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Georges Ibrahim Abdallah, prisonnier d'une "vengeance" d'Etats ?

Terrorisme, pressions internationales, prisonnier politique. L’histoire de l’incarcération de Georges Ibrahim Abdallah cache de nombreuses facettes. Le militant libanais, condamné pour "complicité d’assassinat", est libérable depuis 1999. Il attend ce mercredi une décision du tribunal d’application des peines. La justice française a déjà rejeté huit fois ses demandes remises en liberté.
Article rédigé par Elise Delève
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
  (Georges Ibrahim Abdallah lors de son arrivée au tribunal en 1986 © Reuters-Robert Pratta)

Georges Ibrahim Abdallah, marxiste libanais d’origine chrétienne, chef des Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL). Se décrit comme un "révolutionnaire ", militant de la cause palestinienne, membre du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP). Noms d’emprunts : Abdelkader Saadi l’Algérien ou Michael Canarie le Maltais. Etat civil : né le 2 avril 1951 à Kobayat au Liban, au sein d’une fratrie de neuf enfants. Numéro d’écrou à la prison de Lannemezan (Haute-Pyrénées) où il est actuellement emprisonné : 2388/A221.

Il est, dans les années 80, l’un des ennemis publics numéro 1 en France. Son visage en noir et blanc, barbu, est synonyme de peur dans une France blessée par plusieurs attentats. "Il fait trembler les Français ", titre la presse au moment de son procès. Cela fait maintenant 30 ans qu’il est incarcéré en France pour "complicité d’assassinat" et il sera peut-être libéré ce mercredi. Le tribunal d’application des peines de Paris doit rendre sa décision. La justice française a déjà rejeté huit fois ses demandes de remise en liberté.

Arrêté par hasard

Fin 1984, personne n’a entendu parler de Georges Ibrahim Abdallah, ni même d’Abdelkader Saadi. Le 24 octobre, la police de Lyon interpelle un homme (résidant en Suisse) qui vient remettre la caution d’un appartement qu’il loue. L’appartement est surveillé depuis plusieurs semaines car il abriterait des membres des FARL, un groupe, anti-sioniste et anti-américain, qui lutte contre l’occupation israélienne du sud-Liban (en pleine guerre civile) en frappant les intérêts "impérialistes et sionistes " à travers le monde.

Les enquêteurs ignorent qu’ils viennent de mettre la main sur leur chef et le placent en garde à vue. "En fait, lorsque nous l'arrêtons, nous ne savons pas qui il est ", raconte en 2012, Yves Bonnet, le patron de la DST, l'ex-service de contre-espionnage, à l’époque, "nous n'avons rien de sérieux contre lui ". Rien de sérieux, ce sont des faux papiers d’identité et une détention d’armes et d’explosifs. C’est d’ailleurs pour ces faits que le Libanais sera condamné une première fois à quatre ans de prison le 10 juillet 1986. Lors de sa garde à vue, il déclarera : "Je suis un révolutionnaire arabe. Je suis en France pour des raisons politiques organisationnelles ".

L’arme du crime appartenait à Abdallah

Georges Ibrahim Abdallah sous les verrous, ses fidèles ne restent pas silencieux. A l’origine, les FARL reposent sur une vingtaine de personnes, originaires de Kobayat, son village. Comme un lien indélébile. En mars 1985, ils enlèvent Gilles Sidney Peyroles, directeur du centre culturel français de Tripoli, et exigent la libération d’Abdallah.

En sous-main, la DST négocie avec succès un échange via l’Algérie. Le Français est libéré, mais pas le Libanais. Mauvais timing. Au moment de la remise en liberté, la police fait une importante découverte. Dans une planque des FARL, elle trouve l’arme qui a servi à tuer deux diplomates en 1982 en France. Un pistolet 7.65 qui appartient à George Ibrahim Abdallah. Les deux victimes : l'attaché militaire adjoint des Etats-Unis en France, le lieutenant-colonel, Ray et Yacov Barsimentov, diplomate israélien en poste à Paris. Finis les faux-papiers, George Ibrahim Abdallah est inculpé pour complicité d’assassinat.

Série d’attentats

Les portes de la prison claquent devant George Ibrahim Abdallah, et à Paris ce sont les bombes qui explosent. Les années 1985 et 1986 sont marquées par une série d’attentats, notamment celui de la préfecture de police et celui de la rue de Rennes. Treize personnes sont tuées et des centaines sont blessées.

Ces attentats sont revendiqués par CSPPA (Comité de Solidarité avec les Prisonniers Politiques Arabes), un groupuscule qui demande notamment la libération de George Ibrahim Abdallah. Le Libanais est-il le commanditaire de ces explosions ? L’histoire prouvera que non. Le poseur de bombe sera identifié en 1988. Le ministre de la Police de l’époque avouera également dans les années 90 : "Nous savions que pour des Français, qui pensaient avoir reconnu des frères Abdallah sur les lieux des attentats, tous les barbus proche-orientaux se ressemblent. Nos contacts, notamment algériens, nous assurent que le clan Abdallah n’est pour rien dans ces attentats. En réalité, nous n’avions aucune piste".

Une peine exemplaire contre le terrorisme

C’est dans ce contexte de suspicion et de peur que se déroule le procès de Georges Ibrahim Abdallah devant une Cour d’assises spéciale de Lyon en février-mars 1987. "Je suis un combattant, pas un criminel ! ", scande l’accusé. L’avocat général évoque de potentielles représailles. Il reste donc prudent et requiert dix ans de prison. "Je crois, dans l'intérêt de tous, pouvoir vous demander, vous conjurer, vous supplier de ne pas prononcer à l'encontre de l'accusé une peine de réclusion criminelle supérieure à dix ans ", déclare-t-il.

Surprise. La Cour ne suit pas les réquisitions et va bien au-delà. Le verdict peut être une réponse au traumatisme subi par les Français, alors il faut frapper fort. Pour eux, le chef des FARL est derrière les attentats et les médias le surnomment le "successeur de Carlos". Il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. 78% des Français approuvent cette condamnation, d’après un sondage CSA publié le 5 mars 1987.

Pressions internationales

Les Français sont soulagés. Et les Américains aussi. Ils se sont portés partie civile dans ce procès, et dans son éditoral retrouvé par TV5 Monde, l’Humanité note le caractère international du verdict : "Washington a gagné, sous les applaudissements de Tel-Aviv (...). Le procès Abdallah a été de bout en bout piloté pour et par une puissance étrangère ". Car le sort du Libanais semblait scellé depuis longtemps. Le président François Mitterrand et son homologue américain Ronald Reagan en avaient parlé lors d’une rencontre à Washington.

Depuis 1999, Georges Ibrahim Abdallah est libérable. Mais cet échange outre-Atlantique semble toujours d’actualité. Celui qui est devenu peu à peu le prisonnier politique (même si il refuse le titre) le plus vieux de France et l’un des plus vieux du monde, a réclamé sa remise en liberté huit fois. Celle-ci a été acceptée en 2003 par la justice française, mais les Etats-Unis sont intervenus et se sont opposés à cette libération, car le militant communiste représentait toujours une menace selon eux. Le ministre français de la Justice de l’époque, Dominique Perben, a également demandé au procureur général de Pau de faire appel. Abdallah est resté en prison.

Ce dossier gênant est ensuite passé de bureaux en bureaux et a atterri sur celui de Manuel Valls. En 2012, le tribunal d’application des peines a accordé une deuxième fois au Libanais une remise en liberté. Valls, alors ministre de l’Intérieur, doit prendre un arrêté d’expulsion pour renvoyer Georges Ibrahim Abdallah au Liban. Il tarde à signer. La Cour de cassation soulage son embarras car elle annule la décision clémente en avril 2013. 

Nombreux soutiens

En 2013, la cause d’Abdallah résonne alors à l’Assemblée nationale. Des parlementaires dont Noël Mamère (EELV), André Chassaigne (PC) ou la sénatrice Nathalie Goulet (Centriste) lancent un appel au président Hollande pour sa libération. Ils ne sont pas entendus.

Le collectif Libérons Georges organise, lui, de nombreux rassemblements. Les déclarations du militant sont lues à chaque fois, comme à Lyon, devant les membres du collectif 69 : "Certes des années, de très longues années derrière ces abominables murs, ce n’est pas vraiment la joie, c’est humainement presque insupportable ".

"La France garde cet homme derrière les barreaux alors qu'elle a libéré Maurice Papon" (Yves Bonnet, ancien patron de la DST)

Pour ses défenseurs, Georges Ibrahim Abdallah est victime d’un "racisme d’Etat " et d’un "acharnement judiciaire ". Même Yves Bonnet qui était le patron de la DST au moment de l’arrestation de Georges Ibrahim Abdallah, demande sa libération, dénonçant, en 2012 dans les colonnes de La Dépêche, une "vengeance d’Etat ". Il confie avoir "un problème de conscience avec cette affaire ". Il trouve "anormal et scandaleux de maintenir encore Georges Ibrahim Abdallah en prison. Je considère qu'il avait le droit de revendiquer les actes commis par les FARL comme des actes de résistance ". 

Départ pour le Liban ?

L’avocat du Georges Ibrahim Abdallah, Me Jean-Louis Chalenset n’est pas optimiste. "L’intervention du procureur de la République ne présage pas de liberté immédiate ", a-t-il récemment déclaré à l’AFP.  Mais le militant a une option s'il sort de prison. Lors d’une visite en février 2012, le Premier ministre libanais a demandé sa libération et a assuré que les autorités de Beyrouth s’engageaient à le prendre en charge et à le ramener au Liban.

Si sa demande est refusée pour la neuvième fois, il pourra saisir le Comité des droits de l’Homme ou la Cour européenne des droits de l’Homme.

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