Bac 2015 : les footballeurs sont moins bêtes que vous ne le croyez
Matière grise et rectangle vert font bon ménage, si, si !
"Passe ton bac d'abord." Vos parents vous ont sans doute rabâché cette phrase. C'est aussi ce que serinent les clubs professionnels à leurs apprentis footballeurs. Chaque année, plusieurs centaines d'entre eux planchent sur la philo ou les maths comme les ados de leur âge. Avec un taux de réussite similaire, autour de 85%. Lisez cet article avant de traiter les footballeurs de benêts lors du prochain 0-0 en Ligue 1.
"Je veux avoir le bac pour ne pas être montré du doigt"
"Il y a une vraie motivation chez les apprentis footballeurs pour décrocher le bac", confie Philippe Hervé, directeur du Centre éducatif nantais pour sportifs (CENS), où passent les jeunes pousses du FC Nantes. "Pour eux, c'est un point de passage obligé." Les joueurs bénéficient d'horaires adaptés pour concilier leurs demi-journées d'entraînement avec leurs demi-journées de cours. Les jeunes du club de Toulouse (TFC) effectuent leur première et leur terminale en trois ans. "Ce que je déplore, c'est que bien souvent, ils revoient leurs ambitions à la baisse après la seconde, confie une prof de maths qui enseigne à des élèves du TFC au lycée Bellevue. Celui qui disait en début de seconde qu'il voulait faire un bac S se rabattra souvent sur un bac ES à la fin de l'année. Ils ont peur de ne pas y arriver. Mais ils veulent obtenir le diplôme à tout prix. Ils disent : 'Je veux avoir le bac pour ne pas qu'on me montre du doigt'."
Si la scolarité n'est pas leur priorité, rares sont ceux qui renoncent, même dans une matière où ils sont en difficulté. "Ils sont beaucoup plus accrocheurs que les autres, relève l'enseignante. Dans d'autres classes, un élève va gribouiller trois lignes sur sa copie et s'allonger sur sa table en attendant la fin du devoir. Eux ne vont pas renoncer, ils vont s'accrocher jusqu'au bout. C'est leur esprit de compétition, et c'est une vraie qualité." Dans cette quête du Graal, pardon, du bac, les parents ont une influence considérable. "Les parents sont de plus en plus impliqués dans le double projet sportif et scolaire, confirme Philippe Hervé, qui envoie une dizaine de footballeurs au bac cette année. Mais il y en a encore certains qui nous délèguent entièrement l'éducation de leurs enfants."
"Le bac, un sésame pour dire : 'j'arrête mes études'"
A l'âge de 17-18 ans, tout se bouscule pour un jeune footballeur. C'est le moment du bac et du premier contrat pro, voire, pour certains, des premiers matchs en Ligue 1. Tout le monde n'a pas la maturité d'un Raphaël Varane, qui a raccroché au nez de Zinedine Zidane alors qu'il révisait son bac ES. Son transfert de Lens au Real Madrid passait après son diplôme. Mais, bien souvent, le bac signifie la fin des études pour les jeunes footballeurs. "Le bac, c'est aussi un sésame pour dire aux parents : 'j'arrête les études'", concède Matthieu Bideau, chef du recrutement des jeunes au FC Nantes.
"De toute façon, il est quasiment impossible de concilier le football professionnel et une filière post-bac", poursuit-il. On oppose souvent les footballeurs aux rugbymen. Thierry Dusautoir, capitaine des Bleus, est ainsi ingénieur. Mais leur arrivée dans le grand bain de l'élite se fait un peu plus tard. Et les clubs les poussent à prolonger leurs études. Car les salaires dans le rugby ne font pas (encore) tourner les têtes. "A cet âge-là, les jeunes footballeurs ne voient que l'après-carrière des joueurs qui disputent la Ligue des champions et qui sont à l'abri du besoin, poursuit Matthieu Bideau. Pourtant, même après une bonne carrière en Ligue 1 ou en Ligue 2, ils devront se remettre à travailler. Mais ils ne s'en rendront compte qu'au pied du mur."
C'est ce qui est arrivé à Guillaume Borne, qui a passé son bac "comme le voulaient [ses] parents". A 19 ans, il est propulsé en équipe première, et s'attache un conseiller financier, recommandé par ses équipiers, qui a la folie des grandeurs. "Il m'a fait faire des investissements qui ne correspondaient pas à mes revenus, raconte celui qui était considéré comme un grand espoir. Il m'a fait acheter une maison dans le Sud, dans un coin paumé. Je n'ai jamais gagné d'argent avec, mais lui a touché sa commission." Sa carrière ne prend pas le tournant espéré, et Guillaume Borne reprend ses études, alors qu'il évolue en National. "Beaucoup de joueurs se disent qu'ils n'ont pas le temps de continuer leurs études une fois devenus pros. C'est faux. Je suivais des études par correspondance, ça me prenait une heure dans la journée. Tout le monde peut la dégager, cette heure. Après, il faut avoir de la volonté. Je recevais 300 pages à étudier, tous les trois jours." Sa filière ? L'immobilier d'abord, l'analyse financière ensuite, pour éviter que de telles mésaventures n'arrivent à de jeunes joueurs. Il vient de monter son entreprise, Extra Sport Conseil, tout en continuant sa carrière. Comme quoi les deux sont possibles.
L'école, le terrain où Nantes bat le PSG
L'excellence scolaire devient un argument pour les clubs qui n'ont pas les moyens financiers du PSG ou de Lyon pour attirer les meilleurs jeunes. Au siège du TFC, les diplômes du bac obtenus par les joueurs sont fièrement accrochés aux murs. A Nantes, l'école est devenu un outil de séduction. "Des parents s'assoient sur des offres financières importantes pour venir chez nous, affirme Matthieu Bideau, très fier du CENS, l'école adossée au FC Nantes qui regroupe des élèves venus de 24 disciplines différentes. Ce qui permet aux jeunes footballeurs de sortir du vase clos du centre de formation, où les confinent nombre de clubs qui ont leur propre école privée. "Nos jeunes en rencontrent d'autres qui s'entraînent autant, sinon plus qu'eux, pour pas un rond. Nous avons un champion de roller-skate qui participe à des compétitions en Ukraine, et ce sont ses parents qui payent."
La génération qui passe le bac aujourd'hui sera au sommet de son art autour de 2022, date de la Coupe du monde au Qatar. On guettera le nombre de bacheliers dans la liste du futur sélectionneur. Ils devraient être une vingtaine dans les 23, si la moyenne nationale est respectée. Un net progrès par rapport aux neuf bacheliers qui figuraient dans la liste de Didier Deschamps en 2014, ou aux deux champions du monde 1998 qui avaient leur bac.
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