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"Un lionceau, ça ne vaut pas une fortune" : comment des particuliers parviennent à dénicher des fauves au marché noir

En moins de cinq ans, plus d'une quinzaine de grands fauves ont été saisis chez des particuliers, principalement en Ile-de-France. Franceinfo a mené l'enquête sur ce trafic de lions ou de tigres "d'appartement".

Article rédigé par Robin Prudent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Un lionceau en Turquie, le 24 août 2017 (photo d'illustration). (ENSAR OZDEMIR / ANADOLU AGENCY / AFP)

A la fin septembre, dans un appartement de Seine-Saint-Denis, un jeune rappeur, torse nu, jean usé et claquettes-chaussettes, prend la pose avec un lionceau attaché avec une chaîne en métal. La photo fait rapidement le tour des réseaux sociaux. Quelques semaines plus tard, mardi 10 octobre, le jeune homme de 24 ans est arrêté par les policiers pour "détention d'espèce animale non domestique protégée".

Les photos du lionceau diffusées sur les réseaux sociaux par l'homme écroué pour "détention d'espèce animale non domestique protégée". (MONTAGE PHOTO FRANCEINFO)

Cette affaire n'est pas exceptionnelle. En moins de cinq ans, plus d'une quinzaine de grands fauves ont été saisis chez des particuliers par l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), principalement en Ile-de-France. Franceinfo a mené l'enquête sur ce trafic d'animaux sauvages "de compagnie".

"Des habitants entendaient des rugissements"

Des histoires de gros félins retrouvés chez des particuliers, dans des jardins ou des appartements, Eric Hansen, délégué inter-régional de l'ONCFS, en a plein les tiroirs. "Une fois, des habitants nous ont appelés parce qu’ils entendaient des rugissements dans une forêt toute proche, se rappelle-t-il. Nous sommes allés sur place et nous avons trouvé un lion et un tigre, dans une petite cage de deux mètres sur deux, près d'une habitation."

Nous sommes aussi intervenus près d’Orléans, où un homme avait fait passer une petite annonce pour louer un lion pour sa soirée, hors des circuits officiels.

Eric Hansen, de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage

à franceinfo

Plusieurs propriétaires illégaux d'animaux sauvages se sont aussi fait interpeller après avoir contacté des professionnels du secteur. "Il y a quelques années, un vétérinaire nous avait signalé le cas d’un couple qui lui avait demandé de 'dégriffer' leur panthère pour éviter les blessures, raconte Eric Hansen. Il y avait aussi ce taxidermiste, contacté par un homme qui possédait un vieux lion et qui voulait le transformer en descente de lit..."

1 500 euros pour deux heures avec un lionceau

Comment ces espèces protégées, et dangereuses, peuvent-elles se retrouver dans des jardins de particuliers, voire même dans leurs appartements en région parisienne ? Contrairement à ce que l'on peut imaginer, les importations en provenance de pays lointains sont assez rares pour ce genre d'animaux, car les coûts, les contraintes et les risques sont trop importants. Vous ne trouverez pas non plus d'annonces explicites sur Le Bon coin. Trop risqué. "En réalité, ces animaux proviennent le plus souvent de cirques itinérants ou de parcs zoologiques, français ou étrangers, au sein de milieux bien particuliers", explique Eric Hansen.

S’offrir un lion, c’est possible ?
S’offrir un lion, c’est possible ? S’offrir un lion, c’est possible ?

A la mi-octobre, franceinfo s'est rendu dans plusieurs cirques, en caméra cachée, sous la fausse identité d'un organisateur de soirées privées parisiennes qui souhaite pimenter ses fêtes. Verdict : la plupart des forains rencontrés proposent de louer leurs fauves sans difficulté. "Oui bien sûr, on en a fait la semaine dernière, justement", répond sans hésiter le gérant d'un cirque installé en Ile-de-France lorsque l'on demande s'il est possible de louer un lionceau pour une soirée privée. Le tarif, à régler en espèces "pour ne pas ajouter de TVA",  selon lui, est fixé à 1 500 euros les deux heures.

On a un petit [lion] que l'on a élevé au biberon. Il a 4 mois. Ça se manie très bien, les gens font des photos avec. On peut le prendre dans les bras, on met un petit collier et une laisse.

le directeur d'un cirque

à franceinfo

A quelques dizaines de kilomètres de là, au bord d'un rond-point, un autre forain nous propose n'importe lequel de ses animaux, du zèbre au singe. Pas de problème non plus pour louer un lionceau. "Il faut qu’on reste à côté pour la sécurité, prévient simplement le quadragénaire devant la cage de l'animal. Ce n’est pas méchant, mais on est obligé de le tenir." 

"Ce que l'on vous a proposé est illégal"

Mais ces locations de félins, qui semblent ordinaires pour les propriétaires de cirques, sont-elles légales ? "Ce que l'on vous a proposé est illégal", tranche l'ONCFS. Et pour cause : à aucun moment les personnes rencontrées par franceinfo dans des cirques ne mentionnent l'autorisation d'ouverture préfectorale obligatoire pour ce genre de présentation. Avant d'attribuer cette autorisation, la Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations peut demander un rapport complet sur les conditions de détention et de présentation des animaux.

Plus globalement, s'il n’existe aucun texte interdisant spécifiquement la location d’animaux sauvages, cette dernière peut poser de nombreux problèmes. "Les règles pour présenter un animal sauvage prévoient des enclos particuliers qui sont, a priori, incompatibles avec une location en appartement", explique l'avocate Agathe Halkovich. Pour un lion, l'arrêté du 18 mars 2011 définit la taille des cages à utiliser afin de présenter ce type de félins au public : "Les animaux doivent être présentés dans une installation garantissant tout risque d'évasion. L'installation doit être pourvue dans sa partie supérieure d'un filet, à moins que la hauteur de la cage soit en tout point supérieure à 4 mètres", est-il écrit.

Dans ces conditions, impossible de faire des photos avec l’animal en laisse, comme cela est proposé par les forains pour ces soirées. "La plupart des animaux dangereux ne peuvent pas être touchés par le public", ajoute Eric Hansen, délégué inter-régional de l'ONCFS. En cas de contrôle, les sanctions peuvent être de nature pénale, avec des poursuites et une amende, ainsi qu'administrative, allant jusqu'à la fermeture de l'établissement.

"Ils ont tous des puces, ils sont suivis"

Au moment d'évoquer la possibilité d'acheter un lionceau, les gérants de cirques rencontrés déclinent cette fois rapidement. "On ne peut pas vendre aux particuliers", "nous, on ne le fait pas", répondent sans hésiter nos interlocuteurs. Il faut dire qu'ils connaissent les risques en cas de vente illégale d'un fauve. "Si le cirque commet ce genre d'infraction, il encourt la perte de son certificat de capacité, et la fermeture administrative ou pénale de son établissement", pointe l'avocate Agathe Halkovich.

Un risque d'autant plus élevé pour les vendeurs que les lionceaux présentés dans ces cirques, âgés de 3 et 4 mois, sont déjà identifiés. "Ils ont des puces, [les autorités] passent un capteur dessus, elles savent quels sont leurs numéros, d’où ils viennent, quelle exploitation", explique le directeur d'un grand cirque. "N’importe quel animal sauvage est suivi. C’est comme un GPS", renchérit un forain rencontré par franceinfo. Pour contourner ces contrôles, il existe des solutions.

Pour le trafic, les cirques peuvent recourir à des naissances non déclarées.

Arnauld Lhomme, de la fondation
30 millions d’amis

à franceinfo

"D'autant que le suivi des cirques itinérants est très complexe avec leur lieu de rattachement, parfois les autorités compétentes ne les ont jamais vus", précise Arnauld Lhomme.

Le trafic de ces animaux serait ainsi réalisé durant certains mois de l'année. “Il y a des périodes pour ça. En ce moment, il n’y a plus beaucoup de naissances. Elles ont plutôt lieu au printemps", explique un gérant de cirque qui ne disposait pas de bébé tigre à la mi-octobre. Au printemps, donc, les naissances sont nombreuses et les gérants disposent de quelques semaines avant de déclarer et de "pucer" les animaux.

"Ce n’est pas très compliqué de s’en procurer"

Le trafic est d'autant plus important que les grands fauves se reproduisent très facilement en captivité. "Beaucoup de félins naissent dans les cirques en France, ce n’est pas très compliqué de s’en procurer", confirme un salarié de la SPA. "Les transactions se font en liquide et les personnes attrapées sont peu bavardes, mais un lionceau, ça ne vaut pas une fortune", renchérit Eric Hansen, de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage. Selon nos informations, le prix d'un lionceau ou d'un bébé tigre oscillerait autour de quelques milliers d’euros.

C’est tellement facile de faire reproduire des fauves ! Beaucoup des petits cirques sont tout contents de ramasser 1 000 euros en vendant un lionceau.

Pierre Thivillon, président de l’association Tonga

à franceinfo

Bien souvent, ces fauves sont ensuite détenus dans des conditions déplorables. Le lionceau récupéré au début du mois d'octobre dans un appartement de Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis) était "dans un mauvais état général, souffrait probablement d'un retrait trop précoce de la mère et d'une alimentation non adaptée", relève ainsi un vétérinaire. "Quelques mois après avoir acheté un fauve, certains les balancent parce qu’ils se rendent compte qu’ils ont fait une connerie", note aussi Arnauld Lhomme, de la fondation 30 millions d’amis.

"On a beaucoup de difficultés à les caser"

Une fois récupérés par les autorités, ces fauves issus de trafics ne sont pas encore sortis d'affaire. "On ne peut pas les remettre dans la nature parce que la réadaptation est très difficile, ils n’ont pas les codes", explique Eric Hansen, de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage. La plupart du temps, les zoos n'en veulent pas non plus. "Les lions castrés des cirques, qui ressemblent à des lionnes, ça n'intéresse pas les zoos, constate Pierre Thivillon, directeur du zoo de Saint-Martin-la-Plaine (Loire) et président de l’association Tonga, qui recueille des animaux saisis. Idem pour les gros félins dont on ne connaît pas l’origine et qui peuvent être issus de croisement de races différentes. Personne n’en veut." 

Il faut alors les placer dans des espaces spécialisés, comme celui de l'association Tonga à Saint-Martin-la-Plaine (Loire). Mais la structure accueille déjà une quinzaine de lions et de tigres et arrive à saturation. "On a beaucoup de difficultés à les caser", reconnaît Arnauld Lhomme, de 30 millions d’amis.

Heureusement, certaines affaires se terminent bien pour les fauves. Le bébé tigre saisi par la justice en juin 2016, alors qu'il était détenu par des dealers de drogue, a pu trouver une place dans le refuge de la Loire. Quelques mois plus tard, il a été réintégré dans un zoo, le Parc de l'Auxois (Côte-d'Or), en compagnie d'une tigresse, avec qui il coule désormais des jours heureux. Une exception dans ce trafic sauvage d'animaux.

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