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Coupe du monde de rugby : les sept vies de Frédéric Michalak

La carrière de l'ouvreur de l'équipe de France n'a rien d'un long fleuve tranquille.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Le demi d'ouverture de l'équipe de France Frédéric Michalak boit une bière sur la pelouse après la petite finale de la Coupe du monde face à la Nouvelle-Zélande, le 20 novembre 2003 à Sydney (Australie). (PETER PARKS / AFP)

"Quand j'ai sélectionné Frédéric Michalak, on m'a dit que j'étais fou", a confié Philippe Saint-André, le sélectionneur de l'équipe de France. Pour beaucoup, l'ouvreur du RC Toulon, le beau gosse du rugby français, était "cramé". Souvent sur le banc, intermittent du génie sur le terrain, trop fantasque pour se voir confier les clés du jeu, grande gueule, éternel enfant, Frédéric Michalak est tout cela à la fois.

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Le rugbyman le plus talentueux de l'Hexagone a connu plusieurs vies au cours d'une carrière mouvementée. Et face aux All Blacks, samedi 17 octobre, il n'a pas le droit de se rater s'il veut atteindre son ultime objectif : remporter la Coupe du monde de rugby

"Sans le rugby, il est probable que j'aurais plongé"

Fils d'un maçon d'origine polonaise, le petit Frédéric Michalak s'essaie à tous les sports. Dès 4 ans, il tâte du ballon ovale, au poste de… talonneur. A 7 ans, il entre dans un club satellite du Stade toulousain, le meilleur club de France, qui se trouve aussi être le plus proche du domicile familial. "Je me suis décidé pour le rugby parce que le stade était à portée de marche", confie le brillant ouvreur international. Que se serait-il passé s'il avait choisi une autre discipline ou abandonné le sport ? Frédéric Michalak le sous-entend lourdement dans une interview au Parisien, en 2004 : "Je ne vous dis pas l'enfance galère avec les copains de la cité… Nous étions à la limite du hors-jeu. Sans le rugby, il est probable que j'aurais plongé. Oui, un énorme merci au rugby. Je dois tout à ce sport."

Jusqu'à ce qu'il devienne une vedette, il continue à donner des coups de main dans l'entreprise de maçonnerie familiale. "Quelques jours avant sa première sélection, il avait à peine 19 ans, il était venu repeindre ma maison, se souvient l'éducateur Jacques Saramon, qui l'a connu enfant. C'est dire les valeurs dans lesquelles il a été éduqué." Une première sélection qui sonnera aussi le glas de ses études. "Il était devenu la vedette du lycée, les filles se collaient aux vitres et venaient l’observer. Il n'aimait pas ça", raconte Daniel Boudre, son prof de français, dans Libération. Il tentera quand même de décrocher son bac, en candidat libre. 

Nu dans un Caddie, ou une fourchette plantée dans la main

Frédéric Michalak soigné pour une coupure, lors du match Nouvelle-Zélande-France, à Christchurch (Nouvelle-Zélande), le 28 juin 2003.  (ROSS LAND / GETTY IMAGES)

Son explosion au plus haut niveau, en 2003, intervient en même temps que l'éclosion de l'arrière Clément Poitrenaud, lui aussi du Stade toulousain. "Mon frère de rugby", comme le qualifie Michalak. Les deux bizuts sèment la pagaille dans le cadre feutré de Marcoussis, le camp de base du XV de France. Lors d'un repas, les deux gamins bombardent de pain Fabien Pelous, un cadre de vestiaire et accessoirement une armoire à glace (1,95 m, 114 kg). Celui qu'ils appelaient "Papa", lassé de leur demander d'arrêter, enfonce une fourchette dans la main de Michalak. "J'en rigole maintenant, raconte Michalak au Rugby Paper (en anglais), mais à l'époque, j'ai vraiment souffert. La fourchette tenait droite, enfoncée dans ma main." A Toulouse aussi, les duettistes multiplient les tours pendables. "Ils nous faisaient tellement chier que, parfois, ils finissaient à poil attachés dans un Caddie sur le parking du Stade toulousain. On les laissait là une demi-heure pour les montrer, et puis on les libérait", raconte Yann Delaigue, l'ouvreur de l'équipe. 

Brillant avec Toulouse, le demi d'ouverture explose à la face du monde lors du Mondial 2003, en Australie. Il offre un match d'anthologie face à l'Irlande en quarts de finale. "Michalak superstar", titre L'Equipe. "Pour ma première Coupe du monde, je me croyais un peu à Disneyland", se rappelle Frédéric Michalak. Son petit diamant à l'oreille,  son téléphone portable rangé dans la chaussette et sa repartie ravageuse à chaque interview font sensation.

"Il ne s'est jamais remis de la Michalakmania"

Le retour sur terre est brutal. Lors de la demi-finale face à l'Angleterre, la comparaison avec l'ouvreur adverse Jonny Wilkinson tourne au désavantage du Français. Dès la 36e seconde de jeu, celui que ses équipiers surnomment "Michel" dévisse une chandelle qui part dans son propre camp. Les 79 minutes suivantes virent au calvaire, avec quatre pénalités ratées, et une influence sur le jeu réduite à néant à cause du déluge qui s'abat sur Sydney. "Ce soir-là, j'ai été nul", se flagelle Michalak, qui confiera avoir longuement pleuré de retour à l'hôtel  "Mais je ne dois pas être tenu pour seul responsable." Trop tard. Les médias brûlent ce qu'ils ont adoré. Bien aidés par la petite phrase du sélectionneur anglais Clive Woodward, qui l'enfonce : "Il a joué comme un grand-père."

N'empêche, la Michalakmania est lancée. Les annonceurs se battent pour celui qui incarne depuis lors la figure du rugby français, ponctuellement éclipsé par Bernard Laporte et ses pubs pour du jambon ou Sébastien Chabal et son look d'homme des cavernes savamment travaillé. "Du jour au lendemain, les médias se sont trouvé un chouchou, jeune, beau, doué. Il trustait les pages people des magazines. la Michalakmania avait d'ailleurs totalement dépassé Fred, et il s'était
retrouvé avec énormément de pression sur ses jeunes épaules. Déjà qu'être numéro 10 des Bleus n'est pas de tout repos. Je crois qu'il ne s'est jamais remis de la Michalakmania", écrit son coéquipier de l'époque Serge Betsen dans son livre Les sept plaies du rugby français

"On a démoli un gamin de 20 ans"

Frédéric Michalak boit du champagne après la victoire du Stade toulousain contre le Stade français, le 22 mai 2005 à Edimbourg (Écosse). (DAVID ROGERS / GETTY IMAGES)

Sa courbe de popularité devient inversement proportionnelle à sa réussite sportive. En 2004, il est élu homme le plus sexy par le magazine gay Têtu, alors que Bernard Laporte l'envoie faire le Tournoi des six nations… avec l'équipe des moins de 21 ans. Michalak défile pour Christian Lacroix, quand son entraîneur Guy Novès le juge "démoli" : "On s'est servi de Michalak pour promouvoir le rugby, on l'a médiatisé à outrance et on a démoli un gamin de 20 ans."

En 2007, il est régulièrement sifflé par son public, à Toulouse, raconte ESPN (en anglais). Il participe quand même à la Coupe du monde, organisée en France, mais depuis le banc. Il en sort pour donner l'essai de la victoire lors du quart de finale légendaire contre la Nouvelle-Zélande. N'empêche, il s'est ennuyé dans cette équipe de France au jeu restrictif, et le fait savoir : "Ce qu'on fait est tellement stéréotypé que c'est voyant." A 24 ans, il s'est grillé en club et en sélection. Coïncidence ? Il tourne une pub pour Quick avec un autre paria, Nicolas Anelka. 

Pour se ressourcer, une seule solution, l'exil. Snobé par le nouveau sélectionneur Marc Lièvremont, Michalak s'exile en Afrique du Sud. Où il brille sous le maillot des Sharks, et découvre une autre culture. Là-bas, le coach invite ses joueurs à des parties de pêche sans arrière-pensées. Les joueurs font des barbecues ensemble presque tous les jours – le jour férié "Braai Day", c'est pratiquement obligatoire dans le pays. Et le choc culturel continue en boîte de nuit : "La première fois où je suis sorti, j’étais tellement content de pouvoir aller en boîte de nuit sans que les gens me reconnaissent que j’ai enlevé mon tee-shirt, confie-t-il à Libération. C’est un truc que je n’avais pas fait depuis l’âge de 13 ans. Je me suis retrouvé torse nu au milieu de la piste. Là, toute la salle m’a fixé bizarrement. Alors je me suis rhabillé." Eh oui, Fred, en Afrique du Sud, les hommes s'épilent le torse. 

Le coup de pouce de Jonny Wilkinson

Frédéric Michalak a coché une date dans son calendrier : le 31 octobre 2015. La finale de la Coupe du monde, où il veut emmener les Bleus. Ce serait la quatrième : lors de la première, en 1987, il était trop jeune. En 1999, il n'a même pas allumé sa télévision. Et pendant celle de 2011, il rentrait du tournage d'un épisode de Rendez-vous en terre inconnue, au Vietnam. "Je suis revenu en France pour la Coupe du monde", martèle-t-il. Direction Toulon, où il retrouve deux de ses meilleurs ennemis. Bernard Laporte, avec qui il enterre la hache de guerre. Et Jonny Wilkinson, qui lui transmet sa science du coup de pied. "Quand [j'ai] appelé [Michalak] en 2012 pour lui demander s'il était toujours intéressé par les Bleus, j'ai compris immédiatement, rien qu'au ton de sa voix, qu'il l'était", raconte Philippe Saint-André à Rugby World (en anglais)

Le Michalak de 2015 a-t-il les épaules pour hisser les Tricolores sur le toit du monde ? Après une prestation calamiteuse contre l'Irlande, on est en droit d'en douter. Mais le n°10 des Bleus ne doute pas. "Comme le vin, je me bonifie avec l'âge", glisse-t-il au Rugby Paper (en anglais). De toute façon, il n'a plus le choix : c'est sa dernière chance. 

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