Vrai ou faux Elections européennes 2024 : on a vérifié six affirmations du débat entre Gabriel Attal et Jordan Bardella

Energie, libre-échange, immigration... Le Premier ministre et la tête de liste du Rassemblement national aux élections européennes ont débattu pendant 80 minutes, jeudi soir, à deux semaines du scrutin.
Article rédigé par Linh-Lan Dao - Nicolas Carvalho, Luc Brisson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
La tête de liste du Rassemblement national (RN) Jordan Bardella et le Premier ministre Gabriel Attal (Renaissance) ont débattu sur France 2 jeudi 23 mai, à deux semaines des élections européennes. (THOMAS SAMSON / POOL)

Le président d'un parti en tête des sondages face à un Premier ministre. A deux semaines des élections européennes, Jordan Bardella, tête de liste du Rassemblement national pour le scrutin du 9 juin, a débattu en direct avec Gabriel Attal, jeudi 23 mai sur France 2

Lors de cet échange, les deux personnalités se sont affrontées sur plusieurs thématiques :  économie, transition écologique, énergie, agriculture, immigration ou encore relations internationales. Gabriel Attal a tenté à plusieurs reprises de mettre son homologue face aux contradictions de son parti, tandis que le candidat du RN a fustigé le bilan européen de la majorité. Franceinfo a vérifié six affirmations énoncées pendant ce débat très attendu.

1 Marine Le Pen s'est déclarée contre le nucléaire, selon Gabriel Attal : vrai 

Jordan Bardella a expliqué vouloir refaire de la France un "paradis énergétique" en se basant sur l'énergie nucléaire, une proposition qui figure dans son programme. Le candidat en a profité pour critiquer le bilan de la majorité, lui reprochant d'avoir fait fermer la centrale de Fessenheim : "Il y avait un atout français (...) qui était notre parc nucléaire. Par la politique nationale que vous avez conduite, notamment sous le premier quinquennat, vous avez considérablement affaibli notre politique nucléaire", a-t-il fustigé.

"Marine Le Pen s'était déclarée contre le nucléaire, notamment pour des raisons de sécurité", a rétorqué Gabriel Attal, ce que Jordan Bardella a aussitôt démenti. Pourtant, le Premier ministre dit vrai : en 2011, trois mois après la catastrophe de Fukushima au Japon, en 2011, elle avait déclaré sur France Inter que la sortie du nucléaire était "un objectif qu'il faut avoir à l'esprit parce que c'est une énergie extrêmement dangereuse". Pendant la campagne de 2017, elle avait ensuite soutenu le nucléaire, jugeant qu’en l’état, les énergies renouvelables ne permettaient pas de s'en passer. Interrogée cette année-là dans "L'Emission politique" sur France 2, à propos de cette évolution, l'ancienne candidate à la présidentielle avait toutefois déclaré : "C'est un fait : le nucléaire est dangereux".

2 La réforme du marché européen de l'électricité va faire baisser le coût de l'énergie en France, selon Gabriel Attal : à nuancer

Dans un contexte où les factures d'électricité des particuliers restent élevées, le Parlement européen a adopté en avril une réforme du marché européen de l'électricité, qui doit entrer en vigueur en 2026. L'un des objectifs est de rendre le marché de cette énergie plus abordable, plus stable et plus durable. "Cette réforme qui nous permet enfin de découpler le prix de l'électricité du prix du gaz va faire baisser le coût de l'énergie en France", a anticipé Gabriel Attal. En effet, l'augmentation du prix du gaz à la suite de la guerre en Ukraine a fait grimper celui de l'électricité, à cause d'un système dit de "préséance économique", qui aligne le prix de l'électricité sur celui de l'énergie la plus chère.

Il est vrai que le texte de la réforme prévoit un mécanisme permettant aux Etats membres, en cas de crise, de "prendre des mesures temporaires pour fixer les prix de l'électricité pour les PME et les consommateurs industriels à forte intensité énergétique", précise le site du Parlement. Toutefois, hors crise, "la réforme ne touche pas aux fondamentaux du marché européen. Si le prix de l’électricité n’est pas indexé sur celui du gaz, il en est toujours largement dépendant", rappelle le portail d'informations spécialisé sur l'UE Toute l'Europe, fondé par la Commission européenne et le gouvernement français. La réforme n'étant pas encore entrée en vigueur, il est difficile d'en prévoir les effets.

3 Le bœuf canadien peut inonder le marché européen avec le Ceta, selon Jordan Bardella : faux

Jordan Bardella s’est montré critique envers le Ceta, accord controversé de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada. Il s'est notamment inquiété d’une potentielle menace de déferlement de bœuf canadien en Europe. Cet accord prévoit la possibilité pour le Canada d'exporter vers l'UE 65 000 tonnes de cette viande sans droit de douanes. Mais ce quota est loin d'être atteint : en 2023, l'UE a importé seulement 1 400 tonnes de bœuf canadien, soit environ 2% du contingent autorisé.

"Le quota aujourd'hui d’exportation [du Canada] c'est 2%. C'est-à-dire qu'il y a un potentiel 50 fois supérieur en termes d'exportation sur le marché unique", a anticipé Jordan Bardella. "Quand bien même ils satureraient leur quota (...) vous savez combien de bœuf canadien cela ferait en circulation en Europe ? 0,7%", a rétorqué le Premier ministre. 

Pour atteindre son quota d'exportation, le Canada devrait de surcroît transformer en profondeur sa filière bovine, majoritairement traitée aux hormones. "Il faudrait un coup de baguette magique. Mais imaginons qu'ils arrivent à 60 000 tonnes, c'est 1% de la consommation européenne", tempère Vincent Chatellier, économiste à l'Institut national de la recherche agronomique (Inrae) auprès de franceinfo. Un ordre de grandeur qui va dans le sens de celui donné par le Premier ministre.

4 La France a baissé ses émissions de CO2 de 6% en 2023 selon Gabriel Attal : vrai, mais à nuancer

"Hier, j’ai annoncé les chiffres définitifs d’émissions de CO2 en France l’année dernière. Presque 6% de baisse, c’est inédit, c’était jamais arrivé dans l’histoire de notre pays", s'est félicité Gabriel Attal. Mercredi 22 avril, lors d'un déplacement en Mayenne, le Premier ministre a en effet annoncé un recul de 5,8% des émissions de gaz à effet de serre en 2023. Concernant le seul CO2, la baisse est même de 6,9%, selon les chiffres publiés par le Citepa, organisme établissant chaque année un inventaire national des émissions de gaz à effet de serre et polluants atmosphériques.

Mais ces chiffres méritent d'être nuancés : selon le Citepa, la baisse s'explique en partie par la hausse des prix de l'énergie, l'inflation, et les douces températures hivernales, qui ont fait diminuer l'usage du chauffage. Le transport routier a également baissé à cause du prix du carburant. 

Cette baisse reste, par ailleurs, en deçà des objectifs fixés par Paris. La France ambitionne de réduire ses émissions de 50% (-55% en net) d'ici à 2030 pour se conformer aux engagements du plan climat de l'Union européenne et d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050. 

5 L'Europe empêche de refouler des étrangers à Menton, selon Jordan Bardella : c'est plus compliqué

"La jurisprudence européenne, qui a été transposée par le Conseil d’Etat, empêche les policiers de la police aux frontières de Menton de refouler les gens qui arrivent en France, ils n'ont pas le droit de le faire", a déploré la tête de liste du Rassemblement national. "Il y a eu 3 000 refoulements à la frontière de Menton depuis le début de l’année", a répondu Gabriel Attal. 

Jordan Bardella fait référence à une décision du Conseil d'Etat du 2 février, qui annule une partie du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda), qui permettait aux forces de l'ordre de refuser l'entrée aux étrangers arrivés de façon irrégulière, en quelques heures.

En effet, il s'agit de se conformer au droit de l'Union européenne, garantissant un minimum de droits au ressortissant étranger : "Si un étranger n’est pas en mesure de justifier de son droit de circuler en France, il peut être retenu aux fins de vérification", précise le Conseil d'Etat, mais uniquement "le temps strictement exigé par l’examen de son droit de circulation ou de séjour". La procédure est clarifiée, avec la possibilité pour la personne étrangère de demander un avocat, ou de faire une demande d'asile. Si cet arrêt n'empêche pas le refus d'entrée des migrants, ses effets sur le terrain n'ont pas encore fait l'objet d'une évaluation statistique.

6 77% des viols commis à Paris le sont par des étrangers, selon Jordan Bardella : trompeur

"77% des viols, des agressions sexuelles qui sont commis à Paris sont le fait d'étrangers", a martelé Jordan Bardella. "Ce sont les chiffres de votre ministère". Ce chiffre, également partagé par la tête de liste Reconquête Marion Maréchal fin avril sur le plateau de C à vous est-il réel ? Comme le souligne Désintox, cette statistique provient d'un article publié le 18 avril sur Europe 1, s'appuyant sur des statistiques de la préfecture de police de Paris portant sur les viols commis dans les rues de Paris.

Sur 97 viols commis en 2023 dans les rues de la capitale, 30 ont été élucidés. Sur les 36 personnes interpellées, 28 sont des ressortissants étrangers, ce qui équivaut bien à 77% des mis en cause. Les viols commis dans les rues le sont souvent par des personnes sans abri ou sans papiers, des catégories où sont surreprésentés les étrangers.

Cependant, les viols de rue ne représentent qu'une faible minorité de la totalité des viols commis à Paris, comme dans le reste de la France. Ces chiffres ne peuvent donc pas être extrapolés. Au niveau national, les étrangers représentent 13% des mis en cause pour viol, selon le dernier rapport du service statistique du ministère de l'Intérieur sur les violences sexuelles hors cadre familial.

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