Les résultats du bac sont-ils menacés par la grève des correcteurs ?
Dans plusieurs académies, des enseignants ont mis en place une "rétention des notes" du bac. Ils veulent que le gouvernement rouvre des négociations sur les réformes du lycée et du bac, qu'ils contestent.
L'horloge tourne. Plus de 122 000 notes des copies du baccalauréat (sur 4 millions) n'ont pas été rentrées mardi 2 juillet dans le logiciel informatique, à quelques heures de la limite d'enregistrement. Les correcteurs grévistes demandent au ministre de l'Education, Jean-Michel Blanquer, de rouvrir les négociations sur les réformes du lycée et du bac, auxquelles ils s'opposent. Cette action s'inscrit dans une nouvelle grève des enseignants du primaire et du secondaire démarrée ce mardi matin, et qui court jusqu'à la mi-juillet.
"Cela signifie qu'un quart des candidats auraient des problèmes si les jurys se tenaient", précise à franceinfo Louise*, animatrice de la plateforme Bloquons Blanquer et professeure des écoles. Les jurys doivent en effet se réunir jeudi pour finaliser les résultats du bac, mais faute d'avoir reçu toutes les notes, ces derniers pourraient ne pas être publiés vendredi comme prévu. "Il suffit qu'un élève n'ait pas sa note de philo, d'histoire-géographie ou de sciences – parce que ce sont dans ces disciplines que les correcteurs ont les plus mobilisés – et on ne peut pas faire le total, donc on ne peut pas savoir s'il a le bac, s'il passe le deuxième tour ou pas", renchérit Frédérique Rolet, secrétaire générale et porte-parole du Snes-FSU.
"Dans certains jurys, le nombre de correcteurs grévistes est majoritaire, fait savoir Marc, professeur de philosophie gréviste, à franceinfo. Et certains correcteurs ne se sont pas forcément signalés, j'en connais quelques-uns. Donc le nombre de mobilisés est sans doute plus important." En l'état, il est impossible de donner une date définitive pour la publication exhaustive des résultats.
Menace de sanctions sur les grévistes
Malgré cette mobilisation inédite, Jean-Michel Blanquer a pourtant assuré lundi que "chacun aura ses résultats en temps et en heure" vendredi. "Personne ne doit prendre la responsabilité d'empêcher le bon fonctionnement du service public", a martelé le ministre. "Si une note n'est pas rentrée, le correcteur va être contacté pour un rappel à l'ordre, ajoute-t-on au ministère de l'Education. Il lui sera aussi expliqué qu'il sera considéré comme gréviste, non pas seulement le jour même, mais à partir du moment où il a retiré ses copies, ce qui peut représenter jusqu'à quinze jours sans salaire dans certains cas." Et si les copies ne sont pas restituées comme prévu jeudi, les professeurs s'exposent à "des sanctions très graves".
Face à ces menaces, les enseignants se défendent. "Nous nous sommes renseignés sur la légalité de notre action, aussi bien au niveau des services juridiques des syndicats que d'avocats", reprend Louise.
Les enseignants peuvent se mettre en grève et se dessaisir de leur charge de travail, comme l'entrée des notes. Donc cette action est légale.
Louise, professeure des écolesà franceinfo
"Ce qui serait sujet à sanction serait de ne pas corriger les copies, assure l'enseignante. Certains correcteurs ont quand même rentré quelques notes à la marge pour prouver qu'ils ne sont en grève qu'à partir d'aujourd'hui."
C'est le cas de Marc. "J'ai rentré deux-trois notes pour bien montrer que je travaillais hier, mais c'est anecdotique sur plus de cent copies", explique-t-il. Le professeur parisien dénonce les menaces "fallacieuses" de Jean-Michel Blanquer destinées selon lui à "impressionner des collègues indécis".
Comme tous les agents de la fonction publique, les professeurs peuvent être toutefois réquisitionnés pour un service minimum, mais la décision doit être motivée et peut être contestée devant un tribunal administratif. "Certains fonctionnaires sont astreints à un service minimum dès lors que leur grève porterait une atteinte grave au service public, comme les urgentistes, pompiers, poursuit Marc. Nous, notre grève ne représente pas un danger énorme. S'il y a un ou deux jours de retard, ce n'est pas dramatique pour nos élèves."
"On est vraiment désespérés"
Le professeur rappelle que cette action est la dernière d'une longue série cette année. "On a essayé plein de choses mais on est vraiment désespérés. On a fait des trucs très bizarres, mettre des 20 sur 20, se coucher par terre devant le ministère – et pour que des profs se couchent par terre, je peux vous dire que c'est pas évident, c'est pas dans notre culture", sourit Marc. Une mobilisation au moment de la correction du bac n'était pas arrivée depuis mai 1968.
On n'a jamais été entendus. On a tenté la grève des surveillants et on s’est moqués de nous parce qu’on peut être très facilement remplaçables. Mais personne ne peut nous remplacer sur des corrections.
Marc, professeur de philosophieà franceinfo
Marc estime que la grève des surveillants a fait "sauter un verrou mental" pour beaucoup de professeurs, mais que la décision de ne pas rentrer les notes du bac a été difficile à prendre. "Pour nous, le bac représente un aboutissement, il a une aura. Perturber un petit peu cette chose sacrée, cela demande un travail sur soi, raconte-t-il. Mais cette année, il y a une telle colère face à la surdité et l’invisibilisation de nos inquiétudes, qu'on sentait que c'était un peu le seul moyen d'alerter."
Une mobilisation à Paris
Mardi à la mi-journée, un rassemblement a eu lieu au métro Solférino, non loin du ministère de l'Education, pour demander qu'une délégation d'enseignants du primaire et du secondaire soit reçue. Plus tard, une assemblée générale à la Bourse du travail, à Paris, doit décider des suites à donner au mouvement. "Tout dépendra de la réponse du ministère cet après-midi", prévient Marc.
Mardi midi, plus de 6 000 personnes ont signé une "Déclaration d'amour aux enseignant.e.s en grève", dont de nombreux parents d'élèves, le chroniqueur François Morel ou le cinéaste Bertrand Tavernier. "Alors, oui, aujourd'hui, nous affirmons que vous ne prenez pas nos enfants en otage, est-il écrit dans le texte. Alors, oui, aujourd’hui, nous prenons ouvertement votre défense, vous qui assurez au quotidien l’accompagnement de nos enfants vers les chemins de leur autonomie."
* Le prénom a été modifié
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