Sur le "bateau de l'avortement", les femmes accèdent à l'IVG en pleine mer
Women on Waves propose aux femmes des IVG dans les eaux internationales, où la loi de leur pays ne s'applique pas. Franceinfo a interrogé la fondatrice de cette ONG néerlandaise.
Près d'un avortement sur deux dans le monde est clandestin. Seuls 57 pays autorisent l'interruption volontaire de grossesse (IVG) sans condition, souligne Le Monde à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, mercredi 8 mars. Ailleurs, les avortements sont encadrés très strictement, voire interdits si la vie de la mère n'est pas menacée. Résultat : 49% des IVG pratiquées dans le monde en 2008 n'étaient pas encadrées par des médecins, selon une étude de l'OMS citée par Le Figaro. "Près de 50 000 femmes meurent chaque année des suites d'un avortement illégal : c'est inacceptable", s'émeut Rebecca Gomperts, fondatrice de l'ONG Women on Waves.
Cette docteure néerlandaise a eu une idée inattendue en 1999, pour faire avancer les droits des femmes : affréter des "bateaux de l'avortement", pour permettre aux femmes d'avoir gratuitement accès à l'IVG même dans les pays où elle est illégale. Selon la législation internationale, les lois d'un pays ne s'appliquent en effet que dans ses eaux territoriales. Une fois dans les eaux internationales, c'est la loi néerlandaise qui s'applique sur les bateaux affrétés par Women on Waves, permettant aux femmes d'avoir un avortement médicamenteux jusqu'à 10 semaines de grossesse.
Une IVG médicamenteuse en pleine mer
L'ONG a mené six missions en bateau depuis sa création : en Irlande, en Pologne, au Portugal, en Espagne, au Maroc et, cette année, au Guatemala. "Nous travaillons avec des associations locales de défense des droits des femmes, explique Rebecca Gomperts à franceinfo. Lorsqu'elles sentent que le pays est à un tournant, qu'il y a une opportunité de saisir l'opinion publique pour faire changer la loi sur l'avortement, elles nous contactent."
Une fois sur place, une conférence de presse est organisée pour informer les femmes de la possibilité d'avoir accès gratuitement à une IVG. Celles qui le souhaitent peuvent contacter l'ONG grâce à une hotline et prendre rendez-vous pour venir sur le bateau. "Une fois à bord, ces femmes discutent avec un médecin, sont auscultées et passent une échographie, explique Rebecca Gomberts. Le bateau rejoint ensuite les eaux internationales, ce qui prend deux à trois heures." Une fois sorties des eaux territoriales, les femmes peuvent prendre les médicaments nécessaires à l'IVG, avant de regagner la terre ferme. "Cette méthode est efficace et ne présente que peu de risques de complication", ajoute la présidente de l'ONG.
Bateau de l'avortement contre navires de guerre
Mais les missions de Women on Waves sont généralement interrompues par les autorités locales avant même de commencer. Sur six campagnes menées entre 2001 et 2017, seules deux ont conduit à des IVG. "Nous avons permis à dix Polonaises, en 2003, et à quatre Espagnoles, en 2008, d'avorter", précise Rebecca Gomperts. Dans les autres pays, les autorités locales ont systématiquement empêché l'ONG d'intervenir.
Le voilier Adelaide, qui devait mener une mission au Guatemala à partir du 22 février, a ainsi été expulsé par la marine nationale vendredi 24 février, rapporte Le Monde. Il comptait accueillir jusqu'à cinq femmes par jour, dans un pays qui n'autorise les avortements qu'en cas de risque pour la vie de la mère. "Le gouvernement a accusé notre équipe d'atteinte à la sécurité nationale et de troubles publics", détaille la présidente de Women on Waves.
L'ONG a fait face à des situations similaires au Maroc, en 2012, et au Portugal, en 2004. "Le gouvernement portugais a fait venir des navires de guerre pour empêcher que notre bateau n'entre au port, alors qu'il disposait de toutes les autorisations légales", se remémore Rebecca Gomperts. Ces tensions servent toutefois la mission de l'association. "L'un des objectifs de ces campagnes est de provoquer une réaction des gouvernements", confie la Néerlandaise.
L'avortement est souvent considéré comme une question féminine et non une priorité. Mais lorsque les gouvernements font intervenir l'armée pour bloquer un de nos bateaux, les gens se rendent compte que l'IVG est une question de droits fondamentaux et de démocratie.
Rebecca Gompertsà franceinfo
"Faire changer les lois"
Les bateaux de l'avortement sont en effet loin d'être une solution à la question du droit à l'IVG. "Quelque 65 000 avortements clandestins sont réalisés chaque année au Guatemala : aider cinq femmes par jour pendant une mission d'une semaine n'aurait rien changé à la situation", souligne Rebecca Romperts. Une soixantaine de Guatémaltèques avaient contacté Women on Waves pour des grossesses non-désirées. "Nous ne pouvions pas les accueillir sur l'Adelaïde, mais nous leur avons expliqué qu'elles avaient accès à un médicament pour avorter elles-mêmes de la façon la plus sure possible."
Une large part de l'action de l'ONG consiste ainsi à informer les femmes sur les solutions dont elles disposent. "Nous répondons à environ 10 000 mails par mois et nous avons aidé à la création de hotlines sur l'IVG dans une quinzaine de pays, poursuit la présidente de Women on Waves. Beaucoup de femmes qui nous contactent pour des grossesses non-désirées décident ensuite de militer activement pour la légalisation de l'IVG."
Aider quelques femmes à contourner la loi pour avorter, en informer d'autres sur les médicaments disponibles, attirer l'attention de l'opinion publique sur la question de l'IVG... Women on Waves affirme que leurs actions sont tournées vers le même but : "Faire changer les lois". L'ONG estime ainsi que la polémique survenue au Portugal en 2004 a largement influencé la légalisation de l'IVG après un référendum organisé par le nouveau gouvernement, en 2007. "Le bateau de l'avortement est un catalyseur pour mobiliser l'opinion publique et peser sur les gouvernements, insiste la présidente de Women on Waves. C'est un travail au long-court, mais les résultats sont là."
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