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Pédocriminalité dans l'Eglise : peut-on forcer les prêtres à lever le secret de la confession pour dénoncer les violences sexuelles ?

Le rapport de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise catholique insiste sur la nécessité de signaler des témoignages de crimes sexuels sur mineurs recueillis lors des confessions. La Conférence des évêques s'y oppose.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Image d'illustration d'une confession catholique. (PASCAL DELOCHE / LEEMAGE VIA AFP)

"Le secret de la confession s'impose à nous et est au-dessus des lois de la République." En une phrase, mercredi 6 octobre, Eric de Moulins-Beaufort a relancé une polémique bien connue des experts du droit canonique. Le président de la Conférence des évêques de France commentait l'une des recommandations du rapport de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise, rendu public la veille. Cette sortie lui vaut une convocation par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, mardi 12 octobre. 

Cette commission estime que le secret de la confession – lorsqu'un prêtre recueille la parole de fidèles dans le huis clos d'un confessionnal – ne peut être "opposé à l'obligation de dénoncer des crimes sexuels sur les mineurs ou les personnes vulnérables". Et rappelle "aux clercs, religieux et religieuses que la loi de la République prévaut" sur les lois de l'Eglise.

VIDEO. "Le secret de la confession est plus fort que les lois de la République", estime Eric de Moulins-Beaufort
VIDEO. "Le secret de la confession est plus fort que les lois de la République", estime Eric de Moulins-Beaufort VIDEO. "Le secret de la confession est plus fort que les lois de la République", estime Eric de Moulins-Beaufort


En d'autres termes : un prêtre ayant eu connaissance de telles violences sexuelles, directement dans les mots d'une victime ou par un intermédiaire, même dans un confessionnal, est tenu de signaler ces faits à la justice.

La loi canonique prévoit l'excommunication

Pour justifier le secret de la confession, l'Eglise catholique s'appuie d'abord sur le droit canonique, qui lui est propre. "Le secret sacramentel [qui concerne les sacrements] est inviolable", établit le canon 983. "Il est absolument interdit au confesseur de trahir en quoi que ce soit un pénitent, par des paroles ou d'une autre manière."

Aucune exception n'est tolérée. Le cas échéant, selon le canon 1 388, un prêtre risque l'excommunication c'est-à-dire l'exclusion de la communauté des croyants, soit la plus sévère des sanctions. En 2019, le pape François a certes instauré l'obligation de signalement interne pour tout comportement suspect en matière de violence sexuelle sur mineur. Mais sans toucher au caractère secret de la confession.

Ce droit canonique prime-t-il sur les lois françaises, comme semble le dire le président de la Conférence des évêques de France ? "Dans l'émotion, il n'a pas utilisé les termes exacts", corrige Karine Dalle, secrétaire générale adjointe de la CEF auprès de franceinfo. "Le secret de la confession, bien entendu, n'est pas au-dessus des lois de la République. Il est d'ailleurs encadré par la loi et la jurisprudence." C'est aussi l'argument avancé par Eric de Moulins-Beaufort mercredi soir, dans un communiqué précisant ses propos "Il ne faut pas opposer le secret de la confession aux lois de la République puisque celles-ci n'imposent pas sa levée".

Une forme de secret professionnel ?

L'Eglise considère en effet que le secret de la confession est protégé par le droit laïc. En 2019, lors d'un travail parlementaire au Sénat, Olivier Ribadeau Dumas, alors secrétaire général de la Conférence des évêques de France, estimait ainsi que le secret sacramentel était un secret professionnel, "au même titre que le secret médical ou la relation entre un avocat et son client". Mais les prêtres et aumôniers n'apparaissent dans aucun texte de loi consacré au "secret professionnel", à la différence des avocats ou des médecins.

Cette interprétation repose donc uniquement sur d'anciennes décisions de la chambre criminelle de la Cour de cassation. "Le secret de la confession, comme opposabilité à l'obligation de dénonciation d'un crime, est une construction de jurisprudence", explique à franceinfo l'avocate Antoinette Fréty, auditionnée par le Sénat en 2019 et par la commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise.

A vrai dire, les textes invoqués sont très anciens. En 1891, la Cour de cassation considérait que les prêtres étaient "tenus de garder le secret sur les révélations qui ont pu leur être faites à raison de leur fonction (...) par la voie de la confession ou hors de ce sacrement". A cette époque, la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat n'avait pas encore été votée. Plus récemment, en 2002, une décision de la Cour de cassation a reconnu "l'obligation imposée aux ministres du culte de garder le secret des faits dont ils ont connaissance dans l'exercice de leur ministère".

Des exceptions sont possibles

Aujourd'hui, une personne soumise au secret professionnel risque un an de prison, en cas de révélation d'une information à caractère secret. Mais des exceptions ont été mises en place dans le cas des violences sexuelles commises sur des mineurs ou des personnes vulnérables. Depuis 1994, "le Code pénal permet de lever le secret professionnel en cas de crimes sexuels commis sur des mineurs de 15 ans", explique Antoinette Fréty. "Les médecins et les avocats ne peuvent pas être poursuivis pour manquement à ce secret professionnel." Ils doivent même signaler les atteintes portées à leur connaissance. Dès lors, comment justifier le silence dans le cadre d'une confession ?

Dans ses explications mercredi soir, Eric de Moulins-Beaufort estime que lever le secret de la confession "serait contreproductif" vis-à-vis des victimes. "Se confieraient-ils s'ils savaient que ce n'était pas secret ?", s'interroge-t-il. Sur franceinfo, il établissait une différence entre le moment de la "confession", inviolable, et le moment de la "confidence". "Le secret de la confession n'est pas la fin de tout, ce n'est pas un chapeau sur le crime mais au contraire une ouverture", explique à franceinfo le prêtre Thomas Poussier, auteur du livre Secret de confession"Quand je vois une femme battue par son mari, je lui propose d’en parler après la confession."

Thomas Poussier appelle donc à renforcer la formation des prêtres, pour les aider à trouver les bonnes personnes et ressources, comme le numéro vert 119 d'Allo enfance en danger. Cette proposition avait déjà été formulée par la Conférence des évêques de France, dans une note datée de décembre 2020 : "Le prêtre qui a reçu des informations hors du cadre de la confession peut faire exception au secret professionnel ou même, en certains cas, doit le faire."

Dénoncer pour protéger 

Cette dernière idée fait bondir Antoinette Fréty. "Qui pourra vérifier que l'enfant a été bien accompagné pour livrer de nouveau son témoignage ?" s'interroge l'avocate. "Et puis, ce n'est pas à l'enfant de répéter plusieurs fois. C'est à l'adulte de remplir les obligations de dénonciation." Ce distingo entre "confession" et "confidence" n'a pas davantage convaincu les membres de la commission, qui jugent tout à fait illusoire que des victimes mineures puissent reformuler à l'envi leurs témoignages, dans et en dehors du confessionnal.

“Le secret de la confession n’est pas fait pour les victimes. Il est fait pour permettre à l'Eglise de se défendre.”

Antoinette Fréty, avocate

à franceinfo

C'est également l'avis de l'anthropologue Laëtitia Atlani-Duault, membre de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise. Le secret de la confession "peut être une arme de silence massive sur les violences sexuelles" commises par des membres de l'Eglise, estime la chercheuse dans Le Monde. "Après avoir parlé à des prêtres, très peu de victimes voient leurs cas signalés à la justice, avec comme justification que leur parole a été entendue en confession."

Les membres de la commission tirent des conclusions très fermes sur la manière d'envisager le "secret professionnel" des prêtres et des clercs. Ceux-ci ne peuvent "déroger à l'obligation (...) de signaler aux autorités judiciaires et administratives les cas de violences sexuelles infligées à un mineur ou à une personne vulnérable". Dans son argumentaire, la commission dénonce une contradiction entre "secret de la confession" et nécessaire "protection de la vie et de la personne", présente dans les Dix commandements. Bien entendu, elle laisse le soin à l'Eglise catholique de dénouer elle-même ce dilemme.

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