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En Grèce, les petits arrangements du business des mères porteuses

Article rédigé par Salomé Legrand - Envoyée spéciale en Grèce,
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Elena, mère porteuse enceinte de trois mois, le 24 septembre 2014 à Maroussi (Grèce). (SALOME LEGRAND / FRANCETV INFO)

Alors que la Manif pour tous se mobilise contre la gestation pour autrui, dimanche, reportage en Grèce, où cette pratique est légale et encadrée depuis 2002.

 

Les cadeaux du jour - dont deux pots de confiture maison douteuse, un odorant jambon entier et une icône religieuse comme il en scintille des dizaines dans toute la clinique - s'amoncellent au pied de son imposant bureau en bois vernis. Tous offerts par des couples en mal d'enfant que le docteur Konstantinos Pantos, directeur du centre Genesis, dans la banlieue d'Athènes (Grèce), a aidés avec succès.

"L'Elvis de la fertilité", dixit une ex-patiente, emploie 90 personnes et revendique 400 grossesses en cours. Mais aussi l'accompagnement d'une cinquantaine de mères porteuses par an. Il a même été le premier en Grèce à suivre une gestation pour autrui (GPA) après son autorisation et son encadrement par une série de lois de 2002 et 2005.

"Ils viennent et je fournis le service"

Officiellement, la GPA en Grèce ne doit donner lieu à aucune contrepartie, à l'exception du financement par les "parents d'intention" des frais médicaux et de transport de la mère porteuse, ainsi que l'indemnisation de son manque à gagner éventuel durant la grossesse, plafonnée à 10 000 euros. Le tout validé par une décision judiciaire - d'un tribunal généralement choisi en banlieue pour réduire les délais. Mais il existe une rémunération parallèle de 20 000 à 25 000 euros en moyenne, selon Konstantinos Rokas, avocat spécialisé dans ces dossiers sensibles.

Le docteur Konstantinos Pantos dans sa clinique de Chalandri, à l'est d'Athènes (Grèce), le 23 septembre 2014. (SALOME LEGRAND / FRANCETV INFO)

Dans la clinique du docteur Pantos, qui demande à ses patients de trouver eux-mêmes leur mère porteuse, peu importe les termes réels de l'accord tant que celle-ci subit tous les tests médicaux prévus par la loi. Et que la mère d'intention est vraiment infertile. "Ils viennent, ils déclarent [ce qu'ils veulent aux juges] et je fournis le service, je ne suis pas officier de police", lâche cash le gynécologue. Il dispose tout de même d'un service juridique pour accompagner les couples. Ainsi que de son propre psychiatre pour fournir le certificat d'aptitude que la mère porteuse doit présenter au tribunal.

Une grand-mère porteuse dans un cas sur dix

La plupart du temps, ses patients arrivent avec une membre de la famille - sœur, mère, cousine et, même, dans 10 à 15% des cas, grand-mère - qui n'est pas rémunérée. Ou encore, dans 22% des situations étudiées par le comité de bioéthique entre 2003 et 2010, leur employée de maison ou femme de ménage, pudiquement présentée comme "amie proche".

Maria*, déjà mère porteuse à deux reprises, raconte, par mail, avoir commencé par aider "sa sœur d'orphelinat", qui a subi une ablation de l'utérus après un cancer, en 2009. "A la naissance, la joie sur son visage a été le plus grand cadeau que j'aie jamais reçu", assure-t-elle. Un an et demi plus tard, elle décide de porter l'enfant de deux Français rencontrés lors de leur passage au tribunal, et avec qui elle avait gardé contact. 

Le profil en ligne de Maria*, mère porteuse en Grèce.  (FINDSURROGATE.COM)

Dans les deux cas, Maria, maman d'une petite fille, parle d'une "vocation" et jure n'avoir pas reçu d'argent. Pas même une indemnisation, comme le prévoit la loi, puisque, mère au foyer, elle ne peut justifier d'aucun salaire. Mais un contrat la lie aux Français, l'empêchant de détailler quoi que ce soit à leur sujet, si ce n'est qu'ils s'échangent encore aujourd'hui messages, photos et cadeaux à l'occasion des anniversaires.

"C'est comme un baby-sitting, tu gardes l'enfant, il apprend des choses de toi, et tu es avec lui pour plein de choses nouvelles, mais le fait que tu l'élèves n'en fait pas le tien", explique-t-elle. A 28 ans, son profil est en ligne sur tous les sites permettant de trouver des mères gestatrices. Elle est prête à porter l'enfant d'un troisième couple si elle a "le coup de foudre" et si elle est sûre "que les parents ne vont pas divorcer".

"L'impression d'être dans un rêve"

A 49 ans, Alexia*, femme au foyer, attend avec impatience son enfant biologique - l'embryon a été conçu avec son ovocyte -, porté depuis sept mois par une jeune trentenaire. Difficile de savoir comment elles se sont rencontrées. Elle présente avec insistance sa mère porteuse comme "la meilleure amie de sa cousine, devenue sa meilleure amie". Celle-ci fait "des petits boulots", mais Alexia ne sait pas préciser lesquels, et ne sait répondre qu'à très peu de questions basiques au sujet de sa "meilleure amie". Ce qu'elle reconnaît en revanche, c'est que seuls ses parents et le médecin sont au courant de sa démarche, entamée après trois ans d'échecs de fécondation in vitro.

Avec son mari, Alexia, qui a "l'impression d'être dans un rêve", pense cacher à l'enfant comment il a été conçu, "pour lui éviter la blessure d'être né de manière peu orthodoxe". Le couple a surtout prévu de quitter l'île de Leucade où il réside, pour n'y revenir que dans deux ans, afin que l'illusion soit parfaite aux yeux des voisins et amis.

De toute façon, la loi prévoit que l'acte de naissance soit rédigé directement au nom de la mère d'intention. A partir de l'accouchement, plus rien d'officiel ne mentionne la mère porteuse. "Cela responsabilise les parents d'intention", décrypte Me Konstantinos Rokas, en soulignant qu'ils ne peuvent ainsi pas abandonner l'enfant en cas de problème, comme un handicap. 

"Leur principale motivation reste l'argent"

Quand les parents n'ont pas de volontaire, la majorité des médecins acceptent de jouer les entremetteurs. Derrière ses utérus pédagogiques en plastique, Konstantinos Antoniou, directeur de l'antenne athénienne du groupe Iakentro, affirme avoir trois candidates potentielles en attente et martèle, à l'aise dans son jean-polo-baskets : "Le droit d'une femme à devenir mère est un droit constitutionnel inviolable." En réalité, c'est l'article 5 § 1 de la Constitution grecque sur le droit de "chacun à développer librement sa personnalité" qui est interprété par une partie des juristes spécialisés comme reconnaissant le droit à la procréation, analyse Konstantinos Rokas. 

(De G à D) Marina Nikoli, Konstantinos Antoniou et Mairi Karagianni, de la clinique Iakentro, près d'Athènes, le 23 septembre 2014. (SALOME LEGRAND / FRANCETV INFO)

Dans la salle d'attente de sa clinique aux airs de bar branché, plantes vertes coincées entre les vastes canapés crème, diffuseur de parfum et musique d'ambiance au saxo, les biologistes, toutes trentenaires brunes sur le même modèle, susurrent, distribuent les sourires compatissants et s'affairent en blouse blanche.

Les mères porteuses candidates se présentent, surtout via internet, directement au docteur Antoniou qui vérifie, autant que possible, qu'il "n'a pas affaire à une ex-toxico ou une ancienne prisonnière". Parmi ses anciens dossiers, une femme au foyer, une infirmière, une aide à domicile, une femme de ménage… "Leur principale motivation reste l'argent", reconnaît le praticien qui, une fois les présentations faites, incite les deux parties à aller discuter, "un peu en dehors" de son établissement, des conditions exactes de leur contrat.

Chez lui, "les parents d'intention viennent pendant le suivi de grossesse et s'attachent déjà à l'enfant". Il leur recommande la césarienne, "pour éviter que la mère ne s'attache au bébé lors de l'accouchement". Quelque 1 800 euros qui alourdissent encore la facture officielle : en moyenne, au moins 5 000 euros par fécondation in vitro, 600 euros de suivi de grossesse, 2 000 euros pour l'établissement où a lieu l'accouchement, 1 000 euros d'avocat, 400 de psychiatre…

"Ce ne sont pas des boîtes à enfant"

Son confrère Dimitris Papanikolaou "sait interpréter la loi". Energique, regard franc derrière ses petites lunettes discrètes, il n'a pas attendu un amendement passé en douce par le gouvernement cet été pour pratiquer avec et pour des étrangers une GPA jusque-là réservée aux résidents permanents en Grèce - bien qu'une étude du comité de bioéthique montre que 54% des mères porteuses sont d'origine étrangère. Lui recrute des mères porteuses via "son réseau".

Amies d'amis, donneuses d'ovocytes de sa clinique qu'il convainc : il veut "être sûr de pouvoir dialoguer avec elles", traumatisé par les deux fois où les femmes n'ont plus voulu porter l'enfant en cours de route. "Une Roumaine" avait même avorté toute seule, au-delà du terme légal.

"Ce ne sont pas des boîtes à enfant", "on ne porte pas quelque chose dans sa poche, une grossesse c'est un grand huit hormonal et émotionnel", insiste le médecin, qui reconnaît pourtant que beaucoup de couples, majoritairement étrangers, ne veulent jamais rencontrer la mère porteuse. Ce qui le contraint, mime-t-il, à de longues négociations téléphoniques pour dessiner l'arrangement financier.

L'entrée d'une des quelque 60 cliniques privées de la fertilité du pays, à Maroussi, près d'Athènes (Grèce).  (SALOME LEGRAND / FRANCETV INFO)

"Donner du bonheur à un couple" contre 14 000 euros

C'est le cas des parents de l'enfant que porte depuis trois mois Elena, 29 ans. Grecs proches de la cinquantaine, ils refusent de la rencontrer ne serait-ce qu'une fois craignant qu'après l'accouchement, elle puisse les reconnaître, par exemple dans la rue. Ils redoutent qu'elle ne leur saute dessus en disant "c'est le mien", les exposant publiquement. Mais cette jeune femme, ancienne vendeuse dans une boutique de vêtements avant de se consacrer à ses "deux petits tigres" et à son foyer, ne tient pas non plus à les rencontrer.

Ravie de ses grossesses, elle s'est laissée convaincre par Dimitris, le médecin "devenu comme son frère". Sereine dans ses amples vêtements noirs, yeux pétillants et sourire timide, elle dit se sentir "magnifiquement bien""heureuse de donner du bonheur à un couple". Elle a bien dû expliquer à son aîné qu'il ne verrait jamais le bébé - elle-même ne souhaite ni le toucher ni le voir - et passer au-delà de la crainte du qu'en-dira-t-on exprimée par son mari.

Les seules personnes qu'Elena arrive à convaincre du bien-fondé de sa démarche sont les mères de famille. Mais elle reconnaît que les réactions les plus positives de son entourage sont suscitées par l'annonce de la somme qu'elle touchera sous la table : 14 000 euros, presque deux ans de salaire minimum grec.

"Vous auriez dû la voir toute attentive quand on a fait le transfert, s'illuminer quand on lui a annoncé qu'elle était enceinte, et paniquer, m'appeler plein de fois, inquiète au moindre petit saignement", s'enflamme quand même le docteur Papanikolaou. Appuyant son propos de schémas au stylo rouge sur un bloc d'ordonnances, il résume : "La GPA est un très bel acte médical qui réunit les besoins d'une femme qui a des problèmes de fertilité et les besoins d'une femme qui a des problèmes d'argent."

 

* A leur demande, les prénoms de certains interlocuteurs ont été modifiés.

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