: Enquête franceinfo Hausse des prix des carburants : découvrez sur notre carte à combien s'élève la facture des trajets domicile-travail des Français
L'addition moyenne approche des 100 euros mensuels. Visualisez sur notre carte l'effet de la flambée des prix des carburants sur le coût des allers-retours entre le domicile et le travail des Français.
Il n'aura pas fallu longtemps. Les Français ressentent déjà les conséquences de la guerre en Ukraine sur les factures de leurs pleins de carburant. L'invasion lancée par la Russie, le 24 février, a provoqué un boom des cours du pétrole. L'effet est particulièrement fort sur le prix du gazole, dont la Russie est un important exportateur. Résultat, pendant le week-end du 12 et 13 mars, la plupart des panneaux des stations-service affichaient des tarifs supérieurs à 2 euros par litre.
Pour mesurer les répercussions de ces hausses sur le quotidien des Français, franceinfo a calculé le coût moyen en carburant d'un mois de trajets domicile-travail (voir la méthodologie à la fin de l'article). Ces allers-retours "représentent près de 30% des déplacements en voiture des Français", selon l'économiste Frédéric Héran.
Ces calculs sont établis en fonction des communes de résidence des actifs, de manière à faire ressortir les disparités entre les territoires. Le résultat, visible sur la carte ci-dessous, montre la différence, en euros, du coût d'un mois de trajets domicile-travail, entre 2022 et 2021, pour les actifs de chaque commune de France métropolitaine. Partout, ces dépenses mensuelles de carburant sont en hausse et la moyenne nationale approche des 100 euros, au 14 mars. La différence sur un an dépasse 36 euros dans la moitié des communes de l'Hexagone et de la Corse. Elle franchit 46 euros dans 20% d'entre elles.
Le périurbain lointain subit de plein fouet la hausse
C'est à une quarantaine de kilomètres des centres urbains que se concentrent les communes les plus touchées par la hausse des prix des carburants. Le phénomène est bien visible autour de Toulouse, Bordeaux, Lyon et Strasbourg. En témoignent les cercles rouges qui entourent ces villes sur notre carte.
La commune de Belin-Béliet (Gironde), qui compte un peu plus de 5 000 habitants, est un bon exemple. Dans cette petite ville, la voiture est utilisée par plus de 90% des actifs pour aller travailler et la moitié des habitants roulent au moins 80 km aller-retour par jour pour ces trajets. Cela s'explique par l'attraction de l'agglomération bordelaise, située à 50 kilomètres mais accessible en 50 minutes par l'autoroute. En outre, 71% des habitants conduisent un véhicule diesel, carburant dont le prix a augmenté plus vite que l'essence. Résultat, le budget mensuel en carburant a bondi de 69 euros sur un an, plaçant la commune parmi les 3% enregistrant la plus forte hausse.
"Ces communes situées à une quarantaine de kilomètres des grandes villes sont en fort développement, détaille Bernard Jullien, économiste des transports à l'université de Bordeaux à franceinfo. On y retrouve des personnes de classes moyennes inférieures qui s'éloignent des grandes villes pour pouvoir s'offrir une maison qu'elles ne peuvent pas se payer près des villes. En contrepartie, elles font beaucoup de kilomètres, souvent avec des voitures anciennes, car elles n'ont pas forcément le budget pour en acheter une neuve."
Le phénomène concerne aussi la région parisienne, mais les communes périurbaines les plus touchées par la hausse des prix à la pompe se trouvent plus loin, à au moins 60 kilomètres de la capitale. "Il s'agit souvent de personnes qui travaillent en banlieue mais vivent dans le périurbain lointain, aux frontières de l'Île-de-France", précise Bernard Jullien.
Les grandes villes moins affectées
À l'inverse de leur lointaine périphérie, les grandes villes sont plutôt épargnées par la hausse des prix. Les quinze communes comptant le plus d'actifs, donc les plus peuplées, font partie des 15% les moins touchées. Et les 60 villes comptant plus de 25 000 actifs comptent toutes parmi les 30% des communes les moins affectées. Pour ces citadins, la hausse du budget carburant mensuel sur un an oscille autour de 19 euros, contre plus de 36 euros à l'échelle nationale. A Perpignan, Dijon, Clermont-Ferrand ou encore Paris, l'augmentation moyenne ne dépasse pas les 15,50 euros mensuels.
Cela s'explique par la distance généralement plus courte parcourue pour aller au travail dans ces agglomérations. Dans ces 60 communes comptant plus de 25 000 actifs, la moitié des habitants font moins de onze kilomètres pour se rendre au travail, alors que la médiane nationale approche les vingt kilomètres.
La possibilité de se passer de la voiture est de surcroît bien plus importante dans ces villes : alors que ce moyen de transport est utilisé par 90% de la population pour se rendre au travail hors des centres urbains, ce chiffre descend à un peu moins de 60% dans les grandes villes. Près de quatre habitants sur dix ne sont donc pas du tout concernés par la hausse du prix des carburants pour aller travailler dans les centres urbains.
Les travailleurs frontaliers paient le prix fort
Certaines zones frontalières ressortent en rouge sombre sur cette carte, notamment près du Luxembourg et de la Suisse. Comme l'explique l'Insee, c'est là que vivent le plus de travailleurs frontaliers.
A la frontière luxembourgeoise, dans le nord de la Meurthe-et-Moselle et le nord-ouest de la Moselle, apparaît une forte concentration de communes très touchées par la hausse des prix des carburants. La ville de Sierck-les-Bains, par exemple, a vu le budget carburant des travailleurs augmenter de près de 60 euros. Près de la Suisse, l'est du Doubs concentre aussi des communes très marquées par la flambée des prix à la pompe. Pontarlier fait partie des 20% des communes les plus affectées à l'échelle nationale, avec une hausse de plus de 47 euros.
Comme l'explique Bernard Julien, "les travailleurs frontaliers en Suisse ou au Luxembourg bénéficient souvent d'un salaire nettement plus élevé et il est donc rentable pour eux de rouler davantage pour pouvoir accéder à cet emploi".
La guerre en Ukraine fait flamber la facture
L'analyse de l'évolution du coût en carburants des déplacements au travail montre que la facture s'est alourdie depuis janvier 2022. D'après les données agrégées par franceinfo, au début de l'année, le coût d'un mois de déplacement au travail dépassait 86 euros par actif dans la moitié des communes de France métropolitaine, en appliquant les prix à la pompe du 1er janvier 2022. Au 14 mars, la facture a grimpé à plus de 115 euros dans ces mêmes communes, soit une hausse de près de 34%.
L'effet de la guerre en Ukraine est particulièrement palpable, comme le montre la variation théorique du coût d'un mois de dépense en fonction des prix à la pompe au jour le jour. La courbe ci-dessous représente l'évolution de cette facture pour l'ensemble des actifs de France métropolitaine.
La tendance était toutefois déjà à une hausse progressive tout au long de l'année 2021. Parties de plus de 60 euros au 1er janvier 2021, les dépenses mensuelles par actif ont franchi 75 euros en octobre et en novembre. Mais ces hausses restaient modérées face aux envolées observées depuis le début de l'année 2022. Au 31 janvier, le coût moyen d'un mois de déplacement domicile-travail dépassait déjà 80 euros. La flambée est encore plus sévère depuis début mars. La facture a dépassé les 90 euros le 9 mars et approchait les 100 euros au 14 mars, date des derniers relevés étudiés dans notre simulation.
Méthodologie
Ce travail s'appuie sur la base des flux de mobilité des "déplacements domicile-travail" pour l'année 2018, publiée par l'Insee. Cette base de données, constituée à partir des résultats du recensement de la population, fournit la liste des communes de résidence et de travail de l'ensemble de la population active âgée de 15 ans et plus et ayant un emploi, ainsi que le mode de transport utilisé pour les trajets domicile-travail.
A partir de cette base, nous avons isolé les actifs âgés de 15 à 64 ans exerçant une activité à temps plein, résidant en France métropolitaine et qui utilisent un véhicule motorisé à deux ou quatre roues pour se déplacer entre leur domicile et leur lieu de travail. Nous avons ensuite tracé les itinéraires routiers de commune à commune grâce aux outils en ligne du projet collaboratif de cartographie OpenStreetMap. Au total, près d'un million d'itinéraires ont été calculés et rapportés en distances kilométriques. Nous avons écarté les trajets de très longue distance (plus de 100 kilomètres).
Pour les actifs travaillant et résidant dans la même commune, un disque idéal a été tracé à partir de l’aire de leur commune. Et la distance retenue correspond au rayon de ce cercle.
Pour les travailleurs frontaliers, seuls les trajets vers l'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, la Suisse et Monaco ont pu être calculés. L'Insee ne fournit pas la liste des communes de travail en Espagne ou en Italie des actifs qui résident en France. Ceux-ci ne sont donc pas comptabilisés dans nos calculs.
Nous avons ensuite établi par commune la consommation moyenne des voitures. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur les données du ministère de la Transition énergétique, notamment le bilan annuel de la circulation qui donne la consommation moyenne des différents types de véhicules par kilomètre. Nous avons ensuite pondéré ces chiffres selon la composition du parc automobile par commune, c'est-à-dire la part de véhicules essence, diesel ou électriques. Nous pouvons donc établir combien une voiture ou une moto consomme en moyenne de sans-plomb ou de gazole au kilomètre par commune.
Les prix à la pompe ont été calculés grâce aux relevés quotidiens publiés sous forme de base de données par le ministère de l'Economie. Cette base est constituée à partir des remontées des stations-service, qui ont l'obligation de communiquer leurs prix dès lors qu'elles écoulent plus de 500 m³ de carburant par an. Les prix aberrants ont été écartés et les valeurs ont été lissées sur sept jours afin de gommer les variations journalières. Les stations autoroutières ont été écartées. Pour chaque année, seules les stations ayant publié des mises à jour chaque mois ont été retenues.
Conformément à une récente étude de l'Insee sur la disparité territoriale des prix des carburants, nous avons également rassemblé les stations-service selon leur degré de ruralité. Les prix sont en effet généralement moins élevés dans les territoires urbains que dans les territoires ruraux. En fonction de la densité de population de l'intercommunalité dans lesquelles elles sont localisées, chaque station service a donc été classée en territoire "dense" ou "peu dense". Puis un prix moyen journalier a été calculé pour chacune de ces deux catégories de densité au niveau départemental, de manière à appliquer les prix des stations situées dans les territoires urbains pour les personnes qui résident dans un territoire rural et qui vont travailler dans un territoire urbain.
Le calcul d'un mois de dépense en carburant a enfin été établi en comptant 22 jours travaillés par actif, à raison d'un aller-retour domicile-travail par jour et par actif.
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