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Procès Outreau : "Je ne sais même pas ce que je fais ici", clame Daniel Legrand fils

Acquitté en 2005 après avoir été accusé de viols et agressions sexuelles en réunion sur les enfants Delay, il est rejugé, depuis mardi devant la cour d'assises des mineurs d'Ille-et-Vilaine, pour des faits qu'il aurait commis avant sa majorité.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Daniel Legrand fils au premier jour de son procès à Rennes, devant la cour d'assises des mineurs d'Ille-et-Vilaine, le 19 mai 2015. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCETV INFO)

Ses plafonds ornés d'or et de faux ciels à l'italienne en imposent. La cour d'assises des mineurs d'Ille-et-Vilaine est plus cossue que celle de Paris ou de Saint-Omer (Pas-de-Calais). Mais l'histoire est la même. Ou presque. Daniel Legrand y est jugé depuis mardi 19 mai pour des faits qu'il est accusé d'avoir commis lorsqu'il était mineur : des viols et agressions sexuelles en réunion sur les quatre enfants Delay. Il avait pourtant été acquitté en 2005. Comme douze autres accusés. Comme son père, qui portait le même prénom. Mais Daniel Legrand fils a eu la malchance - une de plus - d'avoir été emporté par l'affaire Outreau au moment de ses jeunes années. 

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Aujourd'hui, à 33 ans, le visage bouffi par de lourds traitements, une larme bleue tatouée sur la joue, il se retrouve isolé dans le box des accusés. Et doit refaire le match, tout seul. Il est loin le temps où les parties se déroulaient pour lui sur un terrain de football, et non dans un palais de justice. La voix traînante, Daniel Legrand le dit et le répète, le clame presque, en ce premier jour d'audience : "Si l'affaire d'Outreau m'a pris quelque chose, c'est le football." En 2001, lorsque l'affaire éclate, ce natif de Wimereux (Pas-de-Calais), à l'accent du Nord bien prononcé, ne jure que par le ballon rond. Il a même délaissé l'école à 16 ans pour se consacrer à sa "passion". Le temps d'un échange avec le président de la cour d'assises, il replonge dans cette période bénie.

- Le président : "La vie de quartier, c'était comment ?

- Daniel Legrand : Ah, c'était sympa, avec les copains, on s'amusait bien, je ne regrette rien de ma jeunesse.

- Est-ce que vous aviez des relations sentimentales ?

- Moi, c'était toujours football, football, football.

- Les filles, ça ne vous intéressait pas ?

- Je ne pensais qu'au football."

Quand les avocats de la partie civile lui glissent qu'il avait peut-être surestimé son niveau, que sa consommation de shit aurait, de toute façon, compromis sa carrière, que l'affaire Outreau, au fond, n'est peut-être pour rien dans son rêve brisé, Daniel Legrand éructe : "A 20 ans, rien n'est fait ! A 20 ans, rien n'est perdu, j'avais encore de l'espoir !" 

Des injections tous les quinze jours

Quinze ans plus tard, l'espoir est douché, rincé : "Aujourd'hui, je joue même plus au football tellement que vous m'avez cassé les pattes." Les trois entraînements par semaine ont été remplacés par les injections d'antipsychotique, tous les quinze jours. Daniel Legrand connaît bien les dates de ce traitement. Il les a citées à l'expert-psychiatre qui l'a rencontré récemment : 9 avril, 23 avril, 4 mai, 21 mai, 4 juin. Deux injections tombent pendant le procès. Sa mère, Nadine, s'en inquiète. "Y a-t-il une infirmière dans le tribunal pour lui faire les piqûres ?", demande-t-elle en marge de l'audience.

Et puis, il y a le Valium aussi, et le Subutex. Des médicaments qu'il prend tous les jours. "Avant, j'prenais pas tout ça moi, et pis avec l'affaire qui m'est tombé dessus...", souffle Daniel Legrand au micro. Après plus de deux ans et demi de détention provisoire, deux procès et un acquittement, il craque en 2007, après l'indemnisation par l'Etat. Depuis, l'expert-psychiatre le décrit avec trois mots : "aboulie", "apathie" et "anhédonie". Le premier signifie "être comme un poids mort, ne plus rien désirer", le deuxième traduit une "grande fatigue physique et psychique", le troisième évoque une "perte du plaisir".

"On me juge et moi, je ne connais personne"

Daniel Legrand a toujours de beaux yeux bleus. Mais son regard, parfois, est vide. Les paupières mi-closes, il subit les débats, attend la pause de midi et se dit fatigué lors des suspensions d'audience. Mais quand vient le temps de se défendre, le garçon timide, qui ne l'est plus tout à fait "depuis l'affaire", monte dans les tours. Notamment lorsque l'avocat de Jonathan Delay, l'un des 12 enfants reconnus victimes de l'affaire d'Outreau, Patrice Reviron, tente de faire un parallèle entre le fils de Daniel Legrand, âgé de 4 ans, et l'âge de son client à l'époque des faits qui lui sont reprochés : 

- Patrice Reviron : "Vous avez un enfant de 4 ans, vous l'aimez votre enfant ? Vous savez quel âge avait Jonathan à l'époque ?

- Daniel Legrand : Je peux pas vous dire l'âge qu'il avait, je le connais pas !

- Cela ne vous intéresse pas de connaître son histoire ?

- J'ai pas à m'intéresser à ce gosse-là ! J'pense déjà à mon cas. Moi aussi je suis à plaindre. Je sais même pas ce que je fais ici. On me juge et moi, j'connais personne, c'est le monde à l'envers !"

Un "gamin" dont la vie s'est arrêtée

Lors d'un autre échange avec la partie civile, Daniel Legrand poursuit : "La Tour du Renard, c'est pas mon coin, j'habite Wimereux moi. Les Delay-Badaoui, j'les connais pas, j'vous le dis, je m'exprime !"  Une fois de plus, comme en 2004, comme en 2005, sa mère va venir confirmer à la barre. "Lui, quand il allait pas à l'école, c'était pour aller jouer sur le terrain." Daniel Legrand reconnaît être allé à Outreau, mais seulement pour disputer un match de foot avec son équipe des Aiglons. 

Sa sœur, Peggy, vient, elle aussi, témoigner à la barre. Avec tendresse, ce petit bout de femme énergique appelle toujours son frère "le gamin". Car sa vie s'est arrêtée le 14 novembre 2001, jour de son arrestation. Il allait sur ses 20 ans. "Il est brisé ce gamin-là, c'est fini. J'espère vivre assez longtemps pour pouvoir m'occuper de Daniel." "C'est une histoire qui nous est tombée sur le coin de la gueule, voilà, c'est fait et on est encore là, constate-t-elle, fataliste mais philosophe. C'est le destin. Il y a Outreau, mais on ne peut pas s'arrêter là, car il y a nos enfants. Je prie pour qu'ils n'aient pas la même vie que nous." 

Mercredi, c'est un autre enfant brisé par Outreau qui doit être entendu par la cour, Jonathan Delay.

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