"L'égalité trahie" : un rapport sur l'impact des contrôles au faciès
"Ma première expérience de contrôle ? (...) Une fois arrivé chez moi, j'ai couru dans ma chambre, je me suis mis sur mon lit et j'ai pleuré. " Amer, le comédien et humoriste Achille Ndari raconte la première fois où des policiers lui ont demandé de présenter ses papiers, sans raison apparente.
Avec Adji, Morad, Ruddy, Saïd ou encore Hicham (pour ne citer qu'eux), il est l'un des nombreux témoins qui ont raconté à la fondation américaine Open Society Foundation (OSF) le traumatisme que constitue un contrôle d'identité de police.
En compilant histoires personnelles, études sociologiques ou rapports d'activités - de l'Inspection générale de la polcie nationale (IGPN) ou de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) notamment - l'OSF a rédigé un rapport de 34 pages. Intitulé "L'égalité trahie, l'impact des contrôles au faciès ", ce travail est censé alerter les autorités françaises sur ce problème.
Frustration, humiliation et parfois violence
C'est un fait : la frustration et parfois la violence qui gangrènent les relations entre policiers et personnes fréquemment contrôlées découlent de l'humiliation que constitue un contrôle d'identité au faciès.
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"Quand on se fait contrôler sur la voie publique, contre un rideau de fer, devant les passants, ça renvoie quand même à une image qui n'est pas franchement agréable* , raconte Omer Mas Capitolin, conseiller chargé de la Jeunesse dans le XIe arrondissement de Paris.
Pour Lana Hollo, représentante de l'OSF à Paris, le problème et ses conséquences sont sous-estimées. "Beaucoup de personnes pensent que ce n'est pas grave, que c'est un simple désagrément , explique-t-elle à France Info . En fait, pour les personnes concernées, c'est un problème très sérieux, un vrai traumatisme. "
L'autre problème que soulève le rapport "Egalité trahie ", ce sont "les réglementations floues et permissives " qui entourent les contrôles de police et qui ouvrent la porte "aux contrôles d'identités discriminatoires ". Une absence de règles qui est contraire à la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, comme le rappelle le mouvement sur sa page Facebook.
Compliquer le travail de la police
Dans son étude, l'OSF soulève également un paradoxe : certains témoignages recueillis par l'OSF évoquent un sentiment d'insécurité suscité par... les forces de police.
Une réalité confirmée par l'étude menée en 2007-2008 par le Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip) et le cabinet Lamberth Consulting, et intitulée "Mesurer les discriminations selon l'apparence ". Cette étude montrait que 42 % des personnes d'origine sub-saharienne vivant en France entretenait un sentiment de défiance vis-à-vis des forces de l'ordre.
"De tels contrôles ne mènent à rien, si ce n'est à instaurer un climat de défiance complexifiant le travail quotidien des policiers et à miner, chaque jour un peu plus, le respect des libertés fondamentales et, ipso facto, notre pacte républicain" (Colllectif Stop le contrôle au faciès)
"Il y a deux France , estime Lyes Kaouah, jeune étudiant en art dramatique. Il y a notre France à nous, la France des quartiers, la France des immigrés, des gens d'origine étrangère, des chômeurs, des cas sociaux, et il y a la France des autres, ceux qui se sentent rassurés par les contrôles de police ."
Ce sentiment d'être traité de manière différente en fonction de la couleur de peau crée des tensions qui, à terme, nuisent à l'action de la police, comme l'explique Lana Hollo, qui insiste sur l'importance d'instaurer un sentiment de confiance réciproque. "Notre rapport est une sonnette d'alarme (...) La police a besoin de la coopération de la population, elle a besoin que la population se tourne vers elle en cas de problème ".
"Une police qui a la population contre elle ne peut pas fonctionner , confirme Yannick Danio, secrétaire national du syndicat unité police. Les contrôles à répétition sont contreproductifs (...) La police a besoin de fonctionner avec la police et pas contre eux. Sinon, c'est le monde à l'envers ."
Et de fait, le risque de débordements que peuvent créer ces tensions sont réelles : Villiers le Bel en 2005, Amiens en 2012 ou Trappes en 2013 sont autant d' émeutes urbaines qui ont pour point de départ un contrôle d'identité de la police qui a mal tourné.
Interpeller le gouvernement
Le contrôle au faciès est régulièrement dénoncé par des associations ou des collectifs, et les gouvernements successifs sont régulièrement interpellés sur ce problème. Dernière action en date : la lettre ouverte adressée il y a près d'un an par le collectif Stop le contrôle au faciès et la Ligue des droits de l'homme au Premier ministre Jean-Marc Ayrault.
Le texte visait à mettre un terme à "cette pratique abusive, discriminatoire et donc inefficace, dans la mesure où les contrôles d'identité motivés par l'apparence ne mènent que très rarement à des interpellations justifiées ". Ce message s'accompagnait d'une pétition qui a récolté à ce jour 9.642 signatures.
Le rapport de l'OSF est une nouvelle tentative d'interpeller les pouvoirs sur ce problème. Reconnaissant que "le gouvernement français a commencé à y prêter une oreille plus attentive ", le texte regrette que les promesses de campagne de François Hollande ne se soient pas traduites "par des actes significatifs ". Une version du texte sera remise mercredi à 13 heures au Président de la République, au Premier Ministre, au Ministère de l'Intérieur, au Ministère de la Justice, au Ministère de la Ville, au Président de la Commission des Lois au Sénat et à l'Assemblée Nationale, et au Défenseur des Droits.
"Il est très clair que depuis l'arrivée au pouvoir du gouvernement, malgré les promesses, il n'y a que des demi-mesures , constate Lana Hollo. Avec ce rapport, nous voulons lancer un vrai débat, qui ne soit pas caricatural sur les implications de ce problème. Quel est son danger pour la société, pour l'ordre social ? "
Dans les premiers mois du quinquennat du président socialiste, son ministre de l'Intérieur Manuel Valls avait évoqué la possibilité de mettre en place des récepissés délivré à chaque contrôle d'identité, avant que l'idée ne soit abandonnée.
Le problème des contrôles au faciès ne concerne pas que la France, qui pourrait peut-être s'inspirer de mesures prises dans d'autres pays pour lutter contre cette pratique abusive. Ainsi aux Etats-Unis, quelqu'un qui pense avoir été victime de discrimination lors d'un contrôle de sécurité dans un aéoport peut déposer plainte grâce... à une application sur son téléphone.
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