Rwanda : à son procès, Pascal Simbikangwa nie avec acharnement
Jugé pour complicité de génocide, il répond point par point aux accusations, rejetant la faute sur les rebelles du FPR, aujourd'hui au pouvoir à Kigali.
"Tout le monde est devenu menteur !" La deuxième journée d'audience du procès de Pascal Simbikangwa vient tout juste de commencer, mercredi 5 février, et l'accusé montre déjà sa ligne de défense. Jugé pour complicité de génocide devant la cour d'assises de Paris, l'ancien militaire de 54 ans rétorque que la faute vient des anciens rebelles du Front patriotique rwandais (FPR).
Ces ennemis d'hier, quand il était encore capitaine, venus au pouvoir avec l'actuel président Paul Kagamé, feraient aujourd'hui régner la terreur et chercheraient à le "jeter à la vindicte populaire". Dans son box de verre, le premier Rwandais à être jugé en France après le génocide des Tutsis, qui a fait 800 000 morts en 1994, se révèle tenace et volubile. Il risque la perpétuité.
Question de nom
Cela a commencé avec son identité, la veille. Avant le début de l'audience, des parties civiles évoquaient leur "émotion" de voir ce procès historique, qui doit durer six semaines, se tenir après vingt ans d'attente. Alors, quand le président adresse enfin la parole à l'homme en fauteuil roulant et en veste en cuir, la salle retient son souffle. "Veuillez décliner votre identité." "Safari Pascal", répond une voix légèrement éraillée.
Il aurait aussi pu répondre Safari Senyamuhara, ou David Safari. Les identités du capitaine Simbikangwa sont fluctuantes depuis qu'il a fait son apparition à Mayotte en 2005, après un passage par le Zaïre et le Kenya. Pour sa demande d'asile, il est Safari Senyamuhara. "On m'avait dit de mentir. Les demandeurs d'asile sont des malheureux. Quand on est malheureux, on ment. J'ai menti", se justifie-t-il, affirmant avoir fini par donner son autre identité. Pour les enquêteurs qui l'arrêtent dans une affaire de trafic de faux papiers en 2008, c'est David Safari. David, "un surnom", dit-il, les enquêteurs "se sont trompés". Ils finissent par établir qu'il s'agit de Pascal Simbikangwa, recherché par Interpol.
Mais, dans son box, Pascal Simbikangwa n'a pas fini. Il veut convaincre. Il fait perdre patience aux avocats de la partie civile et explique longuement, l'air agacé, que Safari est son vrai nom. "Je suis né Safari Senyamuhara. A l'âge de 5 ans, j'ai été baptisé Pascal. Le même jour, je suis allé me faire enregistrer à la mairie." En entrant dans le secondaire, il aurait adopté le nom de Simbikangwa pour échapper à des discriminations contre les Rwandais du Nord, avant de reprendre son nom de baptême en 1992.
Un militaire accompli
Que sait-on de cette enfance ? Père hutu, dont la famille possède des terres, mère tutsie, dont la famille (de lignée noble) possède du bétail. "Cadre de vie aisé", résume devant la cour l'enquêtrice de personnalité, qui le décrit avant tout comme quelqu'un de "combatif". Enfant dans une famille de neuf frères et sœurs, il reçoit un dictionnaire de son grand-père qui lui aurait donné le goût des études. Il y excelle et en parle volontiers : "J'étais vif, imbattable."
Ecole supérieure militaire, gendarmerie, sécurité de l'aéroport de Kigali, la capitale, et rapidement la garde présidentielle, en 1983 : l'ascension est rapide et il prend en charge sa famille. Il aime lire les penseurs de la stratégie militaire, se révèle un athlète accompli et apprécie "le commandement des hommes". Doit-il sa réussite à sa parenté avec le président Juvénal Habyarimana ? Il répond d'une moue. "Je ne crois pas." Mais ça ne l'empêche pas de l'admirer. "Habyarimana n'était pas un démocrate comme François Hollande, admet-il, mais je l'aimais. Il faisait exactement ce qui était bon par rapport à ce que je pensais."
Un ami de Simbikangwa dit qu'il en était "fanatique" et qu'il a cherché à le recruter au sein du parti présidentiel, le Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND). L'accusé répond n'avoir jamais milité au parti, malgré des témoignages en ce sens. On le dit aussi membre de l'Akazu, un groupe occulte de proches du président Habyarimana qui aurait participé au génocide. Lui affirme que "ça n'existe pas vraiment à [sa] connaissance", que c'est une invention pour journalistes occidentaux.
L'accident
Le 21 juillet 1986, la vie idyllique du capitaine bascule. Accident. "Mon chauffeur nous a envoyés dans le décor." Simbikangwa doit être soigné à Bruxelles. Il passera le reste de sa vie en fauteuil roulant. Une analyse psychologique citée par le président de la cour évoque une "blessure narcissique". De retour au Rwanda, le capitaine travaille quatre fois plus, rapporte l'enquêtrice de personnalité.
Simbikangwa a changé de domaine. Il officie maintenant au G2, un bureau de renseignement militaire, puis passe dans le civil, au Service central de renseignement, avec la fonction de directeur. Devant la cour d'assises, il se présente comme un "simple agent" : "Même si on m'appelait directeur, je n'avais pas de fonction." Le président Olivier Leurent cherche à savoir s'il était bien numéro 3 dans l'organigramme : "Hmm, j'étais peut-être sixième, peut-être."
Et pourquoi l'appelait-on toujours capitaine Simbikangwa dans le civil ? "Comme ça, comme on dit capitaine Barril [un Français accusé d'avoir aidé les génocidaires rwandais], comme le général de Gaulle." Et puis, de toute façon, il se dit "viré", en 1992, avec l'arrivée du multipartisme, ou plutôt mis au "chômage technique", un "supplice" pour cet "accro" de l'information qui continue tout de même à entretenir un réseau d'indics.
"On racontait n'importe quoi pour faire de l'audimat"
Simple agent ? Comment, alors, son nom a-t-il été associé au mot "tortionnaire" ? Pourquoi des associations de défense des droits de l'homme rwandaises l'ont-elles désigné comme membre d'escadrons de la mort et affirmé que ce "baron du régime" souhaitait les faire taire, dès le début des années 1990 ? La rengaine de l'ancien capitaine reprend : "Désinformation" des rebelles du FPR. Qu'en est-il de ces témoins - "et il y en a quand même un certain nombre", souligne le président - qui disent avoir été torturés, notamment sur la plante des pieds avec des câbles électriques ? "On racontait n'importe quoi pour faire de l'audimat."
Me Alexandra Bourgeot, avocate de la défense, s'étrangle : "C'est scandaleux, il n'est pas poursuivi pour ça, il ne peut pas se défendre." Les faits de torture sont prescrits. A la suspension d'audience, dans les couloirs du tribunal de grande instance, elle fulmine encore : ce procès est "déloyal".
"Je suis un démocrate"
Le président questionne aussi le capitaine Simbikangwa sur son investissement financier, en 1993, dans la nouvelle Radio télévision libre des mille collines (RTLM), surnommée "radio machette" ou "radio du génocide" pour ses appels à la haine : "Vous auriez pu investir dans le thé !" lance le juge. "J'ai pensé que ça pourrait être lucratif. Et puis je suis démocrate, j'étais pour la pluralité de l'information. (...) Il fallait contrebalancer la radio du FPR."
Même antienne quand il est question d'une lettre du président de la Cour de cassation, assassiné dès le 7 avril 1994, jour du début du génocide, au président Habyarimana. Il s'y plaint de menaces de mort de Pascal Simbikangwa. "Il avait le pouvoir de me faire arrêter. Ce papier est un faux. Totalement faux. Il a été écrit par le FPR." Suspension d'audience. Le capitaine est guilleret. Il écarquille les yeux et lève le pouce en souriant à ses avocats.
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