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Tribune des magistrats sur leurs conditions de travail : "On est à bout de force", alerte une substitute du procureur

Les magistrats lancent un cri d'alarme après le suicide de l'une des leurs, âgée de 29 ans.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Des magistrats manifestent devant le palais de justice de Bordeaux, le 24 septembre 2020. (FABIEN COTTEREAU / MAXPPP)

"On est plutôt discrets dans la magistrature et pour qu'on ne le soit plus, c’est qu'il y a un vrai problème", alerte Manon Lefebvre, substitute du procureur sur le ressort de la Cour d'appel de Douai, invité de franceinfo mercredi 24 novembre. Elle est l’une des co-autrices d’une tribune publiée dans le journal Le Monde et signée par 3 000 magistrats, un tiers de la profession, et une centaine de greffiers. Ils dénoncent notamment une approche gestionnaire de la justice, le manque de moyens, de temps et la dégradation des conditions de travail. La tribune a été rédigée après le suicide d'une jeune magistrate, Charlotte, âgée de 29 ans. "On est à bout de force", explique Manon Lefebvre. Éric Dupond-Moretti a annoncé vouloir "échanger dans les prochains jours" avec une délégation "de magistrats et greffiers signataires".

franceinfo : Vous connaissiez bien Charlotte ?

Manon Lefebvre : Oui. Cette tribune part d'un collectif qui connaissait Charlotte, soit parce que camarades de promo ou collègues. C’est à la suite de ce suicide que l’on s’est collectivement interrogé sur ce décès et sur les conditions de travail que l’on vivait toutes et tous. On a tous été témoins ou on a nous-mêmes subi ces conditions de travail. On n'avait pas prévu le nombre de signatures, et on est tristement surpris.

"Charlotte nous avait alertés sur ses conditions de travail, des souffrances qu'elle ressentait."

Manon Lefebvre, substitute du procureur

à franceinfo

C’était quelqu'un d'extrêmement investi dans son travail, qui était une magistrate pleine d'humanité, qui avait une éthique professionnelle vraiment incroyable. Elle a exprimé les souffrances qu'elle ressentait parce qu'elle ne s'en sortait plus, entre son éthique professionnelle, la cadence à suivre et la façon dont ses conditions de travail lui imposaient de travailler. Ce n'était pas satisfaisant pour elle.

Dans la tribune, vous écrivez : "Son éthique professionnelle s’est heurtée à la violence du fonctionnement de notre institution". Des magistrats qui vivent cela, combien il y en a-t-il en France ?

Il y en a absolument partout. On s'en est rendu compte et là, on se rend d'autant plus compte avec le nombre de signatures qui viennent d'absolument partout et à tous les niveaux de juridiction, que ce soit en première instance au niveau de la cour d'appel, que ce soit des jeunes collègues ou des collègues plus expérimentés venant de tous les tribunaux de France. C'était déjà su, il y a déjà eu des alertes sur ces conditions. Mais aujourd'hui, cela devient insurmontable. On est tous à bout de force et les arrêts de travail se multiplient. Les alertes sont d'autant plus fortes, et la différence est qu'aujourd'hui, de plus en plus de collègues en parlent assez librement et ouvertement. C’est une preuve que l'on est à bout de force, on est plutôt discrets dans la magistrature et pour qu'on ne le soit plus, c’est qu'il y a un vrai problème.

Vous êtes substitute du procureur, dans quelles conditions travaillez-vous ?

On travaille dans des conditions de solidarité, c'est ce qui nous permet de tenir, avec la volonté de bien faire notre travail. On a rejoint ces professions dans une ambition de rendre le service public et de travailler pour l'intérêt général.

"Les conditions aujourd'hui, c'est que l’on n’est pas assez de magistrats et de greffiers pour une bonne justice."

Manon Lefebvre

à franceinfo

Il y a énormément d’audiences qui sont absolument surchargées, avec des temps d'audience inacceptables pour chacun. On n'est pas capables de tenir les délais. On essaye de les tenir parce qu'on a envie de rendre une justice aussi rapide, parce que le justiciable a évidemment le droit d'avoir une justice qui se rend vite. Mais on n'a pas les moyens de rendre une justice rapide et de qualité. C'est cela qui est insupportable pour nous aujourd'hui.

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