Reportage "On est entièrement d'accord" : au Salon de l'agriculture, Les Ecologistes veulent faire oublier le désamour à leur égard

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
Marine Tondelier, secrétaire nationale du parti Les Ecologistes, le 1er mars 2024, au Salon de l'agriculture. (ALEXANDRE BRE / AFP)
Souvent pointés du doigt, les élus écologistes ont passé la journée de vendredi dans les allées du Parc des expositions. L'occasion d'écouter les revendications et de partager des idées pas si controversées.

"C'est qui ? Une ministre ?" Enveloppée par une nuée de caméras et de micros, la tête de liste des Ecologistes aux élections européennes, Marie Toussaint, et la cheffe de file du parti, Marine Tondelier, se dirigent vers l'enclos d'Oreillette, la vache "égérie" du 60e Salon de l'agriculture. Les visiteurs s'écartent, surpris par cet essaim humain. "Non, je crois que c'est Beyoncé", blague un jeune homme à l'oreille de son amie qui lui répond d'un coup de coude. Sur la pointe des pieds, la vue est meilleure. "Alors ? C'est qui ?" Verdict : "Hum... Non. Je connais pas."

Après la visite houleuse d'Emmanuel Macron, le déplacement riche en selfies de Jordan Bardella (RN), l'excursion gourmande de Fabien Roussel (PCF), l'accueil chaleureux à Edouard Philippe (Horizons) ou encore les plus discrètes promenades de Raphaël Glucksmann (PS) et de François-Xavier Bellamy (LR), la délégation écologiste a arpenté vendredi 1er mars les allées du Salon de l'agriculture. L'occasion de présenter ses idées et surtout ses visages. Car si peu identifient les représentants écolo parmi les visiteurs, la profession en crise a fait d'une écologie désincarnée son épouvantail.

"Les micros sont enfin tournés vers nous"

"Prenez ma carte !" Marine Tondelier ne manque pas une occasion. Un éleveur, des étudiantes, un représentant des salariés agricoles... S'il est d'usage dans ce genre de salon de vouloir attirer l'attention des personnalités politiques, aujourd'hui, ce sont les personnalités politiques qui font le premier pas. "Tout le monde a toujours parlé de nous sans jamais nous poser la question de savoir ce qu'on propose", estime Benoît Biteau. Député européen et éleveur en Charente-Maritime, l'homme à la barbe et à la queue de cheval se réjouit qu'avec le mouvement agricole de janvier, "les micros se sont enfin tournés vers nous".

"A force de décrier l'écologie, nos détracteurs nous ont donné l'opportunité de nous défendre et de partager notre projet pour l'agriculture."

Benoît Biteau, député européen écologiste

à franceinfo

Son look reconnaissable s'avère efficace, à en croire les murmures dans les allées : "Mais si ! C'est l'écologiste, là. Le monsieur barbu de la télé !"

Tous les prétextes sont bons pour Marine Tondelier, qui attrape par l'épaule Marie Pochon. "Elle est députée de la Drôme", lance la patronne du parti écologiste à un agriculteur de Rhône-Alpes qui propose à l'assemblée quelques morceaux de fromage en provenance d'Isère. "Ça tombe bien, on a des députés d'Isère ici", poursuit-elle dans un mouvement de tête en direction de Cyrille Chatelain, à la tête du groupe écologiste à l'Assemblée nationale. En cheffe d'orchestre, Marine Tondelier distribue la parole et les parts de fromage. Car si les écologistes martèlent qu'ils sont "les meilleurs alliés de l’agriculture française", ils se décrivent aussi comme "les boucs émissaires" de la crise agricole.

"C'est plus facile de nous pointer du doigt que de remettre en question 30 ans de politique ultra-libérale."

Benoît Biteau, député européen écologiste

à franceinfo

Il est 10 heures du matin et "le monsieur barbu de la télé" veut montrer "sa" vache, amenée par son fils sur le Salon de l'agriculture. Pourtant, quelques minutes plus tard, devant le stand d'Interbev, l'interprofession du bétail, le groupe essuie la réflexion cinglante d'un homme en doudoune sans manche : "C'est Les Ecologistes ? Alors eux, ils n'ont jamais vu le cul d'une vache."

"C'est un dialogue de sourds"

La déambulation se poursuit et croise la route d'Alexis Picarougne. Depuis le début du Salon de l'agriculture, l'éleveur interpelle les politiques sur la situation que traverse la profession. Face à Marie Toussaint, l'homme déroule la longue liste des revendications portées depuis plusieurs semaines par nombre de ces confrères. "Il faut arrêter de dire que les agriculteurs sont des pollueurs", implore-t-il. Marine Tondelier s'offusque : "Ah ! Ça, ce n'est pas nous ! Je sais qu'on nous fait beaucoup dire ça, mais ce n'est pas le cas." Pourtant, le cliché est tenace. "Nous sommes même les seuls qui, dans les mairies que nous dirigeons, respectons la loi Egalim, de sorte que la commande publique bénéficie à nos agriculteurs", poursuit-elle, face à l'agriculteur perplexe. "A mon sens l'Ecologie n'est pas un parti politique, c'est une science", tranche-t-il.

Plus tard, au stand de la FNSEA, Hervé Auburtin, céréalier et éleveur en Moselle, peine à croire lui aussi les écologistes : "On ne peut pas discuter", estime-t-il. Qu'importe qu'une discussion soit justement en cours, derrière les portes coulissantes du stand, entre les représentants du parti et ceux du syndicat majoritaire. "Ça ne va rien donner", souffle-t-il. S'il estime que "les contraintes" et "l'écologie punitive" alimente ce désamour, il constate aussi que la méfiance ne date pas d'hier entre ces deux groupes qui se partagent le statut de défenseur du vivant. A 50 ans, "cela fait trente ans qu'on dit qu'avec les écologistes, c'est un dialogue de sourd", continue l'agriculteur, attaché à cette formule chère au syndicat : "Les agriculteurs sont les véritables écologistes." 

"Planter des haies, réduire les produits phyto, faire une partie en bio... Tout ça, je le fais sur mon exploitation. Ils pensent nous apprendre des choses, mais tout ça on le fait déjà", poursuit-il, loin d'y voir une possible convergence. La défiance est-elle un principe ? Une habitude ? Marie Toussaint écoute davantage qu'elle ne parle. Souvent, elle acquiesce, notamment quand ses interlocuteurs évoquent le problème des clauses miroirs, les accords de libre-échange ou le non-respect de la loi Egalim.

Mais les points communs se heurtent aux clichés. Y compris face aux élèves d'un lycée agricole qui vantent les mérites des bovins nourris à l'herbe, des circuits courts et de la transformation du produit à la ferme. "C'est une révolution que portent ces jeunes", sourit Benoît Biteau, ravi. "Rendez-vous compte, ils donnent de l'herbe à un herbivore !" Après l'accolade, l'un d'eux se permet toutefois un bémol. "Oui, il faut de l'écologie. Mais il faut préserver l'économie aussi. On peut mettre toute l'écologie qu'on veut, si ça ne suit pas sur l'économie, alors ça ne peut pas fonctionner." "Mais nous sommes entièrement d'accord", assure la candidate aux européennes. Certes, dans le Salon de l'agriculture, on connaît bien l'écologie, mais les mythes entourent encore le discours des écologistes.

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