"Des lacunes géantes dans l'instruction"
Dans un livre au titre évocateur "AZF, un secret d'Etat", Marc Mennessier pointe de nombreuses zones d'ombreDans un livre au titre évocateur "AZF, un secret d'Etat", Marc Mennessier pointe de nombreuses zones d'ombre
L'auteur, journaliste scientifique au Figaro, a mené une enquête de 5 ans avec Anne-Marie Casteret, aujourd"hui disparue. Selon lui, policiers et magistrats se sont évertués à démontrer durant des années le bien-fondé de la thèse de l'accident chimique.
Il espère que le procès fera éclater au grand jour les contradictions de l'instruction.
Comment avez-vous travaillé ?
Au départ, je ne devais pas couvrir cette affaire. Je ne suis pas chroniqueur judiciaire. Je suis ingénieur agricole de formation et je connaissais très bien le nitrate d'ammonium pour l'avoir manipulé. J'ai été envoyé sur place par mon journal après l'explosion. Face aux certitudes du procureur qui, dès le 24 septembre lors d'une conférence de presse, excluait tout acte de malveillance et la piste terroriste et retenait la thèse de l'accident à 99%, sans dire pourquoi, j'ai eu des doutes. Tout est parti de là.
Qu'est ce qui a motivé votre enquête ?
J'ai voulu comprendre pourquoi on est parti d'emblée dans une direction et pourquoi on a négligé tout le reste. Qu'est-ce qui se cachait derrière tout cela ? Le procureur n'était pas chimiste et je pensais que les experts eux devaient savoir. Mais après une matinée de discussion avec eux, je me suis aperçu que rien ne venait étayer les affirmations "des 99 %". On sentait le directeur du laboratoire de police scientifique, très gêné.
Quelle est votre conviction ?
Je pense qu'il y a eu une volonté du pouvoir politique de calmer le jeu. Souvenez-vous du contexte international et politique. Il y avait eu les attentats du 11 septembre. Les marchés financiers étaient traumatisés. Il y a avait les craintes de trouble à l'ordre public. Tout le monde avait en tête les scènes d'émeutes du Mirail de décembre 1998, après la mort d'un jeune d'origine maghrébine. C'était des raisons très nobles. A l'époque, vous avez Lionel Jospin, Premier Ministre et Jacques Chirac, Président de la République qui disent qu'il s'agit probablement d'un accident. Il ne fallait pas que ce soit un attentat. Je crois que la commande qui a été faite aux experts judiciaires c'était d'étayer la thèse de l'accident mais bien sûr, je n'ai pas de preuve absolue de tout cela.
Vous dénoncez des scandales. Quels sont-ils ?
Le scandale dans cette affaire c'est que des policiers qui voulaient enquêter sur d'autres pistes ont été empêchés. On leur interdisait. L'un des enquêteurs par exemple n'a pas pu auditionner la médecin légiste qui avait fait part de ses réflexions sur les motivations du salarié retrouvé mort avec plusieurs sous-vêtements. Un autre a voulu perquisitionner au domicile de cette personne. Du fait de son grade, il a pu passer "relativement" outre sa hiérarchie. Il a pu perquisitionner mais seulement trois jours plus tard. Et le 28 au matin, tout avait disparu. Il n'y avait plus rien dans l'appartement. Ce qui est dramatique c'est qu'on ne pourra plus revenir en arrière, ni innocenter cet homme, ni l'accabler. Il y avait une piste, une ficelle et quand il y a une ficelle, on la tire et on voit ce qu'il y a au bout. Là, ils n'ont même pas pu la tirer.
Vous avez d'autres exemples ?
La piste de la double explosion a été négligée. L'explication officielle c'est la double composante, acoustique et sismique. Or, si tel étais le cas, l'intervalle entre les deux explosions serait proportionnel à la distance. Cela ne marche pas. Là encore, on n'a pas eu d'explications parce que les investigations n'ont pas été menées à temps, ce qui fait que les témoins de la première heure - ceux qui ont entendu les deux explosions - n'ont pas été entendus.
Autre exemple, la présence d'un hélicoptère enregistré par une équipe de France 3 alors en reportage dans le secteur, un "Ecureuil A 350 S" ou un Super Puma d'après l'analyse des bandes sonores. Pourquoi le juge d'instruction n'a pas retrouvé le pilote ? Plein de portes s'ouvrent et aucune n'est investiguée correctement. C'est troublant.
Total doit-il comparaître ?
Cela n'a aucun intérêt. Total n'était propriétaire de l'usine que depuis un an et demi. Ce n'est pas en un an et demi que Total a rendu l'usine vétuste. Avant l'usine appartenait à TotalFinaElf, c'est à dire à l'Etat. Certains rêvent depuis le début d'en découdre avec Total. Je pense que dans cette affaire, un amalgame a été fait avec l'affaire Erika. Les gens ont fait le parallèle "bateau poubelle/usine poubelle". Or, ce n'était pas une usine poubelle. J'espère aussi que le directeur de l'usine ne sera pas condamné. Je pense qu'il n'est pas coupable.
Qu'attendez-vous du procès ?
J'attends quelques rebondissements. Au niveau de l'instruction, la procédure est secrète et c'est une bonne chose pour la présomption innocence, un vœux pieux en l'occurrence. Le procès, c'est le lieu du contradictoire et un contradictoire public. Les débats devraient permettre de faire la lumière, de révéler au grand jour les contradictions et les lacunes. Quand une enquête judiciaire est mal orientée, comme c'est le cas, quand les procédures ne sont pas menées en temps et en heure, il y a un problème. Il y a eu un manquement grave. J'espère que la vérité pourra éclater et que l'entrave a l'enquête judiciaire sera constituée.
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