"Je suis en survie" : victime de violences conjugales, une femme raconte l’enfer que lui fait vivre son ex-compagnon
Marie a accepté de témoigner auprès de franceinfo. Une manière pour elle de participer symboliquement à la marche contre toutes les violences sexistes et sexuelles, organisée samedi 23 novembre à Paris.
"Il me faisait comprendre que c'était moi le monstre." Marie* vient à peine de quitter celui qui l'a violentée psychologiquement et sexuellement pendant deux années. Elle a réalisé que "c'était lui le monstre". Si elle vit dans l'angoisse des menaces de son ex-compagnon, c'est pourtant avec un large sourire qu'elle nous ouvre la porte de son appartement dans le Loiret. Une pluie fine frappe aux carreaux de la cuisine en cette journée de novembre.
Les mains encerclant une tasse de thé, Marie a accepté de raconter comment son histoire d'amour a viré au cauchemar, alors que les conclusions du premier Grenelle des violences conjugales s'apprêtent à être rendues lundi 25 novembre, date de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes.
L'homme parfait pendant quatre mois
Cette grande brune au sourire communicatif est passée du rêve aux larmes en à peine quatre mois. Cette mère de deux enfants a définitivement quitté son conjoint en septembre, après plusieurs tentatives de séparation. Elle dépeint une relation "toxique", dans laquelle elle était "continuellement rabaissée, humiliée et violentée". Pourtant, rien dans les premiers mois "géniaux" de leur relation ne prédisait ce qu'elle allait vivre avec M., 38 ans, dirigeant d'une entreprise dans le bâtiment. Marie et lui se sont connus il y a une vingtaine d'années puis se sont retrouvés via des amis communs, en 2017. Marie vient alors de se séparer du père de ses enfants.
A ce moment-là, j'avais besoin de me sentir valorisée. M. a su me flatter et m'a rendue très vite amoureuse.
Marieà franceinfo
A l'époque, elle accorde toute sa confiance à cet homme, qui lui explique avoir quitté récemment une femme violente. Il raconte ainsi à Marie que "son ex-compagne a tenté de le tuer en lui plantant un couteau dans le dos" – jugée pour ces faits, cette dernière a été condamnée à une peine de prison avec sursis, confirme le procureur d'Orléans auprès de franceinfo.
M., passionné de moto, couvre Marie de cadeaux, l'invite au restaurant et en week-end. Il "passait bien" en société, se souvient la jeune femme. Elle ne le sait pas encore mais elle n'est pas la seule à partager le quotidien de son compagnon. Il y a aussi Isabelle*. Cette mère de famille de 38 ans s'est séparée de son mari en 2018 pour partager son nouveau logement avec M. "Le soir et la nuit il était avec moi et la journée avec elle", découvre Marie. Les parents de M., ainsi que ses trois filles, sont au courant de sa double vie. Le samedi, il emmène ses enfants déjeuner chez l'une et le dimanche chez l'autre. Afin d'éviter tout impair, M. envoie à Marie et Isabelle les mêmes photos, les mêmes messages et leur offre les mêmes cadeaux. Mais il les fait aussi basculer toutes les deux dans un quotidien où les insultes pleuvent pour un rien.
Une lente descente aux enfers
Dans l'intimité du couple, une insidieuse dégradation s'installe. Les bons moments sont exacerbés par les mauvais. "Même dans la maltraitance, je me sentais vivante", lâche Marie. Jaloux, M. devient rapidement suspicieux et étouffant. Il inonde Marie de SMS, auxquels elle ne peut "répondre aussi vite qu'il l'aurait voulu, ce qui déclenche sa colère". "Il débarquait à l'improviste sur mon lieu de travail", raconte la quadragénaire, qui travaille dans le milieu de la petite enfance.
Son compagnon lui reproche constamment de regarder les hommes et de vouloir se faire "b*****" par eux. Marie, le visage soudainement fermé, se rappelle de cette scène alors qu'ils se promenaient en ville main dans la main. M. l'invite à regarder un jeune homme qui passe dans la rue avec une casquette violette. Aussitôt après, il se met à l'injurier : "Ah tu l'as regardé, s*****, tu me tiens la main et tu regardes les hommes. Tu es une p***." Durant toute leur relation, Marie ne cesse de vouloir le rassurer.
Tout était prétexte pour me rabaisser. Je me justifiais tout le temps mais ma réponse n'allait jamais.
Marieà franceinfo
"Tout tournait autour du sexe, mais un sexe sale", révèle la jeune femme. M. la culpabilise de ne pas assez s'occuper de lui et de leur vie sexuelle. Il lui reproche la demi-heure qu'elle passe avec ses enfants pour leurs devoirs. Il la dévalorise devant eux et lui reproche de mal les élever. "Il me disait de les taper, surtout mon fils", sanglote Marie.
Humiliée, dévalorisée et isolée
M. ne laisse aucun moment de répit à sa compagne pour lire ou regarder la télévision. Il prive de sommeil la jeune mère de famille, qui souffre de fibromyalgie, une maladie qui fatigue beaucoup. Déstabilisée, Marie se met à douter d'elle-même.
Je ne savais plus qui j'étais. Je me disais que j'étais vraiment comme il me décrivait.
Marieà franceinfo
Isolée de sa famille, Marie ne leur donne presque plus de nouvelles. Il lui fait payer d'une crise de jalousie colérique la moindre sortie avec ses proches, qui s'inquiètent. Karine* a vite cerné le personnage et enjoint son amie de fuir. "Mais elle ne voulait pas me croire. Elle était trop amoureuse", regrette-t-elle. Elle évite alors de "trop dénigrer" M., de peur que Marie ne coupe toute relation avec elle.
Je n'avais qu'une peur, c'est qu'elle se taise et que je ne puisse plus rien faire pour elle.
Karineà franceinfo
L'amie de Marie craint que M. ne devienne violent physiquement. "Dévaloriser, isoler puis passer aux violences physiques, telle est la montée en puissance des auteurs de violences", corrobore Dominique Laurent, coordinatrice du Lieu d'accueil et d'écoute du Loiret (LAE). Dans les locaux de ce dispositif pour les femmes victimes de violence, cachés derrière une façade discrète, Marie a su trouver une écoute bienveillante depuis sa difficile séparation. En 2018, les membres de ce collectif loirétain ont accompagné 482 femmes victimes de violences physiques, économiques, sexuelles et ou psychologiques.
De la difficulté de quitter son bourreau
Marie a tenté à plusieurs reprises de rompre. Comme la veille de son départ en cure de repos où, acculée dans la salle de bains, elle se voit accusée encore une fois par M. d'aller "se faire b***** par le kiné, le médecin, le boulanger…" Puis il menace de se suicider en brandissant un couteau que Marie parvient à lui retirer. Prise d'une colère et d'une violence insoupçonnées, elle raconte s'être mise à taper de toutes ses forces avec ses coudes contre la paroi de la douche, qui finit par céder. Marie partira le lendemain en soins, "vidée", "les pieds pleins de coupures et les coudes bleuis". Son compagnon saura la faire revenir à lui, encore une fois.
Avec trois phrases magiques, il me mettait sur un piédestal, en me disant que j'étais forte, que j'étais celle qui l'attendait.
Marieà franceinfo
De crainte d'être prise pour une "folle", Marie cache à son entourage leurs réconciliations successives. Elle réussit finalement à le quitter pour de bon il y a deux mois.
Depuis, M. menace de "lui envoyer des amis pour la violer et la tuer", s'alarme-t-elle. Choquée et apeurée, Marie, téléphone en main, est allée au commissariat du centre-ville déposer une main courante. "J'ai attendu deux heures et demie pour seulement trois minutes avec un policier qui n'a rien enregistré car je n'avais pas de copie d'écran imprimée des messages reçus. Si j'étais morte aujourd'hui, c'est comme si je n'avais rien dit", enrage Marie. La jeune femme est allée ensuite porter plainte à la gendarmerie de sa ville, où elle indique avoir été reçue avec bienveillance.
Les gendarmes m'ont rassurée en me disant que ce genre de personne, pervers narcissique et manipulateur, parlait mais n'agissait pas.
Marieà franceinfo
Marie a été accompagnée par l'un des intervenants sociaux en commissariat et en gendarmerie (ISCG), pilotés par le collectif LAE. L'année dernière, dans le Loiret, ils ont assisté 561 femmes dans leur dépôt de plainte.
Un homme toxique qui s'attaque aux proches
Marie s'est également rapprochée d'Isabelle, l'autre conjointe de M., qui a, elle aussi, réussi à se séparer de lui. Diffamées et menacées sur les réseaux sociaux, elles sont parvenues à faire effacer les messages par le modérateur de Facebook. "Mais cinq jours avec des photos de vous dénudée, c'est long", déplore Marie. Lentement, M. "détruit" la vie d'Isabelle et elle, ainsi que celle de leurs proches.
En moyenne, pour une femme qui subit des violences, ce sont 2,5 personnes de son entourage qui sont touchées.
Dominique Laurentà franceinfo
"Quand il ne m'attaque pas en direct, il passe par mon entourage", fulmine Marie. Elle relate comment M. a débarqué, pas plus tard que la semaine dernière, chez le père de ses enfants avec une lettre pleine d'insultes à son égard, espérant retourner son ex-mari contre elle. Il a également pris à parti ses enfants, menaçant de se suicider à cause du chagrin causé par leur mère. "Aujourd'hui, mon fils a peur. Il n'arrive pas à rester seul plus de 10 minutes", se désole cette mère de famille, qui a dû expliquer à ses enfants que l'homme qui les a couvert de cadeaux était méchant avec elle et qu'il ne fallait plus jamais qu'ils lui ouvrent la porte.
"Je suis en survie", désespère Marie, qui se protège comme elle peut, envisageant les pires scénarios. Elle montre la poêle qu'elle a placée dans l'entrée, accessible facilement au cas où son ex frappe à la porte. Elle a aussi acheté un rouleau à pâtisserie, posé un fer à repasser sur la table de nuit et installé des carillons sur sa porte d'entrée.
Je suis obligée de penser à tout ça. Et en même temps, j'ai envie de retrouver ma vie d'avant, de ne plus avoir cette angoisse perpétuelle. C'est épuisant moralement et physiquement, d'aller tous les trois jours chez les gendarmes.
Marieà franceinfo
Depuis septembre, Marie a déposé deux plaintes auprès de la gendarmerie, que franceinfo a pu consulter. Elle ne cesse de les compléter en apportant régulièrement des preuves de son harcèlement. Mais les gendarmes ont estimé qu'elle ne nécessitait "aucune mesure particulière de protection". Sans nouvelles depuis sa dernière plainte, datée du 19 octobre, Marie s'inquiète : "Ils m'ont juste dit que je serais informée le jour où M. sera convoqué." Le procureur d'Orléans confirme le traitement en cours de ces plaintes et la prochaine convocation de M. par la gendarmerie.
Dans l'attente que la justice agisse
En attendant, M. maintient une pression morale permanente sur Marie et Isabelle, qui sursautent et s'arrêtent de respirer à chaque moto qui passe près d'elles. "Quand ma fille remonte la pente, il réapparaît", se lamente Françoise*, la mère de Marie.
Il nous use. C'est sans fin et jamais personne ne dit rien.
Françoiseà franceinfo
Son père, qui venait changer les serrures à chaque rupture, ne sait plus quoi faire pour que sa fille arrête de vivre dans la crainte. "Il faut que ma fille se fasse tabasser pour que quelqu'un l'écoute et la prenne au sérieux ?" s'interroge Françoise. "Où sa folie va-t-elle s'arrêter ? C'est ça qui nous fait peur." "Le temps judiciaire n'est pas le même que celui de la victime", regrette la responsable du collectif LAE.
Ce que vivent les victimes comme violences non physiques est déjà trop pour elles. Mais ce n'est pas assez pour que les forces de l'ordre interviennent, hélas.
Dominique Laurentà franceinfo
De quoi pousser Marie et son entourage à presque souhaiter "qu'il y ait un passage à l'acte. Comme ça, les plaintes avanceraient plus vite." Une perspective inquiétante pour Françoise, la mère de Marie. "Maintenant qu'il ne peut plus la posséder, il va faire quoi ?" En 2019, deux femmes ont été tuées par leur conjoint ou-ex conjoint dans le Loiret.
* Tous les prénoms ont été modifiés, les personnes étant actuellement engagées dans une procédure judiciaire.
Les femmes victimes de violences peuvent contacter le 3919, un numéro de téléphone gratuit et anonyme. Cette plateforme d'écoute, d'information et d'orientation est accessible de 9 heures à 22 heures du lundi au vendredi et de 9 heures à 18 heures les samedis, dimanches et jours fériés.
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