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Nicolas Sarkozy a-t-il aidé son ami Vincent Bolloré à décrocher des concessions portuaires en Afrique?

L'ancien président Nicolas Sarkozy est-il intervenu auprès de dirigeants africains pour que son ami Vincent Bolloré obtiennent des concessions portuaires en Afrique de l'Ouest ? C'est en tout cas ce qu'affirme l'industriel franco-espagnol Jacques Dupuydauby, aujourd'hui à la retraite. Il dit avoir été chassé du Togo, où il exerçait ses activités. Un juge parisien est chargé d'enquêter. 
Article rédigé par Elodie Guéguen
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Franceinfo (Franceinfo)

A 67 ans, Jacques Dupuydauby en a vu d'autres. Mais cette bataille judiciaire, l'ex-dirigeant du groupe portuaire Progosa entend bien la mener à son terme. A la clé se trouvent 12 millions d'euros, qu'on lui aurait "extorqués ". L'homme d'affaires un peu grognard, gaulliste pure souche, pose ses valises au Togo il y a une quinzaine d'années. Adoubé par le président Eyadema, il se voit attribuer en 2001 la gestion de la manutention portuaire de Lomé. L'endroit est aussi prisé que lucratif. Le Togo possède un des seuls ports en eaux profondes de la côte ouest-africaine. 

Entendu pendant plusieurs heures par le juge parisien Serge Tournaire, Jacques Dupuydauby reconnaît que ses affaires ont été florissantes. Tout du moins au début. En 2005, le vent tourne, Faure Gnassinbé succède à son père à la présidence du Togo. "C'est ensuite que le racket a commencé , affirme l'investisseur. Nous avons fait l'objet de demandes incessantes et toujours plus importantes. "

Un "ministre conseiller " venait récupérer le chèque

Factures en main en guise de preuves, ce Sévillan d'adoption raconte au juge Tournaire qu'il a été contraint, chaque mois, de verser des sommes conséquentes. Faute de quoi, il ne pouvait continuer à exercer ses activités sur le port. L'industriel prétend que c'est un Français, le juriste Charles Debbasch, devenu en 2005 "ministre conseiller " à la présidence du Togo, qui venait récupérer le chèque tous les mois. Charles Debbasch est bien connu en France, spécialiste des institutions, il a été le conseiller de Valéry Giscard d'Estaing et d'Edgar Faure; ancien doyen de la faculté d'Aix Marseille, il a été condamné pour abus de confiance dans l'affaire de la fondation Vasarely.

Dupuydauby aurait perdu ainsi beaucoup d'argent. Plus de 12 millions. "Fin 2008, je décide de ne plus céder aux pressions ", raconte-t-il. L'industriel quitte le pays juste à temps; il apprend que son arrestation est envisagée. La présidence du Togo a déposé plainte contre lui. En septembre 2011, le tribunal de Lomé le condamne, en son absence, à 20 ans de prison ferme pour escroquerie, abus de confiance, groupement de malfaiteurs et fraude fiscale. Jacques Dupuydauby tombe des nues, affirme n'avoir rien à se reprocher. Il a la conviction d'être la victime d'une machination. L'homme d'affaires - qui a formé un appel - est toujours visé par un mandat d'arrêt international qui l'empêche de voyager librement. 

"VRP de luxe "

Le Togo n'a pas été le seul à déposer plainte contre Jacques Dupuydauby. Parallèlement, une action judiciaire a été engagée à Lomé par Vincent Bolloré. Les deux industriels nourrissent une ancienne et farouche inimitié. Depuis dix ans, les deux industriels se livrent une guerre sans merci dans les prêtoirs, s'accusant tour à tour d'escroquerie, de fraude, de manipulation ou de diffamation. Il faut dire que les deux hommes se connaissent bien, ils ont été partenaires, notamment sur le port autonome de Lomé. L'industriel breton avait injecté de l'argent dans les sociétés gérées par son associé. Au bout du compte, Bolloré aurait été floué par Dupuydauby. C'est en tout cas ce qu'a estimé la justice togolaise. "Une justice qui a été soumise aux pressions du pouvoir ", rétorque Dupuydauby. 

Au très strict juge Tournaire, Dubuydauby soumet une hypothèse : l'ancien chef de l'Etat Nicolas Sarkozy aurait fait pression sur le nouveau président togolais pour qu'il choisisse de confier les activités portuaires de Lomé à son "copain " breton. C'est la seule chose, pour Jacques Dupuydauby, qui permettrait d'expliquer le brutal changement d'attitude du Togo à son égard et son éviction manu militari. L'industriel franco-espagnol assure avoir reçu des confidences de plusieurs dirigeants africains. Pour lui, c'est certain, en Afrique Sarkozy jouait au "VRP de luxe " pour son ami entrepreneur... 

Cameroun, Gabon, Libye

Si Jacques Dupuydaubay a acquis cette certitude, c'est qu'il a connu d'autres déboires. Au Cameroun, au Gabon, mais aussi en Libye lorsqu'elle était encore dirigée d'une main de fer par le colonel Kadhafi. Dupuydauby avait obtenu la promesse de gérer la manutention du port de Misrata. Au tout dernier moment, le projet a capoté. Là encore, l'industriel dit avoir appris de la bouche de dignitaires libyens que l'Elysée était intervenu pour le faire évincer. Jacques Dupuydauby pourrait déposer très prochainement une plainte étayant ses accusations en lien avec le projet avorté en Libye. 

Son rival mis hors-jeu au Togo, Vincent Bolloré a aujourd'hui le monopole de la gestion de la manutention du le port de Lomé. Mais si Dupuydauby a perdu le premier round devant la justice togolaise, il ne s'estime ni vaincu ni sonné. Il sait que sa fine connaisance des coulisses de la négociation de gros contrats pour le contrôle des ports africains intéresse au plus haut point la justice française. D'autant plus si sur l'attribution de ces juteuses concessions plane l'ombre de Nicolas Sarkozy...

NDLR : Nous avons tenté, en vain, de joindre Charles Debbasch, cité dans la plainte de Jacques Duypaudauby, tout comme l'avocat du groupe Bolloré. Par ailleurs, la présidence togolaise, par la voix de l'un des porte-paroles du gouvernement, nous a fait savoir qu'elle ne souhaitait pas réagir, nous renvoyant au jugement prononcé par le tribunal de Lomé à l'encontre de M. Dupuydauby.

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