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INTERVIEW | Colette Braeckman, spécialiste du génocide rwandais : "Le juge Bruguière n'a pas complètement fait son travail"

Un rapport d'expertise français, rendu public hier, sur l'attentat du président rwandais Habyarimana, exonère le camp tutsi et conclut que le tir ne pouvait provenir que d'un camp hutu. Un véritable "revirement", pour Colette Braeckman, grand reporter du quotidien belge Le Soir et blogueuse spécialiste du Rwanda, interviewée ce matin sur France Info.
Article rédigé par Cécile Quéguiner
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
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France Info : Peut-on dire que ce rapport d'expertise marque un tournant dans l'enquête judiciaire sur l'attentat de 1994 ?

Colette Braeckman - Certainement, c'est un revirement. Parce que depuis 17 ans, le FPR, le Front patriotique rwandais (les Tutsis),  a été mis en cause et aujourd'hui le juge Trévidic démontre l'impossibilité matérielle pour lui d'avoir commis cet attentat.

Comment peut-on passer ainsi, 17 ans après, d'une thèse à son antithèse ?

C'est simple. Le juge Bruguière, premier chargé de l'instruction, ne s'était pas rendu sur les lieux. Or un simple constat physique, ballistique, aurait suffit à démontrer que les rebelles ne pouvaient pas avoir tiré. Le juge Trévidic a fait son travail, il est allé sur place. Et l'évidence s'est imposée. 

Si les Tutsis ne sont plus derrière cet attentat, qui alors ? 

On connaît le lieu d'où les tirs sont partis, c'est-à-dire le camp de la garde présidentielle autour de la résidence du chef de l'Etat de l'époque. Se trouvaient là des militaires rwandais dont on savait qu'ils n'avaient pas la capacité technique de réaliser un tir aussi précis avec des missiles sol-air. Ont-ils été aidés par des barbouzes, des mercenaires, des militaires ? Il ne faut pas oublier qu'il y avait dans ce camp aussi des militaires français, des coopérants qui assistaient et formaient la garde présidentielle. Alors maintenant la question se pose : qui a tiré, qui a aidé ceux qui ont réalisé ce crime. 

Il y avait des militaires français et des belges, qui ont eux été mis en cause à l'époque... 

Certainement, les Belges ont été mis en cause par la radio des Mille Collines. On a dit qu'on avait vu des Belges autour du lieu de l'attentat, ce qui a d'ailleurs mené à l'assassinat de dix casques bleus belges. Ils ont été mis en cause. Et effectivement dans le camp Kanombe, se trouvaient des coopérants belges, mais qui étaient chargés de l'hôpital. C'étaient des médecins. Mais toutes les possibiltés sont ouvertes. 

Pourquoi le capitaine Barril n'a-t-il jamais été auditionné ? 

Vous qui avez longuement enquêté sur le génocide et le contexte politique et militaire sur place, quel est votre sentiment ? 

Moi, ce qui me surprend surtout, c'est que le capitaine Paul Barril était sur place, à Kigali, à la veille de l'attentat. Il y est retourné par la suite. Il était très proche des extrémistes Hutus et de la veuve de la famille du président Habyarimana, qui était en désaccord politique avec celui-ci et qui avait fini par signer les accords de paix. Or le capitaine Barril n'a jamais été auditionné par le juge Bruguières. Bien au contraire, c'est lui qui a contribué à fournir l'ensemble des témoins à charge contre le Front patriotique. Et donc je pense que les auditions vont devoir s'élargir à d'autres catégories de personne, notamment les alliés politiques des extrémistes hutus, puisqu'il apparaît bien que le pire est parti de leurs rangs. 

Colette Braeckman est l'auteur d'un blog intitulé "Le carnet de Colette Braeckman"


Revirement dans l'enquête sur le génocide rwandais : "Bruguière n'a pas complètement fait son travail de de juge" C. Braeckman

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