Crise en Guyane : "La réponse simplement financière ne suffira pas"
Pour la politologue spécialiste des Outre-mer Françoise Vergès, la réponse à la contestation sociale en Guyane ne peut pas seulement être financière. Elle estime que la prise de conscience de la population est "plus profonde".
Alors que les négociations ont été suspendues pour la nuit en Guyane dimanche 2 avril, après que le gouvernement a proposé un plan d'urgence d'un milliard d'euros pour mettre fin à la contestation sociale depuis une dizaine de jours, la politologue et historienne Françoise Vergès a estimé, sur franceinfo, que la réponse à cette crise ne devait pas être uniquement financière. Pour la spécialiste des Outre-Mer, le gouvernement français hérite d'une situation consécutive à plusieurs décennies d'abandon de la Guyane.
franceinfo : Le plan de plus d'un milliard d'euros ne semble pas suffire à calmer la colère des Guyanais ? Est-ce parce qu’il n'est pas à la hauteur du sentiment d'abandon de ces Français d'Outre-mer ?
Françoise Vergès : Non seulement ce plan n'est pas à la hauteur de ce sentiment d'abandon, mais il n'est pas non plus à la hauteur des retards structurels qui se sont accumulés depuis des décennies, et dont ce gouvernement hérite. Près de 90% des terres en Guyane sont la propriété de l'État, qui ne paye aucune taxe foncière. Par conséquent, les communes ne reçoivent rien. Vous imaginez le nombre de problèmes que cela a pu créer au cours des dernières décennies ? Il est donc certain que la question est très profonde et que le sentiment d'abandon et de non-développement est très, très fort chez les Guyanais.
Faudrait-il doubler, voire tripler cette enveloppe d'un milliard d'euros ?
Je pense que la question qu'ils posent est celle d'un statut. Les Guyanais veulent pouvoir décider où va l'argent, comment il va être utilisé et pourquoi. C'est une revendication de plus en plus importante. Il ne s'agit pas seulement d'une enveloppe. La prise de conscience de la population devient de plus en plus profonde. On voit que les différentes communautés qui habitent la Guyane sont là. Il y a une très forte cohésion. Face à cette lame de fond, la réponse simplement financière ne suffira pas.
Quand la ministre des Outre-mer parle de combler un "retard considérable" en matière d'éducation, elle reconnaît quelque part la défaillance de l'État français dans ce territoire ?
La défaillance est totale : plus de 50% des enfants quittent l'école en Guyane avec le niveau de l'école primaire. Qu'est-ce que vous faites dans le monde aujourd'hui avec le niveau du primaire ? Il manquerait une centaine d'écoles... L'Histoire, la culture et les langues de Guyane ne sont toujours pas enseignées. La France a beaucoup de mal à développer un enseignement adapté à ses territoires. La question est : "quand est-ce que le monde politique français se confrontera à cette profonde question d'un territoire, la Guyane, issu de la colonisation, de l'esclavage et du post-esclavagisme ?" Sur le plan économique, il est absurde que 90% des produits viennent toujours de la France hexagonale. La Guyane est située entre le Brésil et le Suriname, ce n'est pas à côté du Limousin ! Il faut penser la question du développement culturel, économique et linguistique de la Guyane dans les Caraïbes, en Amérique du Sud. Les règles européennes appliquées là-bas sont pensées par des experts pour l'Europe. Or la Guyane n'est pas en Europe au sens géographique du terme.
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