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Exclusif : DSK rattrapé par les affaires

C’est en toute discrétion que le parquet de Paris a ouvert au cœur de l’été une enquête préliminaire pour faire la lumière sur la gestion de LSK, le groupe luxembourgeois que présidait Dominique Strauss-Kahn, et qui laisse aujourd’hui un trou de 100.000.000 €.
Article rédigé par Jacques Monin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
  (Société LSK © capture d'écran)

Une enquête exclusive de Jacques Monin pour Secrets d'Info

L'enquête fait suite à la plainte d’un homme d’affaires français, Jean-François Ott, qui a perdu les 500.000 € qu’il avait investis dans le groupe. Depuis, une seconde plainte a été déposée par un ex-banquier macédonien.

La première question que devra se poser la brigade financière de la Police Judiciaire de Paris, qui a été saisie de l’affaire, est : comment ont été dilapidés les 100 millions d’euros aujourd’hui réclamés par 156 créanciers de multiples nationalités ? Le groupe LSK laisse en effet des pertes énormes et beaucoup de questions.

  (Plainte © Radio France)

Créé par Thierry Leyne, un ambitieux homme d’affaires franco-israélien, LSK était un groupe de placements financiers qui s’appuyait  sur un réseau de filiales nommées Assya. Rien qu’à Luxembourg, Assya gérait les portefeuilles de près de cinq cents clients aujourd’hui floués. Parmi eux, de riches hommes d’affaires, comme Mohamed Bouamatou, ex-magnat des cimenteries mauritaniennes, qui avait investi 5 000 000 €. Mais aussi de grandes institutions comme la banque du Luxembourg. Et de modestes anonymes, comme ce père de famille qui a perdu toutes les économies qu’il avait placées pour assurer un avenir à sa fille handicapée.

Ce que notre enquête révèle, c’est que DSK a pris la tête d’un groupe à la gestion douteuse. A l’été 2013, soit un mois avant son arrivée, elle affiche déjà une perte de 13 millions d’euros. Sa principale filiale, Assya Luxembourg a du mal à payer ses notes de téléphone, d’électricité, de fournitures de bureau… Les salaires seront bientôt versés avec du retard.

Pis : plutôt que de placer l’argent des clients sur le marché, Assya Luxembourg outrepasse ses mandats de gestion et l’investit en partie dans des actions "maisons". En clair : elle rachète les titres de ses filiales pour en faire monter artificiellement le cours.

Bref, dans le groupe LSK, on était plus que borderline, et le personnel en avait conscience, comme le confirme cette ex-salariée d’Assya Luxembourg :

"On se disait qu’on ne voulait pas finir en prison à se voir apporter des oranges. A la fin, on en avait vraiment peur en fait"

Lorsqu’il découvre le pot aux roses, le patron d’un fond de placement suisse, Christopher Cruden, menace Thierry Leyne : Je lui ai dit, "rends moi mon argent (400.000 €). Tu trafiques tes actions. C’est une fraude."

Comment DSK, brillant expert en économie, n’a-t-il pas vu où il mettait les pieds ?

Depuis un an et demi, il donne des conférences aux personnels d’Assya à l’invitation de Thierry Leyne. Il est intronisé président du conseil d’administration de LSK le 18 octobre 2013. Les comptes du groupe lui sont ouverts.

  (Document nomination DSK © Radio France)
Peu après, le cabinet Ernst&Young tire la sonnette d’alarme. Il émet des réserves sur la valeur réelle des filiales de LSK. Puis, à l’automne 2013, incapable d’attester de la sincérité des bilans qui lui sont présentés, il démissionne de son mandat de commissaire aux comptes.

Au même moment, la Commission de surveillance du secteur bancaire luxembourgeois, la CSSF, débarque à Assya Luxembourg pour une inspection qui se révèle calamiteuse. Assya Luxembourg est mis en demeure de se mettre en règle. Une seconde inspection aura lieu début 2014. Mais aucun de ces signaux ne semble ébranler la présidence du groupe.

Jusqu’au printemps 2014, DSK ne vient qu’épisodiquement à LSK. Il préside parfois les conseils d’administration. A partir du mois de mai, il vient chaque semaine. Il organise des réunions de travail avec les gérants des filiales, pour mettre au point son grand projet : créer un fond d’investissement et lever deux milliards de dollars ! Il est épaulé par sa fille, Vanessa, qui occupe un bureau d’Assya à Genève.

Une ancienne salariée confie :

"C’était risible de l’intérieur. Il était tellement évident que LSK ne pouvait pas répondre aux normes imposées pour un tel fond au Luxembourg"

Fin septembre 2014, Thierry Leyne et DSK contournent l’obstacle. « DSK Global Fund » est enregistré… mais à Guernesey.

Durant l’été 2014, l’assureur « la Bâloise Vie » assigne LSK devant le tribunal. Elle obtient le remboursement des 2 000 000 € qu’elle avait investis. Il apparait alors que LSK est insolvable. Et la faillite inéluctable. Le 20 octobre 2014, DSK démissionne de la présidence en catimini. Trois jours plus tard Thierry Leyne se suicide.

La liquidation de LSK est prononcée le 17 novembre. Le Fisc luxembourgeois découvre alors que le groupe lui doit 75 000 € d’arriérés d’impôts sur les salaires. Il demande aux ex-administrateurs de rembourser cette somme, ce que contestent ces derniers.

Après la faillite prononcée à l’automne 2014, la démission de DSK et le suicide de Thierry Leyne, restent deux questions :

  • Comment expliquer un tel fiasco ? Où sont partis les 100 millions d’euros que se disputent 156 créanciers ?

  • Les ex-administrateurs, dont Dominique Strauss-Kahn, peuvent-ils être tenus pour responsable du fiasco ?

    C’est ce que doit établir la brigade financière de Paris. L’avocat de DSK, Jean Veil, explique que son client n’avait aucun rôle opérationnel, et qu’il est lui-même victime. On aurait imité sa signature, affirme-t-il, sur des procès-verbaux de conseils d’administration. 

Enquête complète à écouter vendredi 19h20 sur France Inter, émission Secrets d’Info

 

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