Enquête sur le tabou de la corruption en prison

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Derrière les fenêtres, dans le huis clos des prisons françaises, où se côtoient chaque jour détenus et surveillants, une menace bien réelle : la corruption au sein même des établissements pénitentiaires. 
L’Œil du 20H lève le voile sur un tabou qui inquiète jusqu'au sommet de l’Etat.
Enquête sur le tabou de la corruption en prison Derrière les fenêtres, dans le huis clos des prisons françaises, où se côtoient chaque jour détenus et surveillants, une menace bien réelle : la corruption au sein même des établissements pénitentiaires. L’Œil du 20H lève le voile sur un tabou qui inquiète jusqu'au sommet de l’Etat. (L'Oeil du 20H)
Article rédigé par L'Oeil du 20 heures
France Télévisions
Les révélations sur Mohamed Amra, le détenu qui dirigeait son trafic depuis sa cellule avant son évasion spectaculaire, le 14 mai dernier, pose des questions sur la gestion des prisons. De plus en plus de détenus parviendraient à corrompre des surveillants pénitentiaires. L'Œil du 20H lève le voile sur un tabou qui inquiète jusqu'au sommet de l’Etat.

Derrière les fenêtres, dans le huis clos des prisons françaises, où se côtoient chaque jour détenus et surveillants, une menace bien réelle : la corruption au sein même des établissements pénitentiaires. 
Stupéfiants, bouteilles d'alcool, téléphones portables...
Des produits illicites dont semblent disposer certains détenus qui se filment et se vantent même sur les réseaux sociaux. 

Certains surveillants vendent de la viande, des téléphones, de la drogue : shit et coke.

Un détenu

A L'Œil du 20H

Nous avons pu échanger pendant plusieurs semaines avec certains d’entre eux, via des messageries cryptées. Le téléphone est pourtant rigoureusement interdit en détention. Et voici ce qu’ils nous ont confié  : 

"Si je veux un truc et que je mets le prix, le surveillant, il me le ramène." 

"J’ai moi-même acheté de l'alcool à des surveillants : 100-150 euros pour 1 litre et demi. Ils te rentrent ça dans des bouteilles d’eau.”

Sur une séquence fimée qu’il nous a envoyée, un détenu affirme ainsi tenir dans la main un verre de whisky, il est en pleine cour de promenade.  

"On fait rentrer de tout en prison. Certains surveillants vendent de la viande, des téléphones, de la drogue : shit et coke. Et ils font grimper les prix." 

"C’est rarement les surveillants qui proposent. Les détenus se passent le mot. C’est le détenu qui a le plan avec le surveillant qui organise le trafic. Et il prend une commission au passage pour chaque vente." 

Un détenu se filme dans sa cellule après avoir récupéré un téléphone portable (L'OEIL DU 20 HEURES / FRANCE 2)

Des propos impossibles à vérifier. Mais ces derniers mois, plusieurs affaires de faits de corruption, impliquant des surveillants, ont émergé dans la presse. Dernière en date : des gardiens de la prison de Réau en Seine-et-Marne, suspectés d’avoir participé à "l’introduction en détention" de portables, d’alcool ou de drogue. Le juge d’instruction a décidé de les mettre en examen et d’en écrouer deux, le14 mars dernier.

Deux surveillants brisent le tabou

En poste depuis plus de 15 ans, ils ont accepté de briser le tabou de la corruption en prison et d’en livrer les mécanismes. Cet épisode a particulièrement marqué l'un d'eux : "C'est une surveillante qui met un coup de pied dans une paire de chaussettes en direction d'un détenu qui la ramasse et qui la met dans son sac au parloir. Il y avait un téléphone à l'intérieur de la paire de chaussettes."

Comment un surveillant fait-il entrer un produit illicite ? Comment le remet-il au détenu ? "Il peut l'avoir scotché sur lui. Et quand il passe sous le portique, ce sera ni visible, ni ça sonnera. C’est d'ailleurs souvent remis en service de nuit", raconte l'un,"ou alors, c'est caché dans un petit entre deux, dans une poubelle ou directement en cellule", ajoute l'autre. 

Il y a encore plein d'établissements où il n' y a pas de caméra sur les coursives.

Un surveillant

A L'Œil du 20H

 

Tous deux affirment avoir été approchés par des détenus pour tenter de les corrompre  mais racontent : "Il n'y a aucun intérêt à le faire, parce que derrière, on devient leur "pute" et ils nous tiennent. On sait qu'on va être balancé ou que ça va se savoir."   

Des détenus qui n'hésitent pas à exploiter les faiblesses de certains surveillants : “Les détenus voient les mêmes personnels tous les jours. Donc, ils créent un lien et ils n’hésitent pas à demander. Ils testent. Et il suffit que le surveillant ait des difficultés financières ou personnelles, les détenus exploitent cette faille”.

Tandis que d’autres agents peuvent être tentés par la promesse d’argent facile : "Si tous les jours, ils rentrent quelque chose, ils peuvent largement doubler leur salaire. Quand on sait que les stups ça peut être fois 10 ou les téléphones fois 5, ça peut être très vite chiffrer." 

L'administration pénitentiaire, elle ferme les yeux, ça c'est sûr.

Un surveillant de prison

A L'Œil du 20H

L'administration pénitentiaire prend-elle ces menaces au sérieux ? "Ceux qui sont attrapés en flagrant délit, elle les incite à démissionner. L’administration a un peu de bienveillance et elle leur dit : “vous n'aurez pas de répercussions administratives”, elle ferme les yeux, ça c'est sûr.", affirment-ils. 

Entre 2018 et 2023, 22 agents pénitentiaires passés en commission de discipline pour faits de corruption

La corruption en prison, un sujet hautement sensible et longtemps resté tabou. Que l’administration pénitentiaire tente aujourd’hui pourtant de prévenir. Un questionnaire, baptisé “Déontomètre”, a été remis en mars dernier à l’ensemble des surveillants. 48 situations concrètes. Et pour chacune d‘elles, plusieurs réponses ou attitudes possibles : de la plus éthique à la moins déontologique. 

Questionnaire destiné aux professionnels de l’administration pénitentiaire (L'OEIL DU 20 HEURES / FRANCE 2)

Sollicité, le ministère de la justice assure avoir mis en place un plan d'action depuis plusieurs années et prendre le mal à la racine : “Quelqu'un qui fait rentrer des produits interdits en détention, c'est quelqu'un qui met en danger les détenus, mais qui met aussi en danger ses collègues. ll n'y a pas de mansuétude, au contraire. Il y a de la sévérité, de la réactivité de l'administration pénitentiaire vis-à-vis de ce type de faits. Dès lors qu'il y a une suspicion, un signalement est immédiatement adressé au parquet. Et une enquête est ouverte de manière systématique.” conclue Cédric Logelin, porte-parole du ministère de la Justice. 

Entre 2018 et 2023, 22 agents pénitentiaires sont passés en commission de discipline pour faits de corruptions. Parmi eux, 19 ont été révoqués. Ils ont tous fait l’objet de sanctions pénales. 

PARMI NOS SOURCES : 

Le "Déontomètre", questionnaire destiné aux professionnels de l’administration pénitentiaire afin de "favoriser le passage du code de déontologie à une déontologie appliquée". 

Rapport de la commission sénatoriale sur le narcotrafic, publié le 14 mai 2024. 

Justice en France. Les personnels pénitentiaires. 

Surveillants pénitentiaires, les détails de la réforme de 2023. 

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