma mort est tout à fait prématurée." Car le PS a déjà traversé des crises très graves et a failli disparaître à de nombreuses reprises, en 1920, en 1940, en 1985...
Sous la Ve République, après les élections législatives de 1993, il n'y avait plus que 52 députés socialistes. Le PS subit de plein fouet les dissensions à l'intérieur du parti. A la suite des résultats, Laurent Fabius, alors premier secrétaire, est contraint de démissionner. Michel Rocard est nommé à sa place mais se retrouve confronté à l'opposition des soutiens de Laurent Fabius... François Mitterand est également sous le feu des critiques après la nomination de Bernard Tapie au gouvernement... Bref, le PS a déjà connu des périodes particulièrement troubles !
Et comment le parti s'était-il alors reconstruit ?
Lors des élections présentielles de 1995, à la surprise de tous, Lionel Jospin est arrivé à la tête du premier tour devant Jacques Chirac et Edouard Balladur. Au second tour, avec ses 47%, il est apparu de nouveau comme une force incontournable. Et l'opposion fédère. Le Parti a donc réussi à se reconstruire facilement. La preuve, il remporte les élections législatives de 1997 !
Donc les élections présidentielle et législatives devraient réussir à rassembler les différentes écuries au sein du PS ?
Je ne pense pas. La configuration politique est complètement différente. Là, on voit bien que ça va être complexe. En 1995, on n'était pas dans l'inconnu comme actuellement. On verra bien le paysage politique à la fin de l'année, mais on est dans une période très délicate.
Ce qui se passe à l'heure actuelle est bien plus grave, et ne touche pas que le PS. C'est tout le clivage droite-gauche, qui est complètement perturbé avec l'extrême droite et l'essor du populisme. Toute une partie des classes populaires ne vote plus à gauche désormais. On a vu ce phénomène de défiance intervenir lors du traité de Maastricht et revenir à la face du PS en 2002 avec l'échec de Lionel Jospin lors de la présidentielle. Les choses se sont aggravées depuis. Mon sentiment, c'est que le PS traverse une de ses plus grosses crises, mais comme toutes les familles politiques.
Alors, comment le parti pourrait-il survivre et être encore présent en 2017 ?
Il faut un projet, être à peu près clair sur une ligne politique, un homme ou une femme qui puisse rassembler, une alliance entre différents courants... Ce sont des conditions essentielles, mais on en est loin actuellement. On verra bien du coup ce qui se passera en 2017 avec les élections présidentielle et législatives... Est-ce que François Hollande sera candidat, comment se passeront les primaires à droite ? Cela fait beaucoup trop d'inconnus pour se prononcer. Une chose est sûre, l'avenir est incertain.
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