En rose et bleu : en 2016, les catalogues de jouets de Noël sont toujours aussi sexistes
Poupées sur fond rose pour les filles, tenues d'aventurier sur fond bleu pour les garçons : cette année encore, la plupart des grandes enseignes enferment les enfants dans des stéréotypes.
Cette année, sous le sapin, il y aura de bonnes chances de trouver une poupée Barbie pour la petite dernière, et un pistolet à flèches dans les chaussons de son grand frère. Nous sommes en 2016, et les clichés sexistes ont la peau dure : il suffit de consulter les catalogues de jouets pour s'en rendre compte. Le même vélo, le même prix, la même taille, mais deux modèles différents : l'un rose pour les filles, et l'autre bleu pour les garçons. C’est ce qu'on appelle le "marketing genré", une stratégie qui introduit l'idée qu'il doit y avoir des jouets réservés aux enfants selon leur genre, avec pour objectif de vendre davantage.
En 2013, décidé à rendre ses rayons plus mixtes, le géant du jouet Toys "R" Us avait choisi de limiter au maximum ce marketing genré. Pour cette enseigne, fini les publicités destinées exclusivement aux petites filles ou aux jeunes garçons. Et en 2014, en France, un rapport sénatorial appelait à son tour à lutter contre ces stéréotypes dans le monde du jouet. Objectif de ses auteurs : "Elargir le champ des possibles de tous les enfants, filles et garçons, et permettre que l'égalité et le 'vivre ensemble' commencent avec les jouets." Deux ans plus tard, les choses n'ont pourtant guère évolué.
Des pages pour les filles, d'autres pour les garçons
Premier constat : la plupart des catalogues, comme celui d’Auchan par exemple, ont toujours une partie réservée aux garçons, et une autre pour les filles. Et évidemment, ce n'est pas pour rien : la première ouvre sur les superhéros de Star Wars et de l'univers Marvel, la seconde débute avec des poupées et des poussettes dans un univers rose flashy. Contactée par franceinfo, la marque n'a pas donné suite à nos sollicitations.
Le sommaire du catalogue de Carrefour n'est guère plus subtil. Dans l'univers orange nommé "le cap des aventuriers", les pages regorgent de voitures, de pistolets et de déguisements de super-héros, tandis que dans l'univers violet, "le royaume des meilleures amies" propose des poupées souriantes, des cuisines et des poneys multicolores. Tant pis pour la petite fille qui voudrait jouer aux petites voitures. Interrogé par franceinfo, le géant de la distribution assure pourtant avoir tenu compte des critiques : "Nous travaillons pour faire évoluer notre catalogue et prenons en compte les remarques."
En revanche, des distributeurs comme Sytème U et Oxybul ont préféré ne pas nommer leurs catégories en fonction du genre des enfants. Mieux : comme le montre la double page ci-dessous, des filles peuvent très bien jouer avec les garçons aux apprentis bricoleurs.
Pour Mona Zegai, sociologue et spécialiste des jouets genrés, cette distinction est récente. "Si on regarde les catalogues qui datent d'avant les années 1980, tout est trié par type de jouets", explique-t-elle à franceinfo. Il faut attendre l’impression en couleurs des livrets promotionnels pour voir les choses changer : "Depuis, les espaces réservés aux filles et ceux réservés aux garçons sont devenus la norme. Il suffit de se balader dans un magasin de jouets pour s'en rendre compte."
"Pouponner comme maman"
Jouer à la poupée, une activité typiquement féminine ? Les images d'illustration sont explicites. Dans les six catalogues sélectionnés par franceinfo, dix-sept petites filles sont photographiées en train de "pouponner comme maman". Pas un garçon en vue.
A l'inverse, les pages proposant des pistolets, des voitures miniatures ou des tenues de super-héros, elles, ne comptent quasiment aucune fille. Et lorsqu'une jeune fille s'invite dans cet univers masculin, son arme est est rose, évidemment.
L’attitude des enfants qui posent sur les catalogues n’est pas dénuée de sens non plus. "Au niveau du corps et de la gestuelle, on remarque qu’il y a de grandes différences entre les garçons et les filles, reprend la sociologue Mona Zegai. Les filles sont très gracieuses et souriantes, tandis que les garçons jouent les gros durs ou les aventuriers."
Barrettes à fleurs, jupes roses, couleurs douces : le style vestimentaire des petites filles est également très genré. Autant d'exemples qui, selon Mona Zegai, encouragent les petits à reproduire des comportements. "Barbie donne un idéal de féminité très maigre et les jeunes filles sont de plus en plus nombreuses à souffrir d'anorexie précoce", observe-t-elle, même si l'influence directe reste difficile à évaluer.
Les fabricants, premiers responsables
En plus d’être destinés exclusivement aux filles ou aux garçons, la plupart des jouets d'enfant obéissent à un code couleur. Dans son catalogue de Noël, La Grande Recré propose par exemple un wagon ramasse-briques bleu et rouge (poussé par un petit garçon), mais souligne qu'il existe aussi en rose (pour plaire à la petite fille qui joue avec).
En la matière, les distributeurs comme Auchan, Carrefour, Toys "R" Us ou La Grande Récré ne sont pas directement responsables. Il faut plutôt aller chercher du côté des fabricants, qui abreuvent les rayons de jouets bleus et roses. Exemple avec Lego. Sur les deux pages ci-dessous, l'une est destinée à attirer l'attention des petites filles, l'autre est censée s'adresser aux petits garçons. Saurez-vous les repérer ?
La lutte contre le sexisme, une forme de marketing
La lutte contre le marketing genré peut pourtant elle-même constituer une forme de marketing, et certaines marques l'ont bien compris. En 2015, les magasins U se sont fait remarquer en lançant un "catalogue sans préjugés". Dans leur spot publicitaire pour la télévision, on voyait des petites filles s'amuser avec une perceuse et des garçonnets changer un poupon.
Cette année, rebelote, la marque évite les clichés. Les couleurs sont neutres, et dans la rubrique "poupées", de nombreux garçons jouent avec leurs copines. "On a constaté qu'il y avait des stéréotypes, et on a voulu lutter contre. Mais on ne prend pas part pour autant au combat féministe", explique laconiquement l'enseigne, interrogée par franceinfo.
De fait, dans la plupart des catalogues consultés, les garçons sont aussi de plus en plus nombreux à jouer à la dînette. "En jouant à la dînette, l’enfant (...) imite tout simplement la vie à la maison. (...) Les rôles des hommes et des femmes à la maison sont de plus en plus similaires. Donc jouer à la dînette ou à la poupée pour un garçon n’a rien d’inquiétant, bien au contraire, il se construit à travers l’image de son papa, se socialise, prend des responsabilités", observe sur son site la société Autour des kids, spécialisée dans la garde d'enfants à domicile.
Et ce genre d'initiative semble entraîner un mouvement plutôt salutaire. "La dernière campagne de Système U a fait beaucoup de bruit, et petit à petit, d’autres firmes emboîtent le pas pour montrer qu'elles non plus ne sont pas sexistes, souligne la sociologue Mona Zegai. Etre féministe, c’est aussi un argument marketing."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.