Cet article date de plus d'onze ans.
Berlinale : interview de Nicolas Philibert, réalisateur de La Maison de la Radio
La matinale de France Inter, l'enregistrement d'un concert ou d'une fiction : avec "La Maison de la radio ", documentaire présenté à la Berlinale, Nicolas Philibert explore l'effervescence des coulisses de Radio France, montrant les visages, les images et les corps derrière des voix souvent familières. Interview du réalisateur français.
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Temps de lecture : 8min
La première fois que j’ai entendu parler de La Maison de la radio, c’est lors d’une présentation de Nénette il y a bientôt trois ans. Vous parliez alors du projet comme une envie de filmer un lieu où l’image est bannie. Qu’est devenue cette première envie ?
C’est vrai, la radio c’est un média sans image ; et c’est ce qui m’a donné envie de faire le film, d’une certaine manière. Faire un film sur la radio c’est une idée un peu bébête, c’est contre-nature. La beauté de la radio est liée à l’absence d’images. On nous entraîne sur toute la surface de la Terre, on nous fait voyager, et les images ont les fabrique soi-même. Donc quelle est la pertinence de faire un film dans ce lieu de production d’oralité si c’est juste pour illustrer, montrer la tête des gens ? Cela n’a pas d’intérêt en tant que tel. À partir de là, cela devient un défi de cinéma. Comment faire pour montrer sans montrer, sans trop montrer, tout dévoiler ? C’est une question de cinéma d’une certaine manière. La Maison de la radio nous a fait l’effet d’une authentique comédie : gesticulations, taquineries, montages gentiment moqueurs… À quel moment cette idée là est-elle apparue ? Était-ce fortuit ?
En tournant je n’avais pas vraiment cette conscience-là. C’est en montant que j’ai davantage réalisé la drôlerie de certaines situations, mais aussi de certains enchainements : en effet ce qui nous fait rire c’est tantôt les moments, ce que peuvent dire les gens, leurs gestuelles, leurs mimiques, mais c’est aussi souvent une coupe.
Oui, c’est souvent vous qui ménagez ces effets comiques.
On ne sait pas non plus très bien où on va, quand on monte. J’ai monté le film seul, chez moi, pendant presque un an. Très peu de gens l’ont vu en cours de route. Le producteur est passé une fois ou deux, la distributrice aussi, c’est à peu près tout. Donc je ne savais pas très bien jusqu’où cela faisait rire ou pas. Vous me parlez de comédie : mais je n’ai pas eu l’impression de faire une comédie. J’ai eu l’impression de faire un film avec des situations drôles, de là à parler de comédie…
Mais c’est très bien la comédie ! Et effectivement, il n’y a pas que ça dans le film.
Bien sûr, et surtout on ne rit pas à l’insu des gens, on rit avec eux, de bon cœur. Justement, quelle complicité avez-vous entretenue avec ces animateurs, propulsés personnages de cinéma ? Vous parlez de montage, mais par exemple, quand vous cadrez Frédéric Lodéon dépassant à peine de sa pile de disques de classique, il y a de l’humour, et cela dès le moment du tournage…
En cadrant comme ça, il y a l’envie de faire sourire, en effet. Mais le bureau de Frédéric Lodéon c’est un capharnaüm extraordinaire, il y a des CD du sol au plafond ! J’ai cadré ainsi pour parler également de ça. Vous demandiez dans quelle mesure il y a une complicité entre les gens : je pense que dans bien des situations que j’ai filmées, il y avait une forte complicité. Marie Claude Pinson, que je filme au bocal, qui a une sorte de fonction de tour de contrôle… Oui c’est d’ailleurs une des rares pièces avec des fenêtres.
Voilà, et j’ai eu avec elle une complicité : il y avait des regards entre nous, on se parlait entre deux prises. Juste avant vous quelqu’un m’a demandé : « comment faites-vous pour vous faire oublier ? » Or l’idée n’est pas de me faire oublier : me faire discret, oui, pour ne pas trop perturber le cours des choses, mais pas de me faire oublier, ni de filmer les gens à leur insu. Je suis là, je suis présent, avec eux. À côté, proche.
Le film s’écoule sur une journée : cela n’est pas tout de suite évident, mais peu à peu les programmes qui s’alternent dessinent le jour qui avance, le soir, les émissions de nuits… Vous auriez pu le monter différemment, de façon pyramidale par exemple, or de cette façon on se retrouve dans un labyrinthe de cagibis, la maison n’est pas du tout cartographiée, ni l’espace ni son organisation. Vous avez cherché à désorienter le spectateur ?
Cette idée me plait beaucoup. Je n’y ai pas pensé exactement dans ces termes là, le côté cagibi. Mais comme quoi c’est formidable, quand on apprend des choses sur son propre travail une fois le film fini. Quand on fait un film, beaucoup de choses nous échappent. Le film dit toujours autre chose que ce qu’on a voulu dire. Bref, toujours est-il que ce côté cagibi, recoin, emboîtement de petits endroits, j’en étais conscient et un peu inconscient aussi. Je n’ai pas cherché à localiser les gens les uns par rapport aux autres, à dire où est-ce qu’on est ; les gens sont souvent en plans serrés, on est sur les visages, les mimiques, les regards. C’est un film sur les regards et sur l’écoute. Ce n’est pas un film sur les couloirs de la maison de la radio, même si on les voit une fois ou deux, mais c’est pas le sujet : pas l’architecture, les rouages, l’histoire de l’institution, mais une grande diversité de voix, de regards, de timbres, d’accents. Vous filmez peu d’invités politiques : est-ce pour garder une sorte d’atemporalité ?
Je ne voulais pas trop dater le film. J’ai filmé plusieurs fois la matinale avec les politiques, les chroniques. Mais l’actualité c’est périssable. Elle n’est évidemment pas absente du film – on entend parler du tsunami, de la Tunisie… Néanmoins si les contenus prennent trop de place, ça n’est plus un film sur la radio.
Est-ce que c’est plus facile de se faire accepter d’un professionnel de la radio ou d’un orang-outan ?
Un orang-outan, en tout cas l’orang-outan que j’ai filmé, Nénette, est un orang-outan qui a une histoire et un rapport à l’image très particulier, puisqu’elle est offerte aux regards des visiteurs depuis quarante ans. Et depuis quarante ans elle en a vu passer des appareils photos. Elle est totalement blasée, rompue à l’exercice de l’image. Elle ne connaît peut-être pas son image – quoique, elle se reconnaît dans une glace – mais elle est habituée à l’idée d’être regardée. Les gens de la radio le sont moins, mais il nous ont quand même accepté, ils nous ont accueilli de façon assez chaleureuse et spontanée. Et puis maintenant ils sont filmés par des webcams : c’est moins leur intimité qu’à une autre époque, même si ce n’est pas tellement eux qui sont filmés, plutôt les invités politiques et les humoristes. La plupart des producteurs ne sont pas à l’image, il y en a qui tiennent vraiment à leur anonymat. Mais je ne force pas les gens, je prends ce qu’on me donne.
Retrouvez cette interview et toute l'actualité du Festival, reportages, critiques et vidéos sur le Blog franco-allemand de la Berlinale
C’est vrai, la radio c’est un média sans image ; et c’est ce qui m’a donné envie de faire le film, d’une certaine manière. Faire un film sur la radio c’est une idée un peu bébête, c’est contre-nature. La beauté de la radio est liée à l’absence d’images. On nous entraîne sur toute la surface de la Terre, on nous fait voyager, et les images ont les fabrique soi-même. Donc quelle est la pertinence de faire un film dans ce lieu de production d’oralité si c’est juste pour illustrer, montrer la tête des gens ? Cela n’a pas d’intérêt en tant que tel. À partir de là, cela devient un défi de cinéma. Comment faire pour montrer sans montrer, sans trop montrer, tout dévoiler ? C’est une question de cinéma d’une certaine manière. La Maison de la radio nous a fait l’effet d’une authentique comédie : gesticulations, taquineries, montages gentiment moqueurs… À quel moment cette idée là est-elle apparue ? Était-ce fortuit ?
En tournant je n’avais pas vraiment cette conscience-là. C’est en montant que j’ai davantage réalisé la drôlerie de certaines situations, mais aussi de certains enchainements : en effet ce qui nous fait rire c’est tantôt les moments, ce que peuvent dire les gens, leurs gestuelles, leurs mimiques, mais c’est aussi souvent une coupe.
Oui, c’est souvent vous qui ménagez ces effets comiques.
On ne sait pas non plus très bien où on va, quand on monte. J’ai monté le film seul, chez moi, pendant presque un an. Très peu de gens l’ont vu en cours de route. Le producteur est passé une fois ou deux, la distributrice aussi, c’est à peu près tout. Donc je ne savais pas très bien jusqu’où cela faisait rire ou pas. Vous me parlez de comédie : mais je n’ai pas eu l’impression de faire une comédie. J’ai eu l’impression de faire un film avec des situations drôles, de là à parler de comédie…
Mais c’est très bien la comédie ! Et effectivement, il n’y a pas que ça dans le film.
Bien sûr, et surtout on ne rit pas à l’insu des gens, on rit avec eux, de bon cœur. Justement, quelle complicité avez-vous entretenue avec ces animateurs, propulsés personnages de cinéma ? Vous parlez de montage, mais par exemple, quand vous cadrez Frédéric Lodéon dépassant à peine de sa pile de disques de classique, il y a de l’humour, et cela dès le moment du tournage…
En cadrant comme ça, il y a l’envie de faire sourire, en effet. Mais le bureau de Frédéric Lodéon c’est un capharnaüm extraordinaire, il y a des CD du sol au plafond ! J’ai cadré ainsi pour parler également de ça. Vous demandiez dans quelle mesure il y a une complicité entre les gens : je pense que dans bien des situations que j’ai filmées, il y avait une forte complicité. Marie Claude Pinson, que je filme au bocal, qui a une sorte de fonction de tour de contrôle… Oui c’est d’ailleurs une des rares pièces avec des fenêtres.
Voilà, et j’ai eu avec elle une complicité : il y avait des regards entre nous, on se parlait entre deux prises. Juste avant vous quelqu’un m’a demandé : « comment faites-vous pour vous faire oublier ? » Or l’idée n’est pas de me faire oublier : me faire discret, oui, pour ne pas trop perturber le cours des choses, mais pas de me faire oublier, ni de filmer les gens à leur insu. Je suis là, je suis présent, avec eux. À côté, proche.
Le film s’écoule sur une journée : cela n’est pas tout de suite évident, mais peu à peu les programmes qui s’alternent dessinent le jour qui avance, le soir, les émissions de nuits… Vous auriez pu le monter différemment, de façon pyramidale par exemple, or de cette façon on se retrouve dans un labyrinthe de cagibis, la maison n’est pas du tout cartographiée, ni l’espace ni son organisation. Vous avez cherché à désorienter le spectateur ?
Cette idée me plait beaucoup. Je n’y ai pas pensé exactement dans ces termes là, le côté cagibi. Mais comme quoi c’est formidable, quand on apprend des choses sur son propre travail une fois le film fini. Quand on fait un film, beaucoup de choses nous échappent. Le film dit toujours autre chose que ce qu’on a voulu dire. Bref, toujours est-il que ce côté cagibi, recoin, emboîtement de petits endroits, j’en étais conscient et un peu inconscient aussi. Je n’ai pas cherché à localiser les gens les uns par rapport aux autres, à dire où est-ce qu’on est ; les gens sont souvent en plans serrés, on est sur les visages, les mimiques, les regards. C’est un film sur les regards et sur l’écoute. Ce n’est pas un film sur les couloirs de la maison de la radio, même si on les voit une fois ou deux, mais c’est pas le sujet : pas l’architecture, les rouages, l’histoire de l’institution, mais une grande diversité de voix, de regards, de timbres, d’accents. Vous filmez peu d’invités politiques : est-ce pour garder une sorte d’atemporalité ?
Je ne voulais pas trop dater le film. J’ai filmé plusieurs fois la matinale avec les politiques, les chroniques. Mais l’actualité c’est périssable. Elle n’est évidemment pas absente du film – on entend parler du tsunami, de la Tunisie… Néanmoins si les contenus prennent trop de place, ça n’est plus un film sur la radio.
Est-ce que c’est plus facile de se faire accepter d’un professionnel de la radio ou d’un orang-outan ?
Un orang-outan, en tout cas l’orang-outan que j’ai filmé, Nénette, est un orang-outan qui a une histoire et un rapport à l’image très particulier, puisqu’elle est offerte aux regards des visiteurs depuis quarante ans. Et depuis quarante ans elle en a vu passer des appareils photos. Elle est totalement blasée, rompue à l’exercice de l’image. Elle ne connaît peut-être pas son image – quoique, elle se reconnaît dans une glace – mais elle est habituée à l’idée d’être regardée. Les gens de la radio le sont moins, mais il nous ont quand même accepté, ils nous ont accueilli de façon assez chaleureuse et spontanée. Et puis maintenant ils sont filmés par des webcams : c’est moins leur intimité qu’à une autre époque, même si ce n’est pas tellement eux qui sont filmés, plutôt les invités politiques et les humoristes. La plupart des producteurs ne sont pas à l’image, il y en a qui tiennent vraiment à leur anonymat. Mais je ne force pas les gens, je prends ce qu’on me donne.
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