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"La chasse à courre est la plus écologique" : face aux critiques, des adeptes défendent leur pratique

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11 min
Un veneur sonne le départ pour la chasse, mardi 7 novembre 2017, dans la forêt de Brenne (Indre). (ELISE LAMBERT/FRANCEINFO)

Qui sont les veneurs ? Comment justifient-ils cette activité que certains jugent cruelle ? Franceinfo a assisté à une partie de chasse dans l'Indre.

La scène, qui a fait le tour des réseaux sociaux, fleure bon l'image d'Epinal. Il est environ 15 heures, samedi 21 octobre. Alain Drach, fils de Monique de Rothschild, chevelure grise, pantalon en velours côtelé et bottes noires cirées, enjambe la clôture d'un pavillon de Lacroix Saint-Ouen, dans l'Oise, en bordure de la forêt de Compiègne. Poursuivi par des chasseurs, un cerf se réfugie dans le jardin de la maison et refuse d'en sortir.

Après avoir donné quelques coups de fouet à l'animal, Alain Drach finit par l'abattre de deux tirs de fusil, sur ordre de la gendarmerie. La scène, filmée par l'association AVA (Abolissons la vénerie aujourd'hui), provoque l'émoi chez les défenseurs des animaux qualifiant la vénerie – le nom officiel de la chasse à courre – de pratique cruelle et surannée.

Une semaine plus tard, sous les slogans "Deer lives matter" ("La vie des cerfs compte"), près de 500 personnes se rassemblent à Saint-Jean-aux-Bois, pour demander l'interdiction de cette activité. Plusieurs pétitions sont lancées et Nicolas Hulot, le ministre de la Transition écologique et solidaire, dénonce "une pratique d'une autre époque" qui devrait faire l'objet selon lui "d'un débat de société".

Une situation disproportionnée pour Pierre de Boisguilbert, président de la Société de vénerie : "C'est la nature, on ne fait qu'organiser l'acte naturel de prédation entre les animaux, défend-il auprès de franceinfo. Il peut y avoir des incidents, mais ils sont isolés." 

Un amour de la nature, des chiens et du cheval

Derrière la définition officielle de la vénerie, à savoir "l'art de chasser avec des chiens courant derrière des animaux sauvages", se cachent en fait des réalités très nuancées. La spectaculaire "haute vénerie", spécialisée dans le cerf et le chevreuil, est la plus connue, mais la grande majorité des veneurs chassent le petit gibier (lièvre, lapin et renard). Et à écouter l'équipage du Haut Poitou, réuni mardi 7 novembre, dans une petite maison de chasse en lisière de la forêt de Brenne, dans l'Indre, la vénerie n'a rien à voir avec le fait de tuer un animal. 

"C'est une activité qui lie sport, passion de la nature et des animaux", décrit Stéphane Chataigneau, 50 ans, membre de cette équipe d'une quarantaine d'adhérents chassant le cerf environ deux fois par semaine. "Nous aimons avant tout être ensemble dans la forêt et être avec nos chiens", poursuit le Poitevin, directeur commercial dans l'industrie pharmaceutique et "bouton" (membre officiel d'un équipage de vénerie) depuis l'enfance.

Des "boutons" de l'équipage du Haut Poitou déjeunent dans une maison de chasse située dans la forêt de Brenne, mardi 7 novembre 2017. (ELISE LAMBERT/FRANCEINFO)

Le chien est au cœur de la vénerie et ses adeptes sont souvent fins connaisseurs des meilleures races de "limier". L'équipage du Haut Poitou possède un élevage d'environ 80 chiens de race poitevine, à l'allure élancée, connus pour leur rapidité et dressés pour la vénerie dès leur plus jeune âge. Chaque animal est choisi avec précision : "C'est passionnant d'observer l'intelligence de nos chiens face aux ruses d'un cerf", explique Pierre Astié, membre de l'équipe et auteur d'un livre auto-édité, Vénerie, honneurs à nos chiens. Attablé derrière une longue table en bois, un morceau de pâté dans son assiette, Gilles de Bec Delièvre, 58 ans, responsable commercial dans une entreprise de boissons, renchérit :

La mort d'un animal n'est que la finalité de la chasse. Ce que nous aimons avant tout, c'est ce qu'il y a autour : nos chiens, monter à cheval, être ensemble dans la nature et nous promener.

Gilles de Bec Delièvre

à franceinfo

Dans la petite salle rustique, chauffée par une cheminée ornée de bois de cerf, l'équipage du Haut Poitou savoure omelette aux champignons et fromages avant le départ de la chasse. Levés aux aurores, les veneurs ne connaissent jamais l'heure de leur retour à l'avance. "Parfois un cerf va être pris très rapidement, parfois en plusieurs heures... Souvent, on ne l'attrape jamais", s'amuse Antoine Barrault, 41 ans, commercial dans l'industrie médicale, tombé dans la vénerie "comme Obélix dans la potion magique". 

Redingotes, lavallières et cors de chasse

A 10h30, tous vêtus de leur redingote verte et couleur "ventre de biche", d'un pantalon de velours et de grandes bottes en cuir noir, les veneurs se rassemblent à l'entrée de la forêt pour écouter les consignes du maître d'équipage. "Pas de téléphone portable. On s'arrête si l'on sort de la zone de chasse !" A leurs ceintures, les cavaliers portent la traditionnelle dague, destinée à achever la bête en cas de prise.

L'équipage de vénerie du Haut Poitou, dans la forêt de Brenne (Indre), mardi 7 novembre 2017. (ELISE LAMBERT/FRANCEINFO)

Certains sont équipés d'une trompe de chasse, destinée à communiquer entre eux et avec les chiens. Tous portent des gants blancs et une broche qui les distingue des autres équipages. "Nous, c'est l'insigne du cerf", précise Christian Trouvé, 57 ans, le maître d'équipage, en montrant le bouton doré épinglé sur son col lavallière. L'équipage du Haut Poitou a aussi son propre hymne, La Germaine.

Le "piqueur", la personne chargée de s'occuper des chiens à temps plein, est salariée de l'équipage et vit près du chenil. "C'est une grosse partie des cotisations des veneurs", précise Christian Trouvé. Entre l'entretien des chiens, des chevaux et les frais de transport, la cotisation annuelle s'élève à 2 000 euros. Une somme classique pour un équipage chassant le cerf. Chez les veneurs de chevreuil, la cotisation moyenne est de 500 à 800 euros et pour les équipes de lièvres, elle coûte entre 80 et 150 euros. "Même si la vénerie est ouverte à tous, ce coût est un frein pour les revenus les plus bas", reconnaît Christian Trouvé, céréalier bio et propriétaire d'un centre équestre.

Delphine Trouvé s'apprête à partir à la chasse, dans la forêt de Brenne (Indre), mardi 7 novembre 2017. (ELISE LAMBERT/FRANCEINFO)

Contrairement aux idées reçues, les revenus de ces chasseurs ne sont pas mirobolants, mais tous possèdent ou ont hérité d'un certain patrimoine (terres, lots de forêt, chevaux ou propriétés familiales). Pour autant, ils se défendent de tout élitisme et assurent que leur pratique est l'apanage d'une population très variée. En France, seuls 37 équipages sont consacrés au cerf parmi les 400 recensés par la Société de vénerie. "Sans doute là où se concentrent les CSP++ et les berlines allemandes", précise son président Pierre de Boisguilbert. "Mais sinon il y a tous les profils."

La plupart sont commerciaux, agriculteurs ou encore chefs d'entreprise, souvent venus à la vénerie par tradition familiale ou par passion de l'équitation.

J'ai tué des merles à 14 ans avec mon arbalète, et je me les cuisinais pour le dîner. La chasse fait partie de ma vie. La nôtre est la plus authentique, la plus écologique, elle n'utilise aucune technologie. C'est un apostolat, un mode de vie.

Pierre de Boisguilbert

à franceinfo

Héritier d'une famille de veneurs depuis quatre générations, Christian Trouvé, qui se définit comme "naturaliste convaincu", explique "être né dedans". "Enfant, je chassais déjà le petit gibier pour qu'il évite d'abîmer les cultures de mon père. Maintenant ce petit gibier n'existe plus à cause des produits chimiques. Pour moi, il est clair que c'est l'agriculture qui a fait disparaître les espèces, pas la chasse", explique ce "repenti du glyphosate" qu'il a arrêté par souci de "préservation" de la nature.

Guilaine Pitty, l'une des "boutons" de l'équipage du Haut Poitou. (ELISE LAMBERT/FRANCEINFO)

Membre de l'équipage du Haut Poitou, Guilaine Pitty, 60 ans, garde aussi un souvenir précis de son premier contact avec la vénerie. "Un jour, alors que j'étais petite, je me promenais dans les bois et j'ai vu madame Trouvé [la mère de Christian]. Elle était magnifique sur son cheval avec sa meute. Je me suis dit que quand je serai grande, je serai comme elle." Une fois adulte, elle a donc rejoint l'équipage après s'est offert un cheval.

Beaucoup abordent la chasse par le biais de l'équitation comme moi. Elle permet une approche de la discipline que je ne connaissais pas.

Delphine Trouvé

à franceinfo

A chaque chasse, un aréopage d'habitants venus des communes voisines suit le parcours. Ces adolescents et ces aînés, issus souvent d'un milieu plus modeste que les chasseurs, sont appelés les "suiveurs". A pied, en voiture ou en vélo, ils font partie intégrante de la chasse et aident parfois les cavaliers à retrouver un chien égaré ou à s'orienter.

"Je les suis depuis quarante ans, j'adore entendre la fanfare, le bruit de la meute, voir les chiens courir avec les chevaux", décrit François*, amateur de chasse au fusil. "Ici, le cinéma le plus proche est à 80 km. Nos loisirs sont la chasse ou la pêche, si vous enlevez ça, que reste-t-il ? L'alcool ?", constate Christian Trouvé.

Les boutons d'un gilet de l'équipage de vénerie du Haut Poitou, à l'effigie d'un cerf. (ELISE LAMBERT/FRANCEINFO)

Lors d'une prise du gibier, il est d'ailleurs de tradition que les abats de l'animal soient servis aux chiens et que la viande soit distribuée aux habitants, pour les remercier d'être venus voir la chasse ou d'avoir laissé l'équipage passer près de chez eux. Mardi, faute d'avoir pu attraper le daguet repéré, la distribution n'a pas eu lieu.

Les habitants sont attachés à ce rite ancestral. Notre philosophie se traduit par le respect vis-à-vis des habitants et des animaux.

Gilles Coyreau des Loges

à franceinfo

Erigée au rang d'art par les chasseurs, la vénerie servirait aussi à réguler les populations des animaux chassés, selon ses adeptes, qui se voient comme des défenseurs de la nature. "Puisque le loup – autrefois le prédateur des cerfs et chevreuil – a disparu, les cervidés et les sangliers prolifèrent et causent des dégâts dans les cultures, sur la route ou chez les habitants", décrit Pierre de Boisguilbert. Christian Trouvé renchérit : d'après lui, si le cerf n'était pas chassé, "il deviendrait un animal domestique".

De nombreux chasseurs font valoir l'aspect légal de leur activité, dont les règles sont établies chaque année par les préfectures. "L'administration française nous demande de retirer un nombre précis d'animaux par an, assure Christian Trouvé. En moyenne, nous prélevons 30 cerfs par saison, c'est vraiment infime par rapport à ce qu'on peut faire dans d'autres types de chasse." 

Jacqueline Demay fait partie de l'équipage du Haut Poitou et suit la chasse en voiture, mardi 7 novembre 2017. (ELISE LAMBERT/FRANCEINFO)

Mais le débat concernant la souffrance de l'animal tout au long de la chasse puis lors du rituel de mise à mort est le plus brûlant. Dans la tradition de la vénerie, lorsqu'un animal est pris, il doit être achevé par arme blanche puis honoré par un rituel appelé "la curée". Une cérémonie observée à plusieurs reprises par le sociologue Michel Pinçon, co-auteur de La Chasse à courre, ses rites et ses enjeux (éd. Payot). "La cérémonie mortuaire de l'animal est un appel à la conscience de la finitude humaine et animale. C'est quelque chose de très rigoureux. Ce n'est pas un acte sauvage, c’est plutôt un acte quasi religieux", assure-t-il.

Des divergences toutes naturelles

Pour les veneurs, si la curée peut choquer leurs opposants, c'est en raison d'un excès de "sensiblerie" et d'anthropomorphisme. "Ils calquent leurs propres sentiments sur ceux des animaux. Quand ils voient un cerf, ils pensent à Bambi et ils pleurent", déplore une participante, qui trouve les citadins déconnectés de la nature. "Mais l'animal n'a pas de notion de vie ou de mort, il faut arrêter de lui attribuer une sensibilité humaine", renchérit Pierre de Boisguilbert. "Contrairement à la mort en abattoir, le cerf qu'on chasse reste dans son environnement et on lui donne la chance de s'en sortir."

Une position qui ne convainc guère Stéphane Mercier, l'un des membres fondateurs du collectif AVA : "Les animaux sont dotés d'une très grande sensibilité à leur environnement et entre eux." Pour ce militant, les veneurs "sont dans la contradiction permanente d'avoir besoin de ces animaux pour s’amuser et de devoir les tuer". Surtout, il souligne une différence de fond, relative à la place de l'homme dans la nature. "Ils ont une vision très paternaliste de la nature, de qui doit mourir et qui doit vivre. Ils ne comprennent pas que la nature est un tout et que l’homme n'est pas supérieur et y a sa place parmi le reste", s'indigne Stéphane Mercier. Vision irréconciliable avec celle de Pierre de Boisguilbert.

La chasse fait partie du cycle naturel et l'homme est au sommet de la chaîne alimentaire. Par sa place, il a ainsi le droit de chasser les animaux sous son contrôle, dans les règles, le respect et l'éthique, et en réduisant au maximum sa souffrance.

Pierre de Boisguilbert

à franceinfo

La broche, faite de dents de cerf, de l'équipage de vénerie du Haut Poitou. (ELISE LAMBERT/FRANCEINFO)

En France, plusieurs tentatives pour essayer d'abolir la vénerie ont été menées au fil des ans. En 1981, Alain Bompard, le secrétaire d'Etat à l'Environnement, a tenté de supprimer ce "privilège moyenâgeux". Sans succès. En 2013, une proposition de loi est déposée en ce sens par les écologistes, mais n'aboutit pas. Alors que la pratique est interdite en Allemagne, en Belgique ou encore au Royaume-Uni, elle semble avoir de beaux jours devant elle dans l'Hexagone. Après 600 ans d'existence, le XXIe siècle est celui où la vénerie compte le plus d'adhérents, assure la Société de vénerie. La discipline compte aujourd'hui 10 000 adhérents et 20% de ses pratiquants sont des femmes.

* Le prénom a été modifié.

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