Abus sexuels dans la communauté Saint-Jean : des religieuses dénoncent la loi du silence
Pour cette religieuse de trente-cinq ans, la douleur reste vive à l’évocation de ses douze années passées dans la communauté Saint-Jean. Elle pensait alors offrir sa vie aux autres, à Dieu et raconte avoir subi des agressions sexuelles de la part, notamment, d’une sœur supérieure. Elle évoque "des caresses, des baisers, devait se dévêtir."
J’étais dans une relation qui ne permettait pas de dire non
Une sœur apostolique de Saint-JeanA L'Œil du 20H
Inenvisageable de dire non : "On nous apprenait que pour faire la volonté de Dieu, il fallait répondre aux volontés du supérieur. J’ai vite compris qu’il fallait accepter des gestes de tendresse de la part d’une supérieure. J’étais dans une relation qui ne permettait pas de dire non”.
Jusqu’au jour où elle se décide à dénoncer les faits à la hiérarchie de sa congrégation. La sœur supérieure sera déplacée dans un autre prieuré. Sous le choc, elle se souvient également avoir entendu des propos "hallucinants" comme : “Il y pas de danger, la nouvelle jeune soeur qu’elle aura sous son autorité n’est pas son genre de femme. Elle ne sera pas attirée par elle”.
Jamais personne ne m‘a proposé de porter plainte ou de m’adresser à la justice civile
Une sœur apostolique de Saint-JeanA L'Œil du 20H
Une absence de sanction, déplore t-elle, qui ne lui laisse d’autre choix que de quitter sa communauté. Elle a bien tenté d'alerter mais “à Saint Jean, avant même d’avoir recours à la justice canonique, on essaye de tout régler en interne. Jamais personne ne m‘a proposé de porter plainte ou de m’adresser à la justice civile”, affirme t-elle.
En guise de pardon, elle recevra néanmoins une lettre, signée du prieur général qui l’informe : “Du côté de l’Eglise, il n’y aura pas d’enquête plus poussée ni de procès permettant la reconnaissance judiciaire des abus que vous avez subis (...) Cependant, les faits ont été reconnus (...) Je vous demande pardon, au nom de la congrégation”
Aujourd’hui, elle a fait appel à un avocat et envisage de porter plainte.
Sur son site internet, pourtant, la communauté encourage les victimes “à signaler ces faits à la justice”.
Mais voici ce que dit cette responsable de l’un des prieurés de la communauté, lorsqu’on évoque le sujet : “Les procès, les interrogatoires, c’est lourd, très lourd pour les victimes. De ce que j’ai vu, quand le coupable reconnaît, et dit : "Je reconnais les faits", qu'il essaie de comprendre, je ne vois pas pourquoi on lui jetterait la pierre”.
J’étais la méchante parce que je parlais, j’étais la traître
Une sœur apostolique de Saint-JeanA L'Œil du 20H
Une loi du silence qui semble difficile à rompre selon cette autre soeur apostolique, aujourd'hui exclaustrée, qui en a fait l’amère expérience : “Ma congrégation m’avait dit : “On ne dénonce pas son frère, je ne veux rien savoir. On a toujours l’impression que c’est nous qui sommes en faute. Moi, j’étais la méchante parce que je parlais, j’étais la traître”
Elle a fini par saisir la justice. Comme elle, selon nos informations, trois sœurs ont porté plainte.
La moitié des soeurs apostolique de Saint-Jean, victimes d'abus sexuels
La communauté Saint-Jean compte 170 sœurs apostoliques. 130 d’entre elles ont répondu anonymement à un questionnaire interne dont nous sous sommes procuré le rapport confidentiel, remis aux autorités de la communauté en juin 2023.
Soixante-six religieuses, la moitié d’entre elles, déclarent avoir été victimes de "violences", de "contraintes", de "menaces", "d'exhibitionnisme" et aussi de "viols". “Un abîme de dysfonctionnements, de souffrances, de malheurs”, conclut le rapport.
Une communauté placée sous l’autorité de Mgr Benoît Rivière, évêque d’Autun en Saône-et-Loire, depuis 2006. Devant l’ampleur des dérives évoquées dans le rapport, il dadmet ne pas avoir pas lu le rapport en détails mais se dit "effaré par le nombre de soeurs" qui se disent abusées.
Eût-il été sain de dissoudre la communauté Saint-Jean ? "Non" affirme t-il, ajoutant : "J’ai toujours pensé qu’il y a un croisement de fils. Le fil de la vie et des fils de perversité, de violence, parfois de mensonges. Je crois toujours que le fil de la vie est plus important, à condition de regarder les choses en face et de dénoncer le mal. C'est ce qui a été fait dans cette congrégation, que j'ai accompagnée comme j'ai pu.” Aujourd'hui, il encourage les sœurs qui seraient victimes d’abus à porter plainte.
La communauté Saint-Jean se trouve désormais dans le viseur du Vatican qui vient de dépêcher un commissaire apostolique afin “de procéder à un audit complet de la congrégation” car "c’est un devoir de justice de prendre soin des sœurs en raison des abus subis.”
PARMI NOS SOURCES :
- La CRR (Commission Reconnaissance Réparation), créée pour reconnaître et réparer les personnes victimes de violences sexuelles présumées commises par des membres d’instituts religieux.
- La CIASE, (Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l'Eglise)
- Le communiqué de presse de la CORREF (Conférence des Religieux et Religieuyses de France) de juin 2013 suite au rapport des Frères de Saint Jean "Comprendre et Guérir"
- L'AVREF (Association d'aide aux Victimes des dérives de mouvements Religieux en Europe et à leurs Familles) consacre un volet de son site Internet à la congrégation Saint-Jean
- "Saint-Jean : le mal", La Croix du 27 juin 2023
- "Abus chez les frères de Saint-Jean : la chronologie des faits", La Croix du 27 juin 2023
- Communiqué de presse de Mgr Benoît Rivière, évêque d'Autun, à l'adresse des soeurs suite au décret de nomination d'un Commissaire Apostolique :
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