De Sarkozy à El Khomri, comment la chanson "On lâche rien" est devenue l'hymne des manifs
Alors que le titre phare du groupe HK et les Saltimbanks devrait résonner à nouveau, mardi 17 et jeudi 19 mai, lors des manifestations contre la loi Travail, francetv info revient sur le destin de ce morceau emblématique des manifs en France.
Lorsqu'on entend les premières notes de cet air reconnaissable entre tous, c'est généralement qu'on ne se trouve pas trop loin du camion sono d'un syndicat ou d'un parti de gauche, et que l'air fleure bon la merguez et l'oignon grillés. Depuis plus de cinq ans, On lâche rien, titre phare du groupe HK et les Saltimbanks, rythme toutes les manifestations de gauche en France, et notamment celles organisées depuis le début de l'année contre la loi Travail.
Pourtant, quand Kaddour Hadadi, alias HK, a composé le morceau début 2010, "dans [s]on cagibi, au cinquième étage d'un immeuble de Roubaix", le chanteur-compositeur n'aurait "jamais imaginé" que le morceau allait connaître une telle destinée. "On était en pleine période Sarkozy, raconte à francetv info le musicien aujourd'hui âgé de 40 ans. Il se pavanait en disant des trucs comme 'quand y a une grève aujourd'hui en France, plus personne ne s'en aperçoit'."
Sarkozy ridiculisait des smicards, qui font grève parce qu'ils n'ont pas d'autres choix. Alors que lui ne sait pas ce que c'est que de ne pas pouvoir se payer un steak. Ça m'avait outré, et j'ai écrit cette chanson comme un coup de poing, en même pas vingt minutes.
Chanté sur un air métissé, enjoué et un brin mélancolique, le texte dépeint la vie de ceux qui "sont pas nés dans un palace". Il vise "nos dirigeants" qui "sont des menteurs", "les patrons millionnaires" mais aussi la République "qui se prostitue sur le trottoir des dictateurs", alors qu'"on jette des miettes aux prolétaires" et qu"'il est l'heure de remettre a zéro les compteurs".
A cette époque, le groupe – un rappeur entouré d'un accordéon, d'une guitare, d'une basse et d'une batterie – est en train de préparer son premier album. Pour se faire connaître et "pour le symbole", HK et les Saltimbanks met la chanson en téléchargement libre sur sa page Facebook, le 1er mai. Le titre passe sous le radar des radios, mais tourne tout l'été dans les milieux altermondialistes.
"Une révolte joyeuse et en mouvement"
En octobre, quand commencent les premières manifestations contre la réforme des retraites, des syndicats balancent la chanson dans les haut-parleurs de leurs camions sono. Les manifestants accrochent immédiatement : "J'étais à Lille, en train de manifester comme n'importe qui, quand on a vu un type remonter le cortège en hurlant 'On lâche rien, walou !' On s'est dit qu'il se passait un truc", se souvient le chanteur.
Alors que le mouvement contre les retraites prend de l'ampleur, HK et les Saltimbanks veut amener sa pierre à l'édifice. Le groupe joue On lâche rien en live, et en profite pour enregistrer son clip, dans le cortège de la grande manifestation parisienne du 6 novembre 2010. "Il pleuvait des cordes, ça aurait pu être triste à mourir, mais les gens étaient joyeux et dansaient avec leurs parapluies, raconte Kaddour Hadadi. C'est ça cette chanson, une révolte joyeuse et en mouvement. C'est peut-être pour ça qu'elle a autant résonné, mais aussi parce qu'elle est brute et sans concession."
Malgré la mobilisation, la réforme des retraites est adoptée. Mais le morceau, lui, s'est bel et bien fait une place dans la playlist des manifestations, au milieu du Chant des Partisans des Motivés, de 1000 cœurs debout de Cali, de Hasta Siempre et de Bella Ciao. Si bien que HK et les Saltimbanks ne contrôle plus vraiment son morceau. "C'est quelque chose qu'on a dû accepter très vite, explique le chanteur. On a décidé de faire confiance au texte, qui est très explicite, et on l'a laissé vivre sa vie."
Rapidement, la campagne présidentielle de 2012 se prépare, et plusieurs candidats s'entichent d'On lâche rien. Le NPA le diffuse pendant ses meetings et son candidat, Philippe Poutou, termine ses discours avec ce slogan. Jean-Luc Mélenchon, champion du Front de gauche, en fait carrément sa chanson officielle de campagne, et le groupe se produit lors de son grand meeting à la Bastille en mars 2012. "On était présents un peu partout à gauche, même chez EELV, reconnaît Kaddour Hadadi. Mais c'est notre sphère politique, donc ça ne nous posait aucun souci, d'autant qu'on était sollicités par les militants de base."
Le morceau presque récupéré par La Manif pour tous
S'ils tiennent à n'être attachés à aucun parti, les membres du groupe se revendiquent comme des "pacifistes altermondialistes" et veillent à ce que leur chanson ne serve pas des causes opposées aux leurs. Après la présidentielle, des opposants au mariage homosexuel ont notamment repris leur chanson, "On lâche rien" étant devenu le slogan de La Manif pour tous. "On a eu deux cas de vidéos qu'on a dû faire retirer sur internet, parce que ça ne nous correspondait pas du tout. On leur a quand même demandé s'ils avaient bien écouté les paroles..."
Laissant leur "tube" à son destin, sans en retirer aucun profit pécuniaire selon eux, les membres de HK et les Saltimbanks ont continué leur route, participant parfois à des luttes, comme la défense des ouvriers des usines Continental et Goodyear ou encore la cause des réfugiés. Leur dernier album, Rallumeurs d'étoiles, sorti en avril 2015, reste dans cette veine de la chanson engagée. Sans surprise, la loi El Khomri, l'utilisation du 49.3 et le penchant libéral du gouvernement sont également dans leur viseur.
Comme une majorité de Français, on n'a pas envie de laisser passer tout ça. On a un vrai problème de démocratie, on doit revenir à une démocratie réelle. A l'image de ce qu'on voit à Nuit Debout, il est temps que de nouvelles formes d'espérance émergent, et que tout ne passe pas que par le politique. Je signerais tout de suite pour un Podemos à la française.
Ce mouvement "de convergence", qui réunirait toutes les composantes de la gauche contestataire, pourrait alors naturellement faire de On lâche rien son hymne rassembleur. Une chanson dont son auteur se dit toujours "super fier" du contenu et du destin, et qu'il "assume totalement" : "Pour moi, c'est une sorte de profession de foi. Et puis je me dis que notre musique vient de la rue, et que c'est normal qu'elle y retourne."
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