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Vrai ou faux Le taux de chômage est-il au plus bas depuis 40 ans, comme l'affirme le camp d'Emmanuel Macron ?

Article rédigé par Quang Pham
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Une agence Pôle emploi à Gap (Hautes-Alpes), le 9 février 2023. (THIBAUT DURAND / HANS LUCAS / AFP)
Le taux de chômage de 7,2% constaté au quatrième trimestre 2022 a déjà été observé lors de l'année 2008, soit il y a 14 ans et non quatre décennies.

Les calculs du camp présidentiel sont-ils corrects ? Selon les derniers chiffres publiés par l'Insee, mardi 14 février, le taux de chômage s'est établi à 7,2% de la population active en France (hors Mayotte) au quatrième trimestre 2022, en très légère baisse de 0,1 point. La France comptait ainsi 2,2 millions de chômeurs, soit 45 000 de moins que le trimestre précédent. La statistique a été aussitôt relayée par Renaissance, le parti d'Emmanuel Macron, qui s'est réjoui sur Twitter d'un "chômage au plus bas depuis 40 ans". Un résultat "historique" que la formation politique a toutefois illustré d'un graphique ne commençant pas en 1982, mais en 2014. 

Sur Twitter, Emmanuel Macron lui-même, tout comme la Première ministre et le ministre du Travail, a relayé cette "bonne nouvelle", mais avec une formule plus alambiquée. "Le chômage est à son niveau le plus bas pour la deuxième fois depuis 40 ans", a ainsi tweeté le chef de l'Etat. Mais la situation sur le front de l'emploi est-elle aussi exceptionnelle que le président de la République, la cheffe du gouvernement et leur camp l'annoncent ?

Le plus bas niveau de chômage depuis 14 ans

"Un taux de chômage à 7,2%, au sens du BIT [le Bureau international du travail, dont les critères pour comptabiliser les demandeurs d'emploi permettent de comparer la situation de différents pays], est effectivement assez historique", confirme auprès de franceinfo Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste dans le cabinet d'audit, de conseil et d'expertise comptable BDO France. Mais il ne s'agit pas du niveau le plus bas observé depuis 40 ans. 

En atteignant 7,2% au quatrième trimestre 2022, le taux de chômage a ainsi retrouvé un niveau qu'il n'avait plus connu... depuis le premier trimestre 2008, soit il y a 14 ans. Il était certes descendu un peu plus bas, à 7,1%, au deuxième trimestre 2020, mais il s'agissait d'une baisse "en trompe-l'œil", observe l'Insee. A cette période, la France subissait de plein fouet l'épidémie de Covid-19 et, en raison du premier confinement, de nombreux Français avaient arrêté de chercher du travail, quittant par conséquent les rangs des demandeurs d'emploi comptabilisés par l'Insee.

Il faut donc remonter au premier trimestre 1982 pour voir la courbe du chômage atteindre, puis dépasser le seuil des 7%, soit il y a 40 ans. La formulation employée par Emmanuel Macron et par Elisabeth Borne est par conséquent plus juste que celle du parti présidentiel.

Olivier Dussopt s'est en revanche trompé lorsqu'il a déclaré devant l'Assemblée nationale, mardi 14 février, que le taux de chômage était "le plus bas (...) depuis quarante ans". Devant les députés, le ministre du Travail, de l'Emploi et de l'Insertion a également affirmé que le niveau actuel du chômage des moins de 25 ans était "le plus bas depuis les années 2000", que "le taux d'activité [n'avait] jamais été aussi élevé" et que le taux de CDI était désormais "supérieur à 50 %".

Ces quatre derniers éléments de la déclaration d'Olivier Dussopt sont exacts. Selon les statistiques de l'Insee, publiées au quatrième trimestre 2022, le taux de chômage des moins de 25 ans (16,9 %) est bien le plus bas constaté depuis 2002. Le taux d'activité (73,6% fin 2022) est effectivement le plus élevé observé depuis 1975 et le taux de CDI, comme le déclare le ministre, est bien supérieur à 50% (50,5% au quatrième trimestre 2022).

L'emploi porté par la conjoncture économique

Comment expliquer cette baisse historique du chômage ? Pour Anne-Sophie Alsif, la bonne conjoncture économique a joué un rôle déterminant. "Le 'quoi qu'il en coûte', mis en place pour faire face à la crise du Covid, a permis d'injecter beaucoup d'argent dans l'économie – près de 200 milliards d'euros", rappelle l'économiste. "Grâce à ce stimulus budgétaire, la demande a été soutenue, ce qui a entraîné une forte demande de travail de la part des entreprises."

"L'emploi se porte bien partout en Europe", remet toutefois en perspective Bruno Coquet, docteur en économie et expert associé à l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques). "Mis à part quelques exceptions, la plupart des pays connaissent un niveau de chômage parmi les plus bas constatés durant ces quarante dernières années. La France, sans être parmi les moins bons, n'est d'ailleurs pas classée parmi les meilleurs". Selon Eurostat, le taux de chômage des pays de la zone euro s'élevait en moyenne à 6,6 % en décembre 2022, contre 7,2% donc en France.

En France, "beaucoup d'emplois ont été créés dans le tertiaire, sur des postes très qualifiés, mais aussi en restauration ou dans la construction", complète Bruno Coquet. Sans que cela remette en cause l'importance des créations d'emplois non subventionnés, "énormément d'emplois aidés ont été également créés", ajoute l'économiste. L'Etat a ainsi fortement encouragé le recours à l'apprentissage en versant une prime de 6 000 euros pour toute embauche d'apprenti. L'effet a été immédiat, puisque plus de 800 000 contrats d'apprentissage ont ainsi été signés en 2022. Selon l'Insee, l'ensemble de l'emploi aidé représentait près de 2,3 millions de postes fin 2021, en hausse de près de 7% sur un an.

Effectifs d'emplois aidés en milliers. (INSEE)

Un effet des radiations à Pôle emploi ?

Sur les réseaux sociaux, certains élus estiment que la baisse du chômage s'explique par le nombre record de radiations de chômeurs par Pôle emploi. "Le gouvernement multiplie les mensonges ! Non seulement le taux de chômage n'est pas au niveau historiquement bas qu'ils prétendent, mais en plus le taux baisse… car les radiations augmentent ! Plus de 50 000 personnes ont été radiées de Pôle emploi en 2022", a ainsi dénoncé sur Twitter Alexandre Loubet, député de Moselle et vice-président du groupe Rassemblement national à l'Assemblée nationale.

"La hausse des radiations, de 40 000 auparavant en moyenne à 50 000 actuellement, ne peut numériquement expliquer la baisse du chômage", tranche Eric Heyer, économiste et directeur du département analyse et prévision à l'OFCE. L'augmentation des radiations est ainsi à comparer avec les créations nettes d'emploi, qui atteignent en 2022 près de 304 900 dans l'emploi salarié privé, selon l'Insee. "Si les radiations avaient un impact plus important, on aurait vu le 'halo autour du chômage' exploser", ajoute l'économiste.

L'expression "halo autour du chômage" regroupe des situations diverses d'individus ne rentrant pas dans les critères classiques des demandeurs d'emploi. Elle permet, entre autres, de comptabiliser les personnes sans travail qui ont recherché un emploi, mais ne sont pas immédiatement disponibles pour l'occuper, ou encore celui des personnes qui n'ont pas effectué de recherche d'emploi, mais qui déclarent tout de même vouloir trouver du travail, rapporte l'Insee. Or, selon l'Institut, au quatrième trimestre 2022, le pourcentage de personnes au chômage ou dans ce "halo autour du chômage" n'a augmenté que de 0,1%. Ces situations restent nombreuses : au total, 1,9 million de personnes se trouvent dans le "halo autour du chômage", chiffre l'Insee.

En revanche, bien qu'il soit également en forte baisse, le pourcentage important de personnes 'en situation de contraintes sur le marché du travail', c'est-à-dire au chômage, en temps partiel subi ou dans le "halo autour du chômage", peut cependant relativiser les bons résultats de l'emploi. Selon l'Insee, près de 16,5 % des "participants au marché du travail" se trouvaient dans une telle situation de contrainte, un pourcentage plus de deux fois plus important que celui du taux de chômage au sens du BIT.

Taux de personnes au chômage, dans le halo du chômage ou en sous emploi (INSEE)

Même s'il n'est pas au plus bas depuis 40 ans, le chômage n'a donc jamais été si peu élevé depuis pratiquement une quinzaine d'années. Cela va-t-il durer ? "Un ralentissement est dans les tuyaux, la croissance économique ne devrait être que de 0,6% en 2023", avertit Eric Heyer. "Si la productivité des entreprises – qui a baissé durant l'après Covid – repart également, ce qui réduirait la demande de travail, alors on risque d'avoir des destructions d'emplois."

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