Cet article date de plus de six ans.

Comment les débats citoyens sur la PMA pour toutes sont devenus une "querelle entre deux camps irréconciliables"

Article rédigé par Vincent Daniel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Le lancement des états généraux de la bioéthique, à Paris, le 18 janvier 2018.  (MAXPPP)

Plusieurs débats sont organisés dans toute la France dans le cadre des états généraux de la bioéthique. La question de la procréation médicalement assistée (PMA) suscite tensions et oppositions frontales. Franceinfo s'est rendu à l'une de ces réunions, à Nantes. 

"J'aimerais bien que les débats organisés par l'Agence régionale de santé (ARS) rassemblent autant de monde que ce soir !", lance l'organisateur du débat citoyen qui se tient ce mercredi 21 février à Nantes (Loire-Atlantique). Deux cents personnes sont réunies pour échanger leurs points de vue autour du thème : "L'assistance médicale à la procréation (AMP) pour tou.te.s ?", en référence à l'engagement du gouvernement d'ouvrir la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires. Ce débat a lieu dans le cadre des états généraux de la bioéthique, ouverts le 18 janvier. 

L'affluence est telle qu'il fallait s'inscrire par mail pour assister au débat et plusieurs dizaines de personnes ont essuyé un refus, faute de place. Le sujet est "extrêmement sensible", prévient d'emblée Christophe Duvot, directeur adjoint de l'ARS des Pays-de-la-Loire : "Il faut beaucoup de bienveillance les uns envers les autres et du respect."  Le ton est donné. 

De fait, deux camps irréconciliables se toisent et s'affrontent. Une guerre de position qui va durer plus de deux heures, sans débat réel. D'un côté, la Manif pour tous de Loire-Atlantique a appelé ses partisans à assister en nombre à la réunion, de même qu'Alliance Vita, mouvement anti-IVG, anti-mariage pour tous et anti-euthanasie, ou encore les Associations familiales catholiques (AFC) du département. De l'autre, le centre LGBT de Nantes, qui dénonce "l'offensive de militants réactionnaires" et la "mauvaise tenue de ces débats", a encouragé ses soutiens à "faire entendre" leurs voix. 

"Qu'est-ce qu'un vrai parent ?"

Dans une courte introduction, trois experts se succèdent au micro : le responsable du centre de PMA du CHU de Nantes pour un tour d'horizon médical de la question ; une professeure de droit de l'université du Mans (Sarthe) pour faire le point sur le cadre juridique encadrant la pratique de la PMA, puis un philosophe dont l'exposé est destiné à ouvrir des pistes de réflexion. "L'AMP (aide médicale à la procréation) est une activité médicale qui dépasse d'emblée l'objectif stricto sensu de guérir ou soigner (...) Les couples hétérosexuels infertiles qui font appel à l'AMP ne sont-ils pas dans une demande sociétale ?" 

Que met-on derrière la notion d'intérêt de l'enfant ? Qu'est-ce qui relève vraiment de la nature et comment chacun définit ce qu'il nomme la nature ? Qu'est-ce qu'un vrai parent, le biologique ou celui qui éduque ?

Aurélien Dutier, philosophe et chargé de mission de l'Espace de réflexion éthique des Pays-de-la-Loire

Après ces brefs exposés, le public est appelé à s'exprimer sur une succession de thèmes : "Les critères pour élargir l'accès à l'assistance médicale à la procréation", "Droit à l'enfant et droit de l'enfant", "Le remboursement de la PMA pour toutes les femmes", "La gestation pour autrui" et d'autres thèmes plus techniques. 

"Nous ne sommes ni dans un spectacle, ni dans une tribune"

Chargé de modérer le débat citoyen sur ce "sujet clivant", Antony Torzec, journaliste nantais, rappelle les règles : "L'objectif est le recueil de toutes les paroles. Nous ne sommes ni dans un spectacle, ni dans une tribune, mais dans un forum où chacun peut s'exprimer. Inutile d'applaudir après les interventions." Dès la première prise de parole, la tension s'installe dans la salle : yeux levés au ciel, soupirs de désapprobation, "oh la la" agacés... La salle bruisse de mécontentement exprimé de part et d'autre. 

"Un couple est formé d'un homme et d'une femme, depuis nos origines, c'est ce qui fait l'humanité et c'est une réalité biologique", explique un retraité, veste matelassée fermée, qui affiche son hostilité à l'ouverture de la PMA. Un second intervenant,  âgé d'une soixantaine d'années, s'étonne du "manque de condamnation" de la "délinquance à la procréation" que représentent pour lui les femmes qui partent en Belgique ou en Espagne pour bénéficier d'une PMA. Une femme, la soixantaine pimpante, trépigne au premier rang puis lève la main : "Un enfant a besoin d'un père, si on l'en prive c'est une violence !" 

"Il est où, le respect ?"

Dans l'autre camp, on bout. Une participante, la trentaine, se lève pour lire un texte qu'elle a écrit sur une feuille qu'elle déplie : "J'aimerais témoigner en tant que lesbienne, commence-t-elle. Nous sommes ici pour discuter de nos vies, de nos familles, comme si ce sujet appartenait à tout le monde. (...) Nous sommes reléguées au statut d'objet", poursuit-elle, suscitant ici et là quelques protestations. Dans la même veine, une autre participante prend à partie l'assistance.

Nous ne sommes pas des étrangetés, des dangers ou des demandes sociétales. Nous votons, nous payons des impôts, nous enseignons à vos enfants dans les écoles, nous les soignons dans les hôpitaux, nous cotisons pour les PMA des couples hétérosexuels...

Une intervenante, lors du débat sur la PMA à Nantes

D'autres femmes prennnent la parole pour dénoncer "l'homophobie" des intervenants. "Je me suis sentie agressée", s'indigne l'une d'entre elles. Et certaines, venues avec leurs enfants, revendiquent leur parcours de PMA organisé à l'étranger : "Nos familles homoparentales existent, il s'agit de les reconnaître. Nos enfants vont bien, nous ne sommes ni meilleures ni pires que vous", cingle une femme d'une quarantaine d'années. 

Pendant toute la durée du débat, chaque camp tient ses positions et invective ses opposants. "La société n'a pas à prendre en charge votre infertilité sociale !", lance un homme à destination de lesbiennes qui se sont exprimées. "C'est lamentable, il est où le respect ?" s'indigne un jeune participant. "Vous considérez les familles homoparentales comme un délitement de la société, arrêtez de nous cracher dessus !", lance un quadragénaire. Un homme, qui se présente comme opposé à l'ouverture de la PMA à toutes les femmes, tente de lancer un appel au calme. Face à la stérilité des débats, il se sent "prisonnier d'une querelle entre irréconciliables partisans et opposants, comme si on devait débattre de la construction d'un aéroport ou d'une centrale nucléaire." "C'est assez désagréable", conclut-il.

"C'est impossible de débattre"

Certains prennent le micro pour signifier leur opposition à toutes formes de PMA, y compris pour les couples hétérosexuels infertiles, dénonçant "une manipulation technique du vivant et une sélection des embryons", quand d'autres en profitent pour protester contre l'avortement, suscitant l'indignation. "L'autoconservation des ovocytes, franchement, pour les jeunes femmes, c'est dégoûtant !", s'indigne une participante au look bon chic bon genre, s'attirant quelques moqueries. "Nous assistons à une déliquescence de la famille", dit encore une autre femme.

Un impossible débat qui n'est pas propre à Nantes. Virginie Rio, fondatrice du collectif BAMP, association de patients (hétérosexuels) de l'assistance médicale à la procréation et de personnes infertiles, explique à franceinfo que des situations tendues et comparables sont constatées à Lyon (Rhône) ou encore à Angers (Maine-et-Loire). "Les anti-PMA sont en guerre et ils viennent déverser leur haine. Si vous venez pour vous informer, vous faire une idée ou débattre, c'est impossible. Ils viennent juste pour asséner que 'le pire est à venir pour l'humanité'", regrette-t-elle. "A Nice, La Manif pour tous accapare les débats sur la PMA", constate aussi Mediapart (article abonnés). 

Virginie Rio déplore la forme de ces débats, qui "se résument à des affrontements entre des gens 'pour' et des gens 'contre', on ne sort pas du dogmatisme." Pour elle, "ces débats, qui sont en fait des combats" sont d'autant "plus regrettables qu'une majorité de Français est favorable à l'ouverture de la PMA", dit-elle en référence au sondage Ifop pour La Croix et le Forum européen de bioéthique, publié début janvier. Le Code de la santé publique prévoit que les états généraux de la bioéthique "réunissent des conférences de citoyens choisis de manière à représenter la société dans sa diversité", mais de la loi à son application concrète, il semble y avoir un véritable fossé. 

Ces débats valorisent les extrémistes et les mécontents.

Virginie Rio, fondatrice du collectif BAMP

à franceinfo

Plusieurs formes de débats et un site de consultation

Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE), qui a chargé les espaces éthiques régionaux d'organiser ces débats, reconnaît que la "PMA est un sujet sur lequel les positions exprimées de part et d'autre sont assez fermes." "On ne peut que regretter quand cela se passe mal, mais globalement les débats se déroulent de façon sereine", estime le CCNE.

Le comité rappelle également qu'il existe "plusieurs formes de débats : des cafés éthiques, des interventions avec des publics spécifiques comme les étudiants, des petits groupes de personnes chargées de former un jury..." Enfin, un site de consultation a été lancé (etatsgenerauxdelabioethique.fr), où là aussi "les gens expriment très clairement et très fermement leurs positions", constate le CCNE. Sans surprise, parmi les neuf thèmes proposés au débat (fin de vie, données de santé, cellules souches, dons d'organes ou encore environnement et santé), c'est la procréation qui génère le plus de contributions : plus de 5 000 au 1er mars, sur plus de 12 000 au total. 

"On peut craindre une logique délibérée de bordel"

Parallèlement à tous les débats organisés dans toute la France et à la consultation sur internet, le CCNE mène des auditions sur toutes les questions mises au programme des états généraux de la bioéthique. Les compte-rendus de ces débats doivent théoriquement aider le CCNE à rédiger une synthèse. Celle-ci sera remise en juin aux parlementaires et au gouvernement. Et en juillet, le comité remettra un avis définissant "les priorités qui pourraient figurer dans la loi, à la lumière de toutes les contributions qu’il aura réunies", selon La Croix.

Du côté des députés de La République en marche pro-PMA, on s'interroge sur la méthode choisie pour ces états généraux de la bioéhique et on commence à s'inquiéter. "On peut craindre une logique délibérée de bordel pour faire croire que le débat n'est pas possible et qu'il n'y a pas de consensus sur cette question, explique-t-on dans l'entourage d'un député LREM mobilisé en faveur de la PMA. Et donc qu'il faudrait repousser ça aux calendes grecques."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.