Loyers à Paris : un sur trois hors-la-loi malgré l'encadrement
"Pour éviter les abus, j’encadrerai les loyers" , voilà ce que promettait François Hollande pendant la campagne présidentielle à son meeting du Bourget le 22 janvier 2012. Une promesse tenue car la loi ALUR (Accès au Logement et à l’Urbanisme Rénové) - qui encadre les loyers - a été votée le 24 mars 2014. Mais une promesse à moitié tenue : le dispositif ne s’applique qu’à Paris où il demeure en partie théorique car il est très facilement contourné par les propriétaires.
Une annonce immobilière sur trois ne respecte pas le loyer autorisé
Selon une étude de la CLCV (Association Consommation Logement et Cadre de Vie), une annonce immobilière sur trois ne respecte pas le loyer autorisé, et une sur deux quand il s'agit d'annonces de particuliers. David Rodrigues, juriste à la CVCL est l'auteur de cette étude : "Le montant moyen des dépassements est de plus de 140 €/mois. Au total plus de 1 500 €/an, donc vous imaginez ce que ça peut représenter pour un locataire."
Un studio sur deux trop cher
Ces dépassements sont donc très fréquents. Quand on se rend sur un site comme Le Boncoin.fr. On y trouve des dizaines de chambres de bonnes louées à prix d’or, comme ce 10m² dans le VIIème arrondissement, près de l’Assemblée nationale, au sixième étage sans ascenseur, loué 650 €, soit 200 € de plus que ce que prévoit la loi.
Notre enquêtrice a visité cette chambre de bonne de "luxe" en se faisant passer pour une mère recherchant une location pour son fils, le micro caché au fond du sac :
-
Le propriétaire : "Alors voyez c’est petit mais c’est complet : cuisine évier deux plaques chauffantes frigidaire armoire penderie, salle d’eau.
-
Laëtitia Saavedra : Vous avez mis tout ça dans combien de m² ?
-
Le propriétaire : 10m²
-
Laëtitia Saavedra : enfin, au sol, mais en loi Carrez ça fait combien ?
-
Le propriétaire : ça m’est égal la loi Carrez. Je n’ai pas fait de mesure géométrique.
-
Laëtitia Saavedra: le toit est en pente. Ca fait 3-4 m² en loi Carrez. C’est combien la location ?
-
Le propriétaire : 650 € charges comprises.
-
Laëtitia Saavedra : du coup ça dépasse le loyer prévu par la loi
-
Le propriétaire : Ah ben ça c’est possible.
-
Laëtitia Saavedra : vous êtes au courant ?
-
Le propriétaire : *Non, mais vous êtes contrôleur des impôts ?"
*
En réalité ce studio ne fait pas 10m² mais seulement 4m² habitables à cause du plafond en soupente. Par conséquent, il devrait être interdit à la location. Son prix théorique devrait être de 166€, et non les 650€ annoncés par le propriétaire. Des cas de fraudes manifestes comme celui-ci ne sont pas isolés.
Les compléments de loyers pour contourner la loi en toute légalité
D’autres propriétaires ont trouvé une astuce pour contourner la loi en toute légalité. Ils prétendent que leur logement possède des caractéristiques exceptionnelles pour appliquer un "complément de loyer" prévu par la loi. Mais ces "caractéristiques exceptionnelles" ne sont nullement précisées dans la loi. C’est la faille du dispositif et la porte ouverte aux abus. Exemple avec ce propriétaire appelé au téléphone. Son studio à 620 € par mois est plus cher de 200 € que le loyer encadré :
-
Le propriétaire : "Il y a une machine à laver à 1 000 €, un lave-vaisselle à 500 €. Je ne vais pas quand même louer un appartement avec 3 000 ou 4 000 € d’équipement à 400 € !
-
Laetitia Saavedra : Vous ne voulez pas louer au tarif de la loi ?
-
Le propriétaire : Mais il n’y a pas de tarif de la loi. Quand vous creusez on peut contourner la loi. Et je me mets au niveau de la loi mais en la contournant."
Renseignement pris auprès de la CLCV , une machine à laver ne peut être considérée comme un complément de loyer. Avec 2 400€ de supplément par an, la machine à laver est très rapidement rentabilisée ! Et les abus de ce type sont très nombreux. Comme ce cas hors norme examiné par Alex Maudet, juriste à la Confédération nationale du logement : "On avait proposé au locataire un loyer de 1000 € + 260 € de complément de loyer. Or le complément de loyer de ce locataire était une baignoire !! Si au moins ça avait été un jacuzzi on aurait pu dire que c’était un équipement exceptionnel, mais jamais à 260 € !"
Les locataires n'osent pas contester leur loyer
Les locataires ont le droit de déposer un recours devant la justice mais quasiment aucun n'ose le faire. C'est ce que déplore Alexandre Urwicz, directeur d'agence immobilière, soucieux de la défense des droits des locataires : "Quel locataire, qui a déjà tant de mal à se loger à Paris, va en plus engager une procédure judiciaire, laquelle, s’il prend un avocat, va lui coûter entre 1 500 et 2 000 € ? Aucun. Voilà le vrai problème."
Conséquence : sur 40.000 nouveaux contrats de location signés depuis le mois d’août 2015 (date d’entrée en vigueur de l’encadrement à Paris) seuls une trentaine ont fait l’objet de recours, soit 0,08% ou huit recours pour 10.000 loyers signés !!. Un nombre infinitésimal pour Alex Maudet : "C’est rien du tout par rapport au nombre de nouvelles locations qui se font tous les jours à Paris. Ce qui prouve que l’encadrement des loyers n’encadre personne." Pourtant, quand le recours d'un locataire aboutit, le propriétaire doit lui rembourser le trop perçu.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.