Une enquête ouverte après le témoignage d'un professeur qui affirme avoir subi des violences policières à Saint-Denis
Guillaume Vadot assure avoir été agressé, jeudi soir, par des policiers pour avoir voulu les filmer lors d'une intervention à Saint-Denis. Ce doctorant de 28 ans a organisé, lundi, une conférence de presse pour revenir sur cette affaire. Il porte plainte et saisit le Défenseur des droits.
Il entend dénoncer les violences policières dont il se dit victime. Guillaume Vadot, 28 ans, doctorant et chargé de cours en science politique à l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne, a d'abord écrit son récit de la soirée du jeudi 22 septembre dans une mailing-list adressée à ses collègues enseignants. Son texte, posté sur Facebook par l'un d'entre eux, est devenu viral avant d'être supprimé par le réseau social. Une copie a été mise en ligne sur un blog de Mediapart. Et pour alerter l'opinion, Guillaume Vadot a finalement décidé d'organiser une conférence de presse, lundi 26 septembre, pour raconter son calvaire. Mardi, la préfecture de police (PP) de Paris annonce à franceinfo, avoir saisi l'Inspection générale de la police nationale (IGPN, police des polices) au sujet de ce témoignage.
Ce jeudi soir-là, après une réunion, il regagne Saint-Denis où il vit, accompagné d'une collègue. A la sortie de la gare RER de cette ville de Seine-Saint-Denis, les "cris stridents" d'une "dame noire d'environ 45 ans" attirent son attention. "Elle avait des menottes et elle criait en raison de la douleur", témoigne Guillaume Vadot.
Un attroupement se crée, une trentaine de policiers et agents de la sûreté ferroviaire sont sur place, selon le doctorant. "Sortir mon téléphone, c'était un geste militant et en même temps assez banal", explique celui qui assume son engagement au Nouveau Parti anticapitaliste (NPA). Dès qu'ils le repèrent, les policiers lui demandent d'arrêter de filmer, prétextant que "c'est interdit dans la gare" et lui annoncent qu'il va faire l'objet d'un contrôle d'identité.
"Maintenant, c'est nous qui allons jouer avec toi"
Le jeune homme raconte avoir été attrapé par l'épaule. Plaqué contre une porte, Guillaume Vadot a alors les deux bras pliés dans le dos, "la pression sur mes bras est telle que je n'ai plus de souffle pour parler ou me débattre". "Coincé", il est "obligé d'écouter" ce que deux policiers qui l'entourent ont à lui dire. "Tu as voulu jouer avec la police. Maintenant, c'est nous qui allons jouer avec toi", entend-il. Un déferlement de haine s'ensuit. "Tu es un pédé, on va te tuer." Il assure ensuite avoir ensuite subi des attouchements sexuels.
L'un des policiers a placé sa main sur ma fesse gauche en me disant que si je continuais comme ça, j'allais me faire violer.
Selon le récit du jeune homme, les policiers évoquent alors le groupe Etat islamique : "Ils me demandent ce que je ferai quand Daech viendra, si j'allais me masturber ou les sucer, explique calmement Guillaume Vadot, lors de sa conférence de presse à Paris, s'excusant pour la vulgarité des propos. Ils me reprochaient de collaborer avec Daech en ayant voulu les filmer." Il raconte également avoir reçu des coups de pieds. Lors de la fouille, les policiers découvrent sa carte professionnelle. "Quand ils ont vu que j'étais de la Sorbonne, ils m'ont traité de 'sale pédé' et de 'sale gauchiste'. Ils ont menacé de venir nous exterminer à la Sorbonne. Puis, ils ont trouvé mon adresse [non loin de la gare]. Là, ils ont montré mon immeuble et ils m'ont dit : 'On va mettre une cagoule, on va venir chez toi et on va te violer'."
Un appel à témoins lancé
Les policiers notent également que Guillaume Vadot est contractuel. Ils lui lancent : "Ta titularisation, tu peux te la mettre. On va faire un rapport salé à la préfecture et tu vas mourir." L'agent qui est à sa gauche lui met un coup de Taser. "Là, j'étais assez inquiet de ce que serait l'étape suivante", souffle le jeune homme. Au terme d'une dizaine de minutes, les policiers relâchent les bras du professeur et lui demandent de déverrouiller son téléphone et de supprimer les vidéos qu'il vient de tourner.
Finalement, mon téléphone m'est arraché des mains par un policier. Il entre dans la galerie photos et efface les vidéos.
"Ensuite, il va dans le dossier 'supprimés récemment' et il supprime à nouveau les vidéos. Puis, il me demande si j'ai iCloud [espace de stockage en ligne proposé par Apple], j'ai répondu : 'Non'." Appelés sur une autre opération, les policiers laissent finalement Guillaume Vadot, "penaud", qui retrouve son amie.
Face aux réactions suscitées par son témoignage relayé sur les réseaux sociaux, il se décide à porter plainte et à médiatiser son affaire pour "tirer la sonnette d'alarme" et mettre en lumière "toutes les personnes brutalisées de la sorte dans ce contexte". Grâce à un ami doué en informatique, le professeur a pu récupérer les vidéos qu'il a tournées jeudi soir, où les policiers qu'il met en cause sont parfaitement identifiables. Des images diffusées lors de sa conférence de presse. Il lance également un appel à témoins pour retrouver des personnes ayant pu assister à la scène qu'il a vécue.
Le cabinet de Cazeneuve l'incite à saisir la police des polices
Pour l'avocat de Guillaume Vadot, maître Slim Ben Achour, il s'agit d'une "affaire classique et banale qui frappe par la volonté de détruire les preuves de violences policières". "Le droit de filmer est un droit fondamental et même vital notamment contre le contrôle au faciès, ajoute l'avocat. De témoin, il est passé au statut de victime. Aujourd'hui, les citoyens sont visés. Après les étrangers, on passe aux intellectuels, aux gauchistes." Une plainte va être déposée, mardi 27 septembre, auprès du procureur de la République de Bobigny pour abus d'autorité, violences volontaires aggravées, agression sexuelle aggravée, menaces, injures publiques et vol (les policiers lui ont dérobé son paquet de cigarettes). Le Défenseur des droits va également être saisi.
Contacté par franceinfo, le cabinet du ministre de l'Intérieur a incité "dès vendredi" le jeune professeur à signaler son cas auprès de l'IGPN. De son côté, la préfecture de police de Paris (PP) précise qu'un "contrôle a bien eu lieu ce soir là en gare de Saint-Denis". "Des vérifications sont en cours", poursuit la PP, qui indique également que le préfet a saisi l'IGPN.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.