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Camaïeu, Gap France, San Marina... On vous explique la crise que traversent de nombreuses enseignes de prêt-à-porter

Plusieurs marques françaises, souvent emblématiques du milieu de gamme des années 1980 et 1990, ont souffert des conséquences de l'inflation et du Covid-19. Elles paient aussi leur manque d'adaptation aux nouveaux modes de consommation.
Article rédigé par Mathilde Goupil
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Les modes de consommation de prêt-à-porter ont évolué et de nombreuses enseignes françaises ont échoué à s'y adapter. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)

Les rues commerçantes font triste mine. La liste des enseignes de prêt-à-porter françaises mal en point ou obligées de mettre la clé sous la porte n'en finit plus de s'allonger. Mercredi 1er mars, la société Wilsam, détentrice des 20 magasins franchisés de l'enseigne Gap France, a été placée en redressement judiciaire. Le 20 février, c'est le chausseur San Marina qui a été placé en liquidation judiciaire après 42 années d'activité, entraînant dans sa chute quelque 650 salariés.

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Ces dernières semaines, d'autres marques de l'habillement et de la chaussure ont fait des annonces similaires : André, Go Sport ou encore Kookaï ont été placées en redressement judiciaire depuis le début de l'année. Fin septembre 2022, la liquidation de Camaïeu, menant au licenciement de plus de 2 000 salariés, avait déjà frappé le secteur. En mai, c'est l'enseigne Pimkie, en difficulté depuis près d'une décennie, qui avait déclaré chercher un nouvel acquéreur. 

Des "chocs à répétition"

Comment expliquer ces annonces en cascade ? Mouvement des "gilets jaunes", crise sanitaire, inflation… L'industrie du vêtement et de la chaussure a subi des "chocs conjoncturels à répétition" ces dernières années, observe Philippe Moati, professeur d'économie à l'université Paris Cité. Les fermetures forcées le samedi en raison des manifestations puis le paiement des loyers durant les confinements, alors que les rideaux étaient baissés, ont "dégradé la situation financière des entreprises", souligne l'économiste. Les aides par l'Etat ont bien "eu un effet de mise sous perfusion", permettant aux enseignes en difficulté de prolonger leur survie, relève Yohann Petiot, directeur général de l'Alliance du commerce, mais ces subsides ont désormais disparu.

Dans ce contexte, l'inflation a pu donner le coup de grâce. "Il y a l'augmentation du coût de l'énergie, des loyers et salaires" mais aussi "le remboursement des prêts garantis par l'Etat souscrits pendant la crise du Covid-19, ce qui réduit encore la rentabilité des commerces", détaille auprès de l'AFP Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos, fédération du commerce spécialisé. "A cause de la hausse des prix, les ménages perdent du pouvoir d'achat et sont obligés d'arbitrer dans leurs dépenses", au détriment de l'habillement, relève aussi Philippe Moati.

"L'habillement est un marché saturé : on a déjà des vêtements, on est rarement sur du premier équipement. Ce sont donc des achats qui peuvent facilement être reportés."

Philippe Moati, économiste

à franceinfo

En 2022, le chiffre d'affaires du secteur était ainsi en recul de plus de 4%, par rapport à 2019, année de référence pré-Covid, selon l'Institut français de la mode. Une morosité appelée à durer : huit Français sur dix comptent réduire leurs dépenses d'habillement en 2023, selon une étude menée par le cabinet de conseil Wavestone. 

Un secteur en difficulté depuis quinze ans

Pour autant, les difficultés du secteur ne sont pas nouvelles, relèvent les experts interrogés par franceinfo. Les Français dépensaient 2,8% de leur budget en 2018 pour s'habiller et se chausser, contre 3,4% dix ans plus tôt, selon l'Insee. Et malgré cette tendance à la baisse constatée depuis la fin des années 2000, "l'offre a continué de se développer, en créant des surcapacités par rapport à la demande", analyse Philippe Moati. A l'aube du XXIe siècle, le nombre d'acteurs du secteur de l'habillement a en effet explosé, avec l'irruption, en France, de géants internationaux du milieu de gamme, comme Zara, H&M ou Primark, rappelle à franceinfo Gildas Minvielle, directeur de l'Observatoire économique de l'Institut français de la mode. Parmi leurs atouts : des emplacements stratégiques, des surfaces de vente très importantes et un rythme de renouvellement des collections soutenu. Parallèlement, les déstockeurs, comme Action ou Zeeman, se sont multipliés, tandis que les enseignes alimentaires à bas prix, telles Lidl ou Aldi, se sont aussi mises à vendre des vêtements. 

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En face, les chaînes françaises (Pimkie, Camaïeu...), centrées sur la mode féminine, avaient réussi à s'imposer dans les années 1990 et 2000 "en prenant des parts de marché aux détaillants indépendants multimarques, grâce à des prix plus accessibles", souligne Gildas Minvielle. Mais sans avoir "de stratégie très innovante". Or, "sur un marché saturé, il faut être capable de vendre un produit, mais aussi de l'image, une identité, des signes, des valeurs", avance Philippe Moati. Ce que les spécialistes appellent "l'immatériel" et qui permet aux marques de se distinguer. "Retravailler l'offre de produit, le concept des magasins, penser une stratégie pour les réseaux sociaux…Cette obligation de "recréer une désirabilité" coûte cher, selon Yohann Petiot. Mais la capacité à investir des chaînes traditionnelles est souvent grevée par un fort endettement lié à l'ouverture de "centaines de magasins" dans les années 1990 et 2000, rappelle Céline Choain. 

Un modèle de consommation à bout de souffle

Outre une concurrence accrue, le secteur a aussi dû faire face à l'évolution des modes de consommation. "Avant internet, c'était votre implantation géographique, et donc la fréquentation de votre magasin, qui construisait votre chiffre d'affaires. Aujourd'hui, une part de plus en plus importante de nos ventes se fait sur le web", détaille Yohann Petiot, de l'Alliance du commerce. En 2021, 21% des ventes de vêtements ont eu lieu en ligne, contre seulement 6% en 2009, selon une étude publiée par l'IFM et le panéliste Kantar en mai.

"Les détaillants classiques ont souvent sous-estimé le modèle du e-commerce, en y allant trop tard et de manière plan-plan."

Philippe Moati

à franceinfo

A l'inverse, d'anciennes et de nouvelles marques ont réussi le pari du web, en renonçant aux boutiques physiques (Zalando, Sarenza, Veepee, Asos...). D'autres acteurs ont développé un ton particulier (Le Slip français), ciblé une clientèle très précise (les jeunes pour le Chinois Shein, par exemple) ou trouvé un concept fort (la marque française Veja et sa "basket écologique"), relèvent les experts interrogés par franceinfo.

Enfin, nombre d'enseignes ont loupé le virage de la "seconde main". Ce marché, entretenu par l'inflation et la conscience écologique d'une partie de la clientèle, représentait 6 milliards d'euros en France en 2022, contre un milliard seulement en 2018, selon l'Institut français de la mode. "Maintenant, toutes les enseignes tentent de s'y mettre, mais c'est trop tard, la place est prise par Vinted, Facebook Marketplace ou Le Bon Coin", estime Philippe Moati, qui souligne l'existence d'une prime aux acteurs déjà bien installés. "Plus votre plateforme fonctionne, plus elle est attractive, car les acheteurs et les vendeurs veulent un endroit qui regroupe du monde." 

Les chaînes historiques en difficulté subissent un "effet sablier", résume Céline Choain : le bas de gamme et le haut de gamme réussissent, tandis, qu'au milieu, les enseignes ont davantage de mal à se distinguer et à résister. Pour autant, le secteur du prêt-à-porter est loin d'avoir dit son dernier mot. "Le modèle du centre commercial et de la rue commerçante avec toutes les boutiques à la queue leu leu est en train de s'essouffler, reconnaît Philippe Moati. Mais les enseignes qui disparaissent aujourd'hui laisseront la place à d'autres et à un nouveau mode de consommation."

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