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Colonies de vacances : comment expliquer la pénurie d'animateurs ?

Alors qu'Aurore Bergé veut permettre aux enfants de CM2 de partir en "colo" pendant l'été 2024, le secteur peine à recruter des animateurs. Ce métier est en perte de vitesse depuis une dizaine d'années.
Article rédigé par Capucine Licoys
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Un animateur et des enfants du centre de vacances PEP La Roche, à Stosswihr (Haut-Rhin), le 12 août 2011. (MAXPPP)

"A la recherche d'un animateur en urgence du 13 au 24 août", "Urgent à la suite d'un désistement ! Recherche animateur Bafa complet", "Des postes encore à pourvoir sur nos séjours été 2023"... En ce début de mois d'août, les plateformes d'offres d'emploi croulent sous le nombre de petites annonces de dernière minute, dans le secteur des colonies de vacances. Baptiste, directeur adjoint d'une colo à Sées (Orne), en est familier. Depuis plusieurs années, il peine à dénicher des animateurs qualifiés. "Mettre une annonce sur Facebook, ça ne suffit plus pour recruter, déplore cet homme de 27 ans, ancien animateur lui-même. Aujourd'hui, il faut republier les offres tous les mois, rappeler une trentaine de fois les candidats... Sinon, c'est coton."

Pas si jolies, les colonies de vacances ? L'urgence de recrutement est d'autant plus grande que le gouvernement veut redorer le blason de ce rite, synonyme de grands départs populaires, qui souffre d'une chute de fréquentation depuis les années 1990. Aurore Bergé, la nouvelle ministre des Solidarités et des Familles, a annoncé le 27 juillet la création d'un "pass colo" doté de 200 à 350 euros par enfant de 10 et 11 ans. Une "très bonne idée sur le long terme", se réjouit le syndicat du secteur de l'animation Hexopée, mais qui ne résout pas le problème le plus urgent : les jeunes générations boycottent le métier d'animateur. Le mono n'a plus la cote.

Selon une étude réalisée par Hexopée et le Fonds de coopération de la jeunesse et de l'éducation populaire, 76% des centres d'accueil interrogés ont connu des difficultés de recrutement en 2022 (PDF). La situation s'est légèrement améliorée depuis 2021, mais les directeurs de colonies de vacances redoutent toujours des annulations de séjours pendant l'été, faute de personnel.

Des salaires très en dessous du smic

Cette désaffection s'explique en grande partie par des salaires trop peu attractifs. "Si l'on considère l'animation comme un métier, c'est très mal payé", analyse Baptiste. Actuellement, la rétribution minimale s'élève à 25,34 euros brut par jour, soit moins du tiers d'un smic. Par conséquent, il n'est pas rare que les colonies tournent avec des équipes réduites. L'hiver dernier, ce directeur adjoint a supervisé un séjour de ski et de snowboard pour adolescents dans les Alpes, "au ras des pâquerettes en termes d'effectifs". Tout juste est-il parvenu à respecter le taux d'encadrement légal, soit la présence d'un adulte pour douze enfants de plus de 6 ans.

"Même si les salaires étaient plus hauts, on ne peut faire de l'animation que si c'est une passion, vu le nombre d'heures travaillées", lâche Marie, qui s'apprête à arrêter les colonies de vacances pour se lancer dans la vie active. Fini les journées à rallonge et les nuits écourtées, malgré l'amour du métier. A 23 ans, cette étudiante en ingénierie agronomique comprend que le secteur "n'attire plus personne". D'autant que les responsabilités sont nombreuses : assurer la sécurité physique des enfants, gérer de potentielles crises, aider aux repas et à la toilette des plus petits.

"Tout ça pour une trentaine d'euros la journée, c'est trop peu, même en étant logé et nourri".

Marie, 23 ans, étudiante en ingénierie agronomique

à franceinfo

Si le salariat est répandu dans les centres de loisirs, d'accueil périscolaire ou extrascolaire, les colonies de vacances dérogent à la règle. Elles proposent des contrats d'engagement éducatifs liés au Code de l'éducation. "Un système à part", précise David Cluzeau, délégué général d'Hexopée. Plusieurs métiers de l'animation se sont professionnalisés au tournant des années 2000 via la création de diplômes spécifiques, "mais les colonies de vacances n'ont pas pris cette tangente pour des raisons liées à l'histoire de leur création", précise le délégué syndical.

Ces séjours étaient à l'origine organisés par des structures militantes comme la Ligue de l'enseignement ou encore les Francas, bien loin du concept de job d'été : "Partir en colonie était vu comme une forme d'engagement, porteuse des valeurs de laïcité, de solidarité et des droits de l'enfant", explique le sociologue spécialiste de la jeunesse Boris Teruel. Depuis une trentaine d'années, les colonies se sont institutionnalisées avec le financement croissant des collectivités, affaiblissant au passage cette notion d'engagement. S'ajoute à cela un marché du travail "bouleversé par des crises successives, dont celle du Covid-19", analyse le sociologue. Selon lui, ces transformations rendent les nouvelles générations plus soucieuses de sécuriser leurs parcours professionnels grâce à des emplois mieux rémunérés.

Un plan de 64 millions d'euros pour revaloriser l'animation

Ces conditions précaires découragent même les animateurs expérimentés, denrée rare pour les directeurs de centres. Jeanne, intermittente du spectacle, vient de renoncer à un séjour pour adolescents en Corse à 30 euros la journée. "C'est hallucinant que le salaire soit aussi bas étant donné la charge de travail que ça demande", regrette la jeune femme de 26 ans, qui s'est tournée vers l'animation quand elle en avait 17. Lui vient en tête une colonie de vacances impliquant une disponibilité "vingt-quatre heures sur vingt-quatre" pour surveiller un enfant atteint d'épilepsie. Un "job de parent le temps d'un séjour" particulièrement peu valorisé au regard des frais à débourser pour obtenir le Bafa, qui avoisinent les 1 000 euros. Le nombre de brevets délivrés chaque année a d'ailleurs chuté de 20% entre 2011 et 2019.

Conscient de l'urgence, le gouvernement a déployé récemment une aide exceptionnelle de 200 euros censée accompagner 27 000 jeunes jusqu'à l'obtention du Bafa. L'âge minimum d'inscription au sésame de l'animation a également été fixé à 16 ans au lieu de 17 ans. Ces décisions s'inscrivent dans un plan d'action de 64 millions d'euros lancé en février 2022 par Sarah El Haïry, ancienne secrétaire d'Etat chargée de la Jeunesse et du Service national universel. Le gouvernement a aussi annoncé en juillet le doublement de la rémunération minimum des animateurs de colonies de vacances, pour atteindre 50 euros brut par jour à partir du premier semestre 2024.

De quoi ravir Cyril Gaffet, délégué national chargé des séjours enfants de l'Union française des centres de vacances (UFCV). Il s'inquiète toutefois d'une éventuelle répercussion sur les prix des séjours, à la charge des familles. Contacté par franceinfo, Laurent Bonnaterre, le président du comité de filière Animation, chargé de suivre la feuille de route du gouvernement, assure "avoir cette difficulté en tête". Sans en dire plus, pour l'instant. En attendant, en France, plus de 5 millions d'enfants ne partent pas en vacances, selon l'UFCV.

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