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Fuir devant la police n'est pas un comportement suspect (quoique)

La chambre civile de la Cour de cassation a considéré dans un arrêt rendu le 24 octobre que faire volte-face dans la rue face aux forces de l'ordre n'était pas suffisant pour permettre à ces dernières de motiver un contrôle d'identité. Problème : ça n'est pas l'avis de la chambre pénale. Explications.
Article rédigé par Ludovic Pauchant
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
  (Maxppp)

Le contrôle d'identité, parce qu'il est une atteinte aux
libertés fondamentales, est strictement encadré. C'est-à-dire qu'il existe des
cas qui le permettent aux policiers, et des cas, donc, qui ne le permettent
pas. Par exemple, la loi permet aux policiers de contrôler l'identité de
"toute personne à l'égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons
plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction
ou qu'elle se prépare à commettre un crime ou un délit
".

Ce serait, par exemple, l'homme équipé d'un drôle de sac et
d'une pince monseigneur. Ou celui qui sent très fort le cannabis. Ou celui qui
fuit d'un immeuble dont  la sirène d'alarme
hurle. Etc. Ou, jusqu'alors, celui qui ferait brusquement demi-tour à l'approche
d'agents.

D'une certaine manière, certains diront déjà qu'au nom de la
paix dans les chaumières, le bon citoyen qui n'a rien à se reprocher ne fera
pas demi-tour, et se prêtera de bonne grâce au contrôle.

Justifie, justifie pas

D'autres leur rétorqueront que ledit contrôle n'est rapide
que si la personne contrôlée peut justifier de son identité. A défaut, les
agents procéderont à une vérification d'identité : ils peuvent alors la
retenir sur place ou dans leurs locaux pendant... 4 heures. Et 8 à Mayotte. Ratés,
alors, le rendez-vous galant, l'entretien d'embauche, ou l'heure de fermeture
du supermarché du coin pour les marrons glacés du frichti chez les Durand.
Bref, pour ceux là, le contrôle d'identité est attentatoire
à la liberté et il faut l'encadrer strictement. D'ailleurs, les plus zélés de
ces citoyens ajouteront qu'alors qui faisaient brutalement volte-face, ils n'avaient
peut-être pas vu la police. Qu'ils avaient par exemple, oublié leurs clefs.

Jusque là, rebrousser chemin devant la police entrait dans le
cadre des situations qui peuvent justifier un contrôle d'identité, que
c'était
une raison "plausible ".

Jusqu'ici, la chambre pénale de la Cour de cassation leur
donnait tort : la haute juridiction, qui est compétente pour interpréter
la loi, considérait que rebrousser chemin devant la police entrait dans le
cadre des situations qui peuvent justifier un contrôle d'identité, que c'était
une raison "plausible ".

La chambre civile sème la zizanie

Mais... Une autre chambre, la chambre civile, vient de mettre son grain de sel et de semer la zizanie au 5, Quai de l'Horloge (où les magistrats
siègent).
Que vient faire la chambre civile ici ? C'est (presque)
simple : il existe, au sein de la Cour de cassation, plusieurs chambres :
commerciale, sociale, civile, pénale... En tout, six chambres qui ont chacun
compétence pour traiter tel ou tel type de litige.

Or, les contrôles d'identité opérés sur des étrangers clandestins
ne relèvent pas de la chambre pénale : ils peuvent, certes, être en
infraction avec la loi faute de papiers, mais ne sont pas a priori des délinquants
en puissance. Bref, faute d'infraction réprimée par le droit pénal, c'est la
chambre civile qui est compétente.

Si police passe, fuis donc ?

Or cette dernière estime, contre l'avis de sa voisine, que
rebrousser chemin, même rapidement, n'est pas un motif suffisant pour justifier
un contrôle d'identité : en somme, elle autorise à demi-mot à fuir la
police quand elle se présente sur le trottoir.

Relativisons, cependant : il n'est pas sûr du tout que
la chambre pénale s'aligne sur l'avis de la chambre civile. D'ailleurs, rien ne
l'y oblige. Alors, faute d'accord, tantôt la procédure sera validée, tantôt,
selon la chambre concernée, elle ne le sera pas. Puis, si la résistance de l'une
des chambres posait problème, le problème se posera de définitivement le
trancher.

Beaucoup de "si"

Mais le temps de la justice est long. Celui sur lequel la
Cour de cassation rend ses arrêts, encore plus. Pour que ce délicat point de
procédure trouve une interprétation qui satisfasse les deux chambres, il faudra
attendre qu'une autre affaire soulève cette question. Alors, la Cour, si elle le
juge opportun, se réunira en Chambre mixte : les magistrats de la Chambre
pénale et ceux de la chambre civile décideront ensemble, sous l'autorité du
premier président de la Cour, de trancher pour l'avenir. L'arrêt rendu s'imposera
alors pour l'avenir. Beaucoup de temps, beaucoup de "si"... En
attendant, il est probable que la fuite à la vue de la police continue à motiver
le contrôle d'identité par les forces de l'ordre, et que la chambre pénale, compétente
pour traiter des affaires qui relèvent de la délinquance, n'y trouve rien à
redire.

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