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L'homme doit-il faire ses valises et quitter la Terre ?

Article rédigé par Fabien Magnenou - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Une scène du film "Interstellar", de Christopher Nolan. (WARNER BROS / MELINDA SUE GORDON)

Alors que le film "Interstellar" est sorti en salles le 5 novembre et que des rapports tirent la sonnette d'alarme sur l'avenir de notre planète, francetv info revient, avec le physicien Alain Dupas, sur l'opportunité d'explorer l'univers.

"Avant on regardait vers le ciel et on se demandait où était notre place au milieu de toutes ces étoiles, explique un personnage du film Interstellar, sorti en salles mercredi 5 novembre. Aujourd'hui, on regarde par terre et on se demande quelle est notre place dans toute cette poussière." Face au chaos imminent, un groupe d'explorateurs part à la recherche d'une planète à coloniser.

Et si la science-fiction avait raison ? L'homme va-t-il devoir déménager après avoir ruiné sa maison ? Pour y voir plus clair, francetv info a contacté Alain Dupas, physicien, expert en technologies spatiales et auteur de nombreux ouvrages, dont La Grande rupture ? L'humanité face à son futur technologique (éd. Robert Laffont, 2010) et Demain, nous vivrons tous dans l'espace (éd. Robert Laffont, 2011).

Francetv info : Dans Interstellar, une tempête de sable rend impossible l'agriculture sur Terre. Mais notre planète risque surtout de souffrir de la raréfaction des ressources, de la surpopulation mondiale, du réchauffement climatique... La Terre vit-elle en sursis ?

Alain Dupas : C'est un fantasme. La Terre peut supporter beaucoup plus que cela et d'ailleurs, elle en a supporté bien davantage par le passé. A l'époque de l'ère glaciaire, nos ancêtres ont survécu dans des cavernes, avec des peaux de bêtes. Cela ne les a pas empêchés de créer la civilisation. Certains nomment désormais notre ère "anthropocène", un nouvel âge dans lequel l'homme contrôle l'environnement. Nous en sommes encore loin, mais des progrès techniques et scientifiques devraient permettre de contrôler les paramètres que vous citez.

Tout le monde n'est pas de cet avis. L'an dernier, l'astrophysicien britannique Stephen Hawking a encouragé l'exploration spatiale car, selon lui, "nous ne survivrons pas 1 000 ans de plus sur notre fragile planète"...

On peut toujours essayer de rationaliser en invoquant le péril environnemental ou un cataclysme, comme dans Interstellar. Mais ce qui est surtout intéressant dans les propos de Stephen Hawking, c'est le fait que l'humanité va essaimer ailleurs. A partir du moment où nous serons une espèce multi-planètes, notre fragilité va disparaître. En effet, la civilisation humaine survivra, même si l'humanité disparaît de la Terre.

Dans votre ouvrage, justement, vous citez le milliardaire Richard Branson : "Si le pire arrive, je créerai Virgin Moon pour coloniser la Lune". Que veut-il dire ?

Il imagine que la Terre puisse devenir invivable. Et de fait, il existe bien des risques systémiques pour la planète. Plutôt que les mouvements climatiques, je pense aux pandémies ou à une guerre nucléaire. Rappelons que la grande peste [au XIVe siècle] a anéanti un tiers de la population européenne. Et regardez la panique qui s'empare du monde avec Ebola, la souche H1N1 ou le Sras. Mais le vrai moteur de l'exploration spatiale, c'est qu'il existe une attraction fondamentale chez les humains pour partir dans l'espace. 

Les hommes sont-ils attirés depuis longtemps par les voyages dans l'espace ? 

Les hommes étudient réellement cette possibilité au XIXe siècle. Vers 1860, Giovanni Schiaparelli observe de soi-disant canaux sur Mars. L'impact médiatique est mondial, avec la presse, les livres, les conférences. Plus tard, les ouvrages de Jules Verne et les grands romans martiens – dont Une princesse de Mars [d'Edgar Rice Burroughs, publié en 1917] – traduisent également ce phénomène culturel, encore incarné à la fin du siècle par l'astronome américain Percival Lowell, qui bâtit un observatoire avec sa fortune.

Mais je retiens surtout le scientifique russe Constantin Tsiolkovski, principal représentant du mouvement cosmiste d'alors. Aujourd'hui, on retient surtout sa citation : "La Terre est le berceau de l'humanité, mais on ne passe pas sa vie entière dans un berceau." Mais en fait, il faisait presque partie d'une secte, qui considérait non seulement que les voyages étaient possibles, mais que l'humanité devait partir dans le cosmos. Au XXe siècle, vous retrouvez ces idées chez les Allemands Hermann Oberth et Wernher von Braun.

Un peu plus tard, le physicien américain Gerard K. O'Neill est le chantre de la colonisation de l'espace, avec de grands modules gonflables. Son idée, c'est qu'il faudra quitter la Terre à cause de la surpopulation mondiale. Ce physicien fait réaliser à ses élèves des exercices, afin de constater qu'il est techniquement possible de placer des structures gigantesques en orbite, peuplées de millions d'habitants. Comme dans le film 2001, l'Odyssée de l'espace, le vaisseau tourne sur lui-même pour créer une pesanteur artificielle.

Déménager dans l'espace relève du fantasme ou c'est une piste actuellement à l'étude ?

C'est une vraie piste ! Vous avez toute une communauté d'industriels et de visionnaires, souvent situés aux Etats-Unis, qui développent des moyens pour s'installer dans l'espace.

Celui qui fait le plus parler aujourd'hui, c'est Elon Musk, fondateur de SpaceX et de Tesla Motors. L'entreprise emploie 4 000 personnes et fabrique des dizaines de fusées par an, dont la Falcon 9, le concurrent direct de la future fusée européenne Ariane 6. Il développe également un véhicule habité privé pour la Nasa. C'est un chef d'entreprise brillant et pragmatique, mais qui a aussi des rêves à long terme. Comme il l'a souvent répété, Elon Musk souhaite en effet que l'homme devienne une espèce multi-planètes, à commencer par Mars. D'ici 2040, il espère y bâtir une base permanente (en anglais), avec des dizaines de milliers de personnes. Il explique que c'est une garantie pour la survie de l'humanité, en cas de catastrophe sur Terre.

L'intérieur du vaisseau Dragon V2 développé par la société SpaceX. D'ici trois ans, le vaisseau transportera sept astronautes américains vers la Station spatiale internationale (ISS), pour le compte de la Nasa. (SPACEX)

Mais ces entrepreneurs sont nombreux. Le fondateur d'Amazon Jeff Bezos a fondé la société Blue Origin en 2000, afin de développer dans un premier temps des vols suborbitaux. Quant aux fondateurs de Google, Sergey Brin et Larry Page, ils avaient créé un prix, le Google Lunar X-Prize. Vous avez aussi Robert Bigelow, issu de l'immobilier d'affaires. Aujourd'hui, sa société investit de l'argent dans des projets de stations privées autour de la Terre, avec des perspectives de stations privées sur la Lune et sur Mars.

A vous écouter, les Etats et les grandes agences semblent en retrait...

Ils n'ont pas renoncé, d'autant que les Chinois ont prévu d'aller sur la Lune d'ici à 2030. Je peux donc vous assurer que les Américains se lanceront dans un programme d'envoi d'hommes sur Mars dans la prochaine décennie. Mais leur vision est différente des entrepreneurs cités ci-dessus, puisqu'il s'agit de missions d'exploration.

Quel est le prochain "Nouveau Monde" ?

La Lune sera un peu comme l'Antarctique, avec, pour l'essentiel, des bases scientifiques permanentes à l'horizon 2040-2050, et sans doute un peu de tourisme. Il faut simplement construire de grandes fusées et des infrastructures enterrées sur la Lune, à cause des radiations et des températures.

Mais pour beaucoup, l'objectif, c'est Mars. On peut imaginer d'immenses colonies autonomes dans la deuxième moitié du siècle, qui produiront des ressources spécifiques et feront commerce avec la Terre. Pour aller là-bas, il faut aujourd'hui six à neuf mois. Mais dans cinquante ans, cette durée pourrait être ramenée à trois semaines. La population pourrait alors croître comme celle de l'Amérique du Nord après l'arrivée des colons européens : 250 000 colons spatiaux en 2200 et 280 millions en 2500.

A quoi pourraient ressembler ces colonies ?

A des villes souterraines. Pour vous donner une idée, regardez les scènes sur Mars dans la version originale du film Total Recall, avec ces immenses habitats enterrés dont on sort avec des scaphandres légers. Les sorties seront limitées à des excursions. L'air est irrespirable et 140 fois moins dense que sur la Terre, sans oublier que les radiations solaires ne sont pas arrêtées par la magnétosphère. Mais certains humains limitent déjà les sorties dehors, quelques mois ou toute l'année, à Montréal (Canada) ou dans le Spitzberg [une île située au nord de la Norvège].

Toutefois, beaucoup de questions restent ouvertes. Comment se protéger des radiations solaires et cosmiques ? Comment va réagir le corps humain sans gravité terrestre ?

Et comment l'homme peut-il s'en sortir sans les ressources terrestres ?

Les matériaux seront acheminés, puis on utilisera les ressources locales. Dans le sous-sol, il y a de la glace. Dans les roches, il y a tous les métaux. Vous ferez de la culture hydroponique, hors-sol, en apportant aux plantes les vitamines et les minéraux dont elles ont besoin. Cela se développe aujourd'hui dans certaines mégalopoles, à Taïwan ou à Singapour, derrière les grandes parois de verre des immeubles. Ces derniers ont vocation à devenir autonomes, et abritent aussi des magasins et des bureaux.

Des exoplanètes similaires à la Terre (dont Kepler-186f) ont été découvertes récemment. Elles sont situées à des années-lumières de notre planète. Des voyages intersidéraux sont-ils envisageables ?

Avant de partir vers d'autres galaxies, comme dans Interstellar, l'homme va d'abord s'installer dans le système solaire. Au-delà de Pluton, dans la ceinture de Kuiper, il y a par exemple des milliers d'objets glacés, dont le diamètre peut atteindre plusieurs centaines de kilomètres. Nous pourrions les habiter. Mais l'immensité de notre système solaire lance déjà un défi, puisqu'il faudrait une année-lumière pour le parcourir. 

Le problème des distances spatiales, c'est qu'on ne peut pas aller plus vite que la lumière. Mais si vous atteignez une fraction notable de cette vitesse, certaines exoplanètes ne sont plus très loin, puisqu'elles se trouvent à quelques dizaines d'années-lumière. Sans compter que le temps se raccourcit quand vous approchez cette vitesse. Mais il faudrait des moyens de propulsion inouïs, aujourd'hui hors de portée, peut-être grâce à des propulseurs à fusion nucléaire ou à couple matière-antimatière. Rien ne l'interdit dans le cadre de la physique actuelle. Mais cela n'est pas près d'arriver.

Pour couvrir rapidement une grande distance, les explorateurs du film "Interstellar" s'approchent d'un trou noir et empruntent un trou de ver, un raccourci dans l'espace-temps. C'est la solution ?

Comme l'espace et le temps sont liés, on risque de ressortir du trou de ver à un moment très différent, ce qui rend impossible un éventuel retour. De toute façon, la physique actuelle ne permet pas d'évaluer la crédibilité des visions de ce genre. Mais à l'avenir, qui sait ?

La fondation néerlandaise Mars One projette d'envoyer 24 hommes et femmes sur Mars en 2024, sans retour possible. Comment supporter un tel déracinement ?

Une vue d'artiste représentant des membres de la mission Mars One et leur colonie, sur la planète rouge. (EYEPRESS / AFP )

L'idée qu'il faille revenir est une idée du XXe siècle. Les colons qui partaient par millions en Amérique du Nord ne voulaient pas revenir ! Nos ancêtres, nos précurseurs, ont montré qu'ils n'avaient pas peur d'explorer et de s'installer ailleurs. Est-ce que l'homme veut se séparer de sa Terre natale ? Dans l'histoire, des tas d'explorateurs et d'aventuriers ont été confrontés à des problèmes largement plus difficiles sur le plan psychologique.

En revanche, il y a là une question philosophique fondamentale. Avec la colonisation du cosmos et la nécessaire adaptation, en effet, l'espèce humaine pourrait se diversifier, y compris en recourant à des modifications génétiques. Alors que nous sommes tous des homo sapiens aujourd'hui, sommes-nous sur le point de passer à plusieurs espèces humaines ?

Et si je vous offre un billet pour Mars ?

Je pense que j'irais, oui.

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