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Bicentenaire de Waterloo : la dernière bataille de Michaël et Emeline, à cheval sur l'histoire

Michaël Sadde et Emeline Macret ont créé une association et un centre équestre afin de vivre de leur passion pour la reconstitution historique. Ils seront à Waterloo pour défaire Napoléon.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Michaël Sadde (tout à droite) charge à cheval avec d'autres membres de son association de reconstitution. Ils portent la tenue des hussards noirs de Brunswick. (MICHAËL SADDE )

Des bourrasques de vent soulèvent le sable de la carrière du centre équestre. Du haut de leurs chevaux, Michaël Sadde et Emeline Macret se saluent, fleuret à la main, masque d’escrime sur le visage et gilet de cuir sur le dos. Les cavaliers, mari et femme à la ville, s’élancent l’un vers l’autre, s'affrontent, se poursuivent. Michaël lève son arme au-dessus de sa tête et l’abat sur Emeline. Elle riposte. Il esquive et attaque encore. Les lames sifflent dans l’air et s'entrechoquent. Les duellistes enchaînent les estocs.

Séance d'entraînement au fleuret à cheval
Séance d'entraînement au fleuret à cheval Séance d'entraînement au fleuret à cheval (FRANCETV INFO)
 

"Allez, c'est bon, ça ira pour aujourd'hui", lance Michaël au bout de quelques minutes à croiser le fer et à houspiller Emeline. "On ne compte jamais les touches, mais c'est lui qui gagne à chaque fois", reconnaît la jeune femme, avant de conclure : "Entraînement difficile, guerre facile." Le couple s'apprête à partir avec armes et bagages de leur village de Sainte-Gemmes-le-Robert, entre Le Mans et Laval (Mayenne). Destination Waterloo (Belgique) pour rejouer, avec des milliers d'autres passionnés, la dernière bataille de Napoléon, à l’occasion d'une grandiose reconstitution historique pour les deux cents ans de cet événement. 

Le dernier Waterloo des hussards noirs de Brunswick

"Ça sera la huitième et dernière fois", jure le trentenaire, jeune retraité de l’armée, passionné d'histoire militaire et d'équitation, qui remisera bientôt son attirail napoléonien au grenier. Les membres de son association de reconstitueurs, qui rejouent des événements historiques, tenaient à participer au bicentenaire. Emeline et lui s'en seraient bien passés. Ils ne veulent plus guerroyer sans être payés.

Michaël et Emeline sont, depuis cinq ans, à la tête d'une association, Les Ecuyers de l'Histoire, qui compte une trentaine de membres, Breton, Alsacien, Parisien..., banquier, commerçant, plombier, universitaire, tous réunis par une même passion. "C'est la seule à faire des reconstitutions historiques multi-époques en France", vante Michaël. Du début du Moyen-Age à la fin de l'Ancien Régime, en passant par les joutes médiévales, les charges de mousquetaires de la guerre de Trente Ans et la monte en amazone pour les femmes.

"On forme les cavaliers et les chevaux de A à Z"

Leur association a donné naissance à une petite entreprise familiale, Le Domaine des Ecuyers, qui enseigne les deux disciplines indissociables : l'équitation militaire historique et l'escrime à pied et à cheval. "On forme les cavaliers et les chevaux de A à Z", résume Michaël.

Le couple a racheté un élevage de volailles et de vaches laitières qu’il a converti en centre équestre. Michaël et Emeline ont transformé les pâturages en enclos, et le poulailler et l'étable en écurie. Deux chiens paressent à l'ombre, couchés devant les box. Au fond du hangar, derrière la sellerie où joue la portée de chatons, une salle d'armes permet aux reconstitueurs de s'entraîner. Deux armures gardent l'entrée.

Michaël Sadde dans la salle d'armes de son centre équestre, le 9 juin 2015, à Sainte-Gemmes-le-Robert (Mayenne). (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)
 

Dans la petite et tatillonne communauté des reconstitueurs, qui revendique son bénévolat, Emeline et Michaël font figure de vilains petits canards. Beaucoup leur reprochent de ne plus être des amateurs, prêts à débourser des milliers d'euros pour vivre leur passion, mais des professionnels, gagnant de l'argent grâce aux reconstitutions.

Michaël esquive la pique. "On a une passion d'amateur et une démarche de professionnel", argue-t-il, ajoutant : "La reconstitution historique implique beaucoup de temps pour rechercher les modèles d'époque et beaucoup d'argent pour les faire reproduire à l'identique." Comptez 5 000 euros pour une armure. Sans ses accessoires. L'enjeu est de taille : "Si une association est mal habillée, mal équipée, elle ne sera plus invitée."

Michaël Sadde en tenue de hussard noir de Brunswick lors d'une reconstitution Ier Empire. (MICHAËL SADDE )

Et le cavalier contre-attaque : "Dans le Ier Empire, c'est 'Vive l'empereur !' tous les jours. Il y a beaucoup de fanatiques de Napoléon. Ça ne donne pas une très bonne image. Pour moi, c'est l'histoire avant tout." Il a tout de même un portrait de l'empereur sur une assiette en faïence de Gien. "Un cadeau", se défend-il. Michaël a fini par se lasser : "En Ier Empire, il y a le règlement de 1791. Les reconstitueurs se contentent de l'appliquer. Il n'y a plus grand-chose à découvrir. Ce n'est plus trop grisant." 

"Si on veut jouer au petit soldat, on reste derrière"

Michaël et ses "frères d'armes" seront donc, pour la dernière fois, les hussards noirs de Brunswick, une unité germanique reconnaissable à la couleur de son uniforme et à son insigne, une tête de mort et des tibias croisés argentés. Ils combattront les troupes napoléoniennes, et savent déjà qu'ils gagneront. Emeline expose le plan de bataille : "On fait du harcèlement sur des fantassins formés en carré, parce qu'on a des chevaux rapides, maniables. On arrive sur l'ennemi, on le pointe et on repart." 

Le problème, poursuit la cavalière, c'est que "beaucoup ont peur des chevaux et ne veulent pas qu'on frappe sur la baïonnette parce que ça abîme le fusil""La cuirasse cabossée, le sabre tordu, ça fait partie du jeu. Il y en a qui ne le comprennent pas. Si on veut jouer au petit soldat, on reste derrière", lâche Michaël. Il déplore "beaucoup d'accidents" et "des cavaliers qui n'en sont pas et ne montent à cheval que pour la prestation".

 

Michaël s'est lancé dans la reconstitution historique alors qu'il était encore dans l'armée. "J’avais vu une petite annonce dans le journal de mon régiment qui travaillait avec une association de reconstitueurs. Ça a commencé comme ça, dans l'infanterie Ier Empire", se souvient-il. Il a ensuite intégré un groupe belge de cavaliers, comme cuirassier d’abord, puis en tant que hussard.

Sous les drapeaux aussi, il est passé de l’infanterie à la cavalerie, en intégrant la prestigieuse Garde républicaine à Paris. C’est là qu’il a rencontré Emeline. Engagé très jeune, le soldat a pris sa retraite après 17 années de service, le seuil à partir duquel il avait le droit à une pension. De quoi financer sa reconversion. "J'avais fait le tour. J’en avais assez de jouer ‘les pots de fleurs’ pour les défilés et les cérémonies officielles", lâche-t-il. Emeline, elle, a mis fin à son contrat au bout de trois ans. Elle a ensuite été monitrice dans divers centres équestres.

"Archéologie expérimentale" et "histoire vivante"

Garde républicain, Michaël a appris le dressage des chevaux et le travail de maréchal-ferrant. La petite dizaine de chevaux, espagnols, lusitaniens et français "sont élevés à la dure pour qu'ils s'habituent aux bruits des armes et à la foule des combats". "On ne les castre pas, car les entiers sont beaucoup plus vaillants et guerriers que les hongres. Mais on les pilote rapidement, et cela représente beaucoup d'efforts pour eux. C'est éprouvant", souligne le cavalier. "Comme les athlètes de haut niveau, les chevaux ont un programme d'entraînement quotidien", ajoute Emeline qui concède : "On fait plus attention aux chevaux qu'aux bonshommes."

Michaël Sadde et Emeline Macret après une séance d'entraînement au fleuret à cheval, le 9 juin 2015, à Sainte-Gemmes-le-Robert (Mayenne). (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

Pour l'aspect historique, l'ancien soldat se décrit comme "autodidacte". "Je lis des bouquins, je vais dans les musées, je discute avec les conservateurs, je me documente grâce à différentes sources et j'essaie de restituer tout ça." Il se sent historien dans l'âme et fait de "l'archéologie expérimentale" et de "l'histoire vivante" : "On cherche le souvenir du geste et on le met en pratique." Il organise parfois "des camps off" sans téléphone portable avec des amis reconstitueurs. Ils montent une tente dans un pré, mangent des menus historiques "pour s'immerger". "C'est une formation militaire entre nous."

Michaël Sadde devant ses reproductions d'armures médiévales, le 9 juin 2015, à Sainte-Gemmes-le-Robert (Mayenne). (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

Leur maison, située en contrebas de l'écurie, au bord de la petite route de campagne, est un musée, "sauf qu'il n'y a pas de pièces d'époque et que tout sert". Les meubles mélangent les styles anciens, les épées et sabres en tous genres sont posés dans des râteliers, les armures, casques et heaumes trônent. Au mur, les reproductions anciennes jouxtent les photos de leurs faits d'armes. Leurs plus beaux souvenirs ne sont pas napoléoniens. Michaël garde en mémoire une joute aux flambeaux en Pologne, une autre à Sienne, en Toscane, et enfin une bataille d'Hastings (Angleterre). Il y a eu "l'impression de vivre quelque chose de réel".

"On ne triche pas"

Michaël et ses compagnons s'attellent désormais à deux grands projets qui leur font un peu plus remonter le temps. D'abord, la reconstitution avec plusieurs autres associations de la cavalerie franque, celle qui combattait sous Charles le Chauve et aux alentours de l'an mil. "C'est la première de l'histoire de France à ne plus être composée de fantassins montés à cheval", relève le féru d'histoire.

Ensuite, la joute avec armes réelles. Il a reconstitué le défunt ordre de Saint Michel, "la crème de la chevalerie française", au XVe siècle. Leurs lances ne sont "pas des tringles à rideaux" mais taillées en bois dur et équipées d'une pièce métallique dentée. Elles pèsent 15 kilos. Et lorsqu'elles frappent, le cheval est arrêté net, obligé de plier sous la violence du choc. Son cavalier est désarçonné.

Leurs armures, lourdes de 40 kilos, sont boulonnées pour protéger la gorge. "Là-dedans, on ne voit rien, on ne triche pas", assure Michaël, qui s'est cassé la main il y a un mois et demi lors d'un duel à Aigues-Mortes. "La chute est douloureuse, impossible de se relever seul, et mieux vaut ne pas se faire traîner par son cheval", prévient Emeline.

"Une croisade à mener"

Pour Michaël, il reste également "une croisade à mener". Il veut faire reconnaître la reconstitution historique comme patrimoine culturel immatériel de l'humanité par l'Unesco. Avec d'autres, il constitue un dossier qu'il entend soumettre au ministère de la Culture. Il vante surtout le modèle britannique de l'English Heritage, un organisme public qui gère et finance le patrimoine historique national. "Il faut que les élus, ceux qui ont les subventions pour développer ce patrimoine, s'investissent."

Les mentalités commencent à changer, se réjouit-il. "En France, la reconstitution historique était très méconnue. Cela ne fait que dix ans que le grand public commence à s'y intéresser. Et les reconstitueurs sont de moins en moins perçus comme des marginaux." Leur autre grand rendez-vous cette année, c'est le 500e anniversaire de la bataille de Marignan. Et cette fois, c'est une victoire française.

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