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Après le verdict, ce qui ressort de l’affaire Krombach

Dieter Krombach a été condamné à quinze années de prison, vint-neuf ans après la mort de sa belle fille Kalinka. Le sort du médecin allemand suscitait beaucoup de questions, la justice a livré des réponses.

Article rédigé par Christophe Rauzy
France Télévisions
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Dessin d'audience représentant Dieter Krombach, le 21 octobre 2011, la veille du verdict de son procès aux assises. (BENOIT PEYRUCQ / AFP)

L’acteur principal a tout fait pour prolonger la pièce. Finalement, malgré les malaises et le déni de Dieter Krombach, le rideau s’est bien refermé, le samedi 21 octobre. Le verdict de son procès en assise est tombé : quinze annés d’emprisonnement pour "violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner". Le médecin comparaissait vingt-neuf ans après le décès de sa belle-fille Kalinka, alors âgé de 14 ans.

Depuis 1982, cette affaire a vécu des rebondissements retentissants suscitant de nombreuses questions. Après le procès, place aux certitudes.

• Dieter Krombach a tué Kalinka

Somnifères mortels
Le médecin allemand, 76 ans, a toujours nié être responsable de la mort de Kalinka Bamberski, retrouvée morte, dans son lit, à Lindau (Allemagne), le 10 juillet 1982. Dieter Krombach, son beau-père, a alors déclaré lui avoir administré, la veille, une injection de fer, pour traiter son anémie, puis des somnifères, pour l’aider à s’endormir.

A la barre, lors du procès aux assises ouvert à Paris depuis le 4 octobre 2011, les experts ont démontré que c’est bien plus qu’une dose normale qu’il a administré à la jeune fille.

Il s’agit en fait d’un produit puissant, "en quantité notable", qui a été retrouvé dans le corps de Kalinka. De quoi a priori, "l’endormir totalement pendant huit heures et effacer sa mémoire immédiate", avance l’expert judiciaire Gilbert Pépin. Deux autres médicaments, utilisés en anesthésie hospitalière, ont été détectés grâce à de nouvelles technologies d’analyse. Des injections qui auraient été pratiquées dix minutes avant la mort de l’adolescente selon l’expert.

La thèse du viol pas retenue
Autre conclusion avancée par la professeur Dominique Lecomte, après avoir été droguée, Kalinka serait morte étouffée, par ses propres vomissements, ou par "une stimulation douloureuse d'ordre génital ou bucal".

La thèse du viol sous sédatif, défendue par les parties civiles, notamment André Bamberski, le père de Kalinka,  n’a pas pu être prouvée. En 1985, lors de l’exhumation du corps pour une contre-expertise, les médecins légistes français ont découvert que le vagin avait été prélevé, empêchant toute conclusion de viol.

Mais les témoignages accablants contre Dieter Krombach ont fait peser cette accusation sur le médecin allemand. Notamment, le récit de Barbara Fermor, une ancienne patiente toxicomane, à qui, selon elle, le docteur Krombach a administré un sédatif puissant avant de la violer.

 • Dieter Krombach est un menteur et un manipulateur

Ses contradictions
Depuis le début de l’enquête, Dieter Krombach modifie le scénario de la nuit du meurtre à chaque audition. En 1983, il évoque une injection de fer administrée la veille pour aider Kalinka à bronzer. En 1990, c’est devenu une visite dans sa chambre, avant le coucher, pour lui donner un somnifère. Dans le box des accusés à Paris, il évoque pour la première fois l’idée que c’est Kalinka qui est venu le voir en pleine nuit pour obtenir un médicament.

Un accusé instable
Son attitude pendant le procès a été tout aussi troublante. Interrogé après chaque mise en cause flagrante, il s’est contenté de répondre simplement "non" à la présidente. Mis face à ses contradictions révélés par les experts, il réplique simplement : "Les experts ne sont pas des dieux (...) je suis désolé, les experts se trompent".  La justice française en prend elle aussi pour son grade, accusée d’avoir monté "un complot contre lui ". Enfin, il s’en prend à son vieil ennemi, le père de Kalinka, André Bamberski, qui aurait, selon Krombach, payé les témoins venus dénoncer les viols.

Le malade imaginaire
Initialement programmé en avril 2011, le procès avait été reporté suite au malaise de Dieter Krombach après deux jours d’audience. Dès sa reprise le 4 octobre, ses avocats dénonçaient des conditions de détention indignes de son état de santé, appuyés par les enfants du médecin qui le jugent trop faible pour comparaitre.

Le 19 octobre, à deux jours du verdict, c’est pour trouver des compléments d’information que ses conseils veulent un report de l’audience de 48 heures. Des demandes toutes rejetées par la présidente Xavière Simeoni. "Le procès doit avancer", se justifie la magistrate.

• L’Allemagne a joué un rôle trouble

Une première enquête bâclée
Dès le début de l’affaire, les autorités allemandes ont eu un comportement curieux. Ainsi le corps de Kalinka a bien été autopsié, mais le médecin légiste n’a trouvé utile ni de prélever les "substances" retrouvées dans le sexe de Kalinka, ni d’effectuer des prélèvements sanguins. Impossible dès lors, à l’époque, de prouver le viol ou l’empoisonnement.

Par ailleurs, comme on l’a constaté lors de l’exhumation du corps de la victime en 1985, le fait que le vagin de Kalinka ait disparu met directement en cause les légistes allemands.

Une justice sourde
Face aux manques de preuve, en 1987, lors de son premier procès, Dieter Krombach a été relaxé par la justice allemande. Un non-lieu est prononcé. L’affaire Kalinka est officiellement classée outre-Rhin. Le père de la jeune fille porte alors plainte en France mais la justice allemande refuse de coopérer. Pour elle, l’affaire est jugée. En 1997, Dieter Krombach est condamné à deux ans de prison avec sursis et deux ans d'interdiction d'exercer, pour le viol d’une patiente de 16 ans, sous anesthésie. Pas suffisant pour convaincre la justice allemande de rejuger l’affaire Kalinka.

Un homme protégé ?
C’est la thèse d’André Bamberski. En 1995, le père de la victime a réussi à obtenir la tenue d’un nouveau procès, mais cette fois à Paris, aux assises. Or Dieter Krombach a refusé de faire face à la justice française. Et ne risquait pas d’y être soumis. Lors de l’audience d’octobre 2011, Friedrich Catoir, diplomate allemand, a reconnu avoir, en 1995, fait pression sur le président de la Cour d’assise pour qu’il ne soit pas jugé.

Le procès a bien eu lieu mais le médecin a été condamné par contumace. Un mandat d’arrêt international a été lancé mais est resté sans effet, au nom de l’entente franco-allemande. En 2008, Laurent Le Mesle, sous-directeur de la justice criminelle à la chancellerie en 1995, a affirmé avoir obtenu que Krombach ne soit pas interpellé. Le motif : l'Allemagne menaçait de poursuivre la France devant la Cour européenne de justice. Car pour Berlin, rouvrir l’affaire Kalinka à Paris, revenait à nier le jugement déjà établi outre-Rhin en 1987.

Finalement, c'est un kidnapping qui a permis de juger Dieter Krombach. André Bamberski (toujours mis en examen pour ce rapt) l'a fait enlevé et ramené de force à Mulhouse, en France en 2009. L’affaire Kalinka a alors pu être rouverte et Krombach jugé en octobre 2011. Et cette fois, le médecin allemand n’a pu compter sur la diplomatie de son pays.

Il lui reste quand même le droit. Dès le verdict connu, quinze années de prison, ses avocats ont annoncé qu'ils feraient appel, qualifiant la décision de la Cour d'assise d'"inacceptable".

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