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"Il faut une prison mais pas ici" : un village de la Loire manifeste pour rester au calme

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des tracteurs ouvrent une manifestation contre un projet de construction de prison, le 12 novembre 2016, à Saint-Bonnet-les-Oules (Loire). (MAXPPP)

Pour la troisième fois en un mois, les habitants de Saint-Bonnet-les-Oules descendent dans la rue, dimanche, afin de s'opposer au projet de prison sur leurs terres.

Jusqu'ici, la vie était douce à Saint-Bonnet-les-Oules. Niché sur une colline et débordant sur la plaine du Forez, ce village de la Loire de 1 600 âmes, à 15 km de Saint-Etienne, vivait au rythme de sa boulangerie, de son école privée et de sa foire à la poterie annuelle. "Ici, c'est très paisible et c'est sécurisant pour les enfants", confiait une habitante, en 2015, dans un article du Progrès.

Surnommé "la petite Suisse de la Loire", en raison de sa population parmi les plus fortunées du département, le village veillait à sa sérénité en hébergeant une association dénommée "Qualité du cadre de vie à Saint-Bonnet-les-Oules". Ces derniers temps, on s'y mobilisait surtout contre le trop bruyant circuit automobile installé sur une commune voisine. Mais voilà, il y a quelques semaines, un coup de tonnerre a retenti dans le village : le gouvernement envisage de construire une prison de 550 places.

Pour la troisième fois en un mois, les Saint-Bonnetaires sont invités à manifester, dimanche 27 novembre, pour dire "Non à la prison". Les précédents rassemblements ont mobilisé 200 personnes, puis un millier. Cette fois, pour frapper plus fort, le cortège partira à la fois du stade de foot municipal et du village voisin de Veauche. "Nous nous retrouverons tous sur le site pressenti de la prison, où nous formerons une chaîne humaine pour écrire un grand 'Non à la prison'", indique Eric Bayard, président de la jeune association "Non à la prison à Saint-Bonnet-les-Oules".

"Une population qu'on ne veut pas voir chez nous"

"Ce qui inquiète le plus les habitants, c'est l'insécurité, affirme Eric Bayard, 34 ans, opticien de profession. Les enfants ne pourront plus aller au foot ou au tennis tout seuls, car les infrastructures seront à 600 mètres de la prison. Il faut s'attendre à ce que les détenus sortent, notamment en semi-liberté. Certains habitants vont vouloir retirer leurs enfants du collège voisin pour les éloigner de la prison."

"Cela va ramener des trafics, avec une population qu'on ne veut pas voir autour de chez nous", abonde Marc Actis, président de l'association "Qualité du cadre de vie". Ce cadre commercial de 42 ans redoute également des nuisances sonores, l'éclairage de nuit de la prison et une dévalorisation du patrimoine immobilier, notamment pour les maisons les plus proches, situées à 600 mètres du terrain.


Reportage France 3 Rhône-Alpes du 8 novembre 2016

Dans le village en surchauffe, des tracts se passent de main en main, des banderoles fleurissent sur les façades et les réunions publiques se multiplient, jusqu'aux alentours. L'association "Non à la prison" a lancé une pétition en ligne, qui a recueilli plus de 2 900 signatures en un mois. "Est-ce politiquement incorrect d'être heureux ?", y est-il demandé au préfet.

Une usine Seveso dans le secteur

Dans leur combat, les habitants ont reçu le soutien appuyé des élus locaux. Le député Les Républicains de la circonscription, Paul Salen, a été l'un des premiers à s'engager. "Il faut une prison dans la Loire, mais pas ici, estime-t-il. On comprend l'inquiétude des parents. Le seul bus est celui du ramassage scolaire, et les adultes ont le droit de monter à bord. Il faut donc s'attendre à voir des visiteurs et des 'semi-libertés' emprunter ce bus avec des petits de sixième..."

Jeudi, le maire et plusieurs parlementaires ont été reçus en préfecture, en présence de représentants du ministère de la Justice, pour une première confrontation sur le sujet. "Les responsables du projet ont déroulé le cahier des charges, et on l'a démoli point par point", claironne le maire, Guy Françon. Pour lui, la proximité du site avec un aérodrome et avec une usine Seveso "seuil haut" (à risque élevé) est incompatible avec un projet pénitentiaire.

Autre argument du maire : l'établissement serait dominé par une partie surélevée du village, depuis laquelle "il serait possible de tirer au fusil à lunette sur la prison, ce qu'interdit le cahier des charges". Les orages du début de semaine ont également révélé des risques d'inondations sur ces terres agricoles, selon lui, photo à l'appui.

"De toute façon, on n'a pas la structure pour faire face aux contraintes d'une prison, assure Guy Françon. On n'a pas de police municipale, on n'a pas la capacité immobilière pour accueillir le personnel."

Une décision "pas arrêtée", selon Urvoas

Face à la fronde, la préfecture peine à lever les inquiétudes, en partie exacerbées par sa communication maladroite. C'est dans Le Progrès, le 15 octobre, que les élus et les habitants ont découvert que le projet était à l'étude. Le député Paul Salen a ensuite reçu, le 27 octobre, un texto du préfet lui annonçant "à titre tout à fait confidentiel" que "le ministre de la Justice [avait] retenu Saint-Bonnet-les-Oules pour construire la nouvelle prison". L'information a finalement été officialisée par la préfecture le 3 novembre, dans un communiqué et dans une déclaration au Progrès.

Les manifestants arrivent sur le site pressenti pour la future prison, le 12 novembre 2016, à Saint-Bonnet-les-Oules (Loire). (MAXPPP)

Mais il y a un hic : le ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, assure que l'arbitrage d'implantation de la future prison, qui doit voir le jour d'ici à 2022, n'est pas du tout "arrêté""Mon cabinet, pas plus que moi-même, n'avons à ce stade donné d'instruction en ce sens", écrit le garde des Sceaux dans un courrier adressé, le 14 novembre, à Paul Salen, que franceinfo a pu se procurer. Le ministre y reconnaît simplement que "le terrain situé sur la commune de Saint-Bonnet-les-Oules présente en l'état les meilleures caractéristiques" parmi les "cinq à six terrains" identifiés en amont.

Il y a pu y avoir une certaine confusion de notre part, j'en suis conscient. La décision n'est pas prise, c'est un fait.

Evence Richard, préfet de la Loire

à franceinfo

Rajoutant à la confusion, Jean-Jacques Urvoas semble lui-même s'être emmêlé les pinceaux, le 4 novembre, en répondant par mail à une membre de l'association "Non à la prison". Dans ce message consulté par franceinfo, le ministre dit qu'il n'aura à connaître les terrains proposés que "le 16 décembre". Cette date correspond en réalité au délai imposé aux préfets pour le plan de construction de prisons annoncé par le gouvernement en octobre, sans aucun lien avec le projet de prison dans le sud de la Loire, annoncé dès 2014. "Pour Saint-Bonnet, nous avons la possibilité de proposer de nouveaux terrains jusqu'à la fin du mois de décembre", précise le préfet.

La mobilisation à Saint-Bonnet-les-Oules va-t-elle payer ? "Je pense qu'on leur a mis un peu le doute, avance le maire, après la réunion en préfecture. Le préfet nous a proposé une réunion courant janvier pour en rediscuter." "Aucune décision ne sera prise avant cette réunion, ni même dans les jours d'après", affirme le préfet. D'ici là, les manifestants promettent de poursuivre leur ramdam. Et tant pis pour leur chère tranquillité.

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