Ils viennent s'inscrire à la banque alimentaire : "Je me disais que je n’en étais pas encore à ce point. En fait, si"
Retour de l'hiver et début des campagnes d'aide alimentaire. Qui sont les nouveaux bénéficiaires ? Francetv info a rencontré certains d’entre eux.
"Je repoussais l’échéance, j’essayais de me débrouiller. Mais à force d’ouvrir le frigo toujours vide et de manger des pâtes à l’eau toute la semaine, il faut prendre sur soi et y aller." C’est l’assistante sociale qui a conseillé à Luc, 44 ans, de se rendre au Secours populaire de sa ville, Versailles (Yvelines). Au chômage depuis deux ans, il est arrivé en fin de droits en septembre 2013 et ne touche plus que 485 euros par mois d'Allocation spécifique de solidarité (ASS).
Il se souvient de son premier jour à l’association. "Je n'étais pas fier, je me suis mis dans un coin, j’ai attendu qu’on m’appelle. Ce n’est pas évident, c'est une remise en question." A ce moment-là, Luc a accumulé quatre mois de retard de loyer. En mars 2014, il quitte le Secours populaire pour l’AMD, l'Aide matérielle aux personnes en difficulté, une association locale dont il a entendu parler par "une mamie de [son] quartier". "Il y a des produits frais, le panier de nourriture coûte trois euros par adulte et je mange pour la semaine sans problème. On trouve aussi des vêtements bon marché", décrit-il, avant de regretter : "Mais pour les hommes, il n’y a pas grand-chose."
Avant, Luc était chef cuisinier puis "simple cuisinier" dans la restauration collective. Aujourd'hui, il aimerait se reconvertir parce qu'"il n’y a plus de débouchés pour [lui]". Luc postule partout, il espère récupérer des droits au chômage pour "vivre à peu près". Pour l’instant, il n’a reçu que des réponses négatives. "Maintenant, même pour devenir caissier, il faut avoir un bac +2 voire un bac +3", déplore-t-il.
La descente aux enfers après un divorce
En attendant, il aide l’association deux jours par semaine en tant que bénévole "parce qu’on [lui] a rendu service", explique-t-il. "C’est une façon de rendre ce qu’on nous a donné", confirme Marie, elle aussi bénévole et bénéficiaire de l’association. Au chômage depuis un an, Marie avait du temps et il lui a semblé évident de s’impliquer à son tour. "On distribue de la nourriture, mais il n’y a pas que ça. Les gens arrivent avec leurs soucis et ils repartent avec le sourire." Une activité qui lui a permis de recréer un cercle de connaissances alors qu’elle venait de déménager.
Marie a connu la "descente aux enfers". "Ça bascule très vite", confie-t-elle. Tout commence il y a deux ans, lorsqu’elle se sépare de son mari. Les deux époux avaient monté ensemble leur compagnie de théâtre. Elle se retrouve alors sans travail du jour au lendemain, avec ses deux enfants à charge. "J’avais une bonne situation avant le divorce, affirme-t-elle. J’habitais dans un appartement confortable à Versailles, je suis passée au logement HLM, ça change beaucoup."
Plus envie de demander de l'aide à ses proches
Marie raconte sa difficulté à retrouver un emploi dans un secteur difficile. "D’autant plus que j’ai 52 ans", ajoute-t-elle, lucide. Du coup, elle enchaîne les CDD et les missions en intérim, mais cela ne suffit pas. Son mari verse aussi une petite pension alimentaire. Pas assez. Elle a demandé de l'aide à sa fille aînée, âgée de 25 ans, ainsi qu’à une amie proche à un moment où elle se sentait prise à la gorge. "Je n’avais aucune envie de demander à nouveau", argumente-t-elle.
En mai dernier, elle anticipe la perte de ses droits d’un mois et se rend chez l’assistante sociale, suivant les conseils de ses voisins. "Je sentais que la situation allait encore se dégrader, raconte Marie. On a sa fierté. Avant, je me disais que je n’en étais pas encore à ce point. En fait, si."
Des étudiants et des mères célibataires
D’autres bénéficiaires connaissent des situations encore plus compliquées. "A l’association, on accueille des gens qui se trouvent vraiment dans la misère, raconte Luc. Travailler là-bas m’a aidé à ouvrir les yeux." L’ancien cuisinier témoigne du nombre de plus en plus important d’étudiants qui se rendent à la distribution de l’association.
Avec sa trentaine de bénévoles, l’AMD est une petite association et le public n’y est pas forcément le même que dans les plus grandes structures. "C’est vrai qu’on a beaucoup entendu parler du nombre croissant de bénéficiaires étudiants, mais ici on en voit très peu", affirme Jeannine, qui aide au centre des Restos du cœur dans le 18e arrondissement de Paris. Les Restos du cœur comptent 1 900 bénévoles dans la capitale, selon le site de l’association, et accueillent près de 20 000 personnes. La population est sensiblement la même que les années précédentes, d'après les bénévoles du centre : "On a toujours beaucoup de femmes seules avec enfants."
C’est le cas de Baya, 32 ans, maman d’un petit garçon de 8 ans. Coiffeuse deux heures par jour depuis cinq ans, elle n’a pas droit au chômage et vit essentiellement du RSA. C’est la première fois qu’elle se rend à la distribution des Restos du cœur. Elle a dû arrêter de travailler totalement il y a sept mois, au début de sa seconde grossesse. Cet enfant, elle l’élèvera seule puisqu'elle n’a plus de contact direct avec le père.
Besoin d'une reconversion professionnelle
Dans quelques mois, Baya aimerait se reconvertir comme assistante maternelle. Le milieu de la petite enfance, elle connaît bien. "Lorsqu'on est coiffeuse, les horaires ne sont pas pratiques. On termine à 19 heures et je dois chercher mon fils à l’école à 18 heures au plus tard." Pour suivre une formation, les portes sont difficiles à ouvrir. "On est motivé mais on ne nous donne pas de coup de pouce, s'agace Baya. Même avec Pôle emploi, je ne trouve rien."
Mais Baya n’abandonne pas facilement la partie. Si, aujourd’hui, elle habite dans son propre appartement, pendant huit ans, elle a logé à l'hôtel. Faute d'obtenir une place en HLM, elle s'est tournée plusieurs fois vers la justice et participe encore activement aux manifestations aux côtés de l'association Droit au logement.
Distribution de couches et de cadeaux pour Noël
En attendant, elle doit payer 580 euros de loyer chaque mois. Pour l’aider, ses parents et ses frères lui envoient de temps en temps de l’argent depuis l’Algérie. Parfois, c’est l’assistante sociale qui la dépanne de 200 euros. "De quoi faire les courses", dit-elle. En s'inscrivant à l'association, elle espère venir une fois par semaine, pour soulager un peu ses dépenses. Et puis elle pense à ses enfants. "Ici, ils donnent des couches, du lait pour bébé, des petits pots et même des jouets pour Noël."
De son côté, Mariam, qui patiente aussi dans la file pour la distribution, admet avoir beaucoup de difficultés pour manger. Malienne, âgée de 31 ans, elle n’a pas de papiers. Du fait de sa situation, il est compliqué pour elle d’obtenir l’aide d’une assistante sociale. "Ce matin, ni elle ni son fils n’avaient rien avalé", raconte la bénévole qui vient de l’inscrire. La jeune femme parle français mais a encore quelques difficultés. Elle explique que ce sont des amis qui l’aident, parfois.
Les bénévoles obligés de "se blinder"
Arrivée avec son fils de 20 mois en France en janvier 2014, en se débrouillant seule, elle a fui son mari resté au Mali et auquel elle raconte avoir été mariée de force trois ans plus tôt. A Paris, elle a retrouvé son oncle et sa grand-tante qui l’ont hébergée plusieurs mois. Lorsqu’ils ont appris en octobre qu’elle était enceinte, ils l’ont mise à la porte et lui ont parlé des Restos du cœur. Depuis, elle vit à l’hôtel. Si elle est venue aujourd'hui, c'est parce qu'elle n'a plus rien d'autre.
Au Mali, Mariam était documentaliste. Elle raconte que son troisième fils, âgé de 11 ans, est resté au pays. Sa voix se casse au moment où elle avoue ne pas avoir d’argent pour envisager aujourd’hui de le voir d’une façon ou d’une autre. On lui a dit que l'association allait l'aider, elle ne semble y croire qu'à moitié. Une bénévole la regarde s’en aller. "Il faut se blinder pour ne pas être trop atteint par les histoires que l’on entend ici..."
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