Cet article date de plus d'onze ans.

Prostitution : un marché mondialisé

La Fondation Scelles a, dans son rapport annuel 2012, établit le lien entre mondialisation et prostitution. La circulation facilitée des personnes, la crise, et la corruption apparaissent comme les moteurs de l'exploitation sexuelle. 

Article rédigé par Agence AFP
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4min
Pour vivre, les Hijras sont souvent contraints à la mendicité ou à la prostitution. (PEDRO UGARTE / AFP)

La prostitution ne cesse de se développer dans "un vaste marché mondialisé", accentué par une circulation des personnes de plus en plus facile et une banalisation de l'achat du corps humain, dénonce jeudi dans un rapport la Fondation Scelles, qui lutte contre l'exploitation sexuelle.

Dans son rapport annuel 2012, intitulé "Exploitation sexuelle, une menace qui s'étend", la Fondation Scelles dresse un état des lieux de la prostitution dans 66 pays, où "le nombre de personnes prostituées ne cesse d'augmenter et l'exploitation sexuelle apparaît plus que jamais comme un vaste marché mondialisé qui brasse les nationalités".

"Il n'y a pas une, mais des prostitutions", a rappelé Frédéric Boisard, chef de projet à la Fondation, lors d'une conférence de presse à Paris. Il a évoqué les jeunes filles "Badis" au Népal, "intouchables parmi les intouchables" condamnées de génération en génération à survivre en se prostituant, les femmes soumises au tourisme sexuel en Asie ou dans l'arc latino américain (Caraïbes, Mexique, Colombie, Brésil), ou les Ougandaises envoyées en Malaisie sous couvert de fausse promesse d'embauche et victimes d'exploitation sexuelle.

Les réseaux font preuve d'une "grande capacité d'adaptation", a expliqué Yves Charpenel, président de la Fondation. "Les proxénètes passent des accords commerciaux entre eux", a-t-il ajouté, citant le cas de proxénètes roumains qui "vendaient de jeunes Equatoriens à des Français" ou un réseau libanais qui "allait chercher des femmes au Venezuela pour les vendre en France".

L'exploitation sexuelle est accrue par "la circulation plus facile des personnes", ajoute-t-il. Finis les camions transportant clandestinement les prostituées pour passer les frontières: aujourd'hui, la majorité des prostituées viennent de l'étranger (90%) "avec de vrais papiers ou quasi vrais, par avion et avec des contrats", explique-t-il, comme les Nigérianes, ou les Chinoises qui viennent "via des offices de tourisme".

A Chypre, des réseaux faisaient ainsi venir des femmes ukrainiennes ou russes avec des visas de "danseuses exotiques" ou "d'artistes", avant de les envoyer dans les pays du Golfe.

La crise économique a accentué la précarité et développé une "prostitution du désespoir", note le rapport. Cela a rendu l'achat de corps humains "plus banal", a souligné Sandra Ayad, responsable du Centre de recherches internationales et de documentations sur l'exploitation sexuelle (Crides) qui a coordonné l'étude.

En Grèce, par exemple, le nombre de maisons closes illégales a explosé avec la crise, et le nombre de prostituées étrangères a été multiplié par 20.

Via internet, les personnes les plus vulnérables répondent à de fausses offres d'emploi à l'étranger, pour des postes de nounou ou de fille au pair, de domestique ou de mannequin, selon Mme Ayad.

Dans les Balkans (Bosnie-Herzégovine et Albanie), les prostituées sont "recrutées" via de fausses promesses de mariage. Ensuite, obligées de rembourser une dette souvent très élevée pour passer la frontière (environ 50 à 60.000 euros), elles sont contraintes de se prostituer: "ils les tiennent par la drogue, la menace sur leur famille", détaille Yves Charpenel.

Une prostituée rapporte en moyenne 150.000 euros par an à son proxénète.

"Tous les pays sont contre l'exploitation sexuelle", a noté Yves Charpenel, mais l'application de ce principe reste problématique. Principaux freins : la corruption, la crise qui réduit les budgets consacrés à la lutte contre le proxénétisme ou encore les différences de régimes juridiques entre les pays.

Ainsi, chaque fois qu'une maison close s'ouvre dans un pays qui a réglementé la prostitution, comme l'Espagne ou l'Allemagne, "cela crée un appel d'air", avec l'arrivée massive de prostituées étrangères et de clients venus des pays voisins.

Pourtant, les pays réglementaristes font aujourd'hui "un constat d'échec", avec notamment une hausse de la prostitution illégale et clandestine, a insisté Yves Charpenel. Il espère qu'en France, le Sénat suivra la voie de l'Assemblée nationale, en votant la proposition de loi pénalisation les clients de prostituées.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.