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#SciencesPorcs : une étudiante victime de blagues sexistes dénonce la loi du silence à Sciences Po Aix

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Sciences Po Aix, la loi du silence ?
Sciences Po Aix, la loi du silence ? Sciences Po Aix, la loi du silence ? (MYRIAM BOUNAFAA / FRANCEINFO)
Article rédigé par franceinfo - Myriam Bounafaa, Adélaïde Malavaud
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Son témoignage met en cause la réponse de la direction de Sciences Po Aix sur des faits de harcèlement. Interrogé par franceinfo, le directeur de l'établissement se défend. 

Depuis une dizaine de jours, sous le hashtag #SciencesPorcs, les mêmes mots reviennent sur la page Instagram de Sciences Po Aix : "violences sexuelles", "harcèlement" et aussi "omerta" et "loi du silence". Le directeur de l'établissement, Rostane Mehdi se dit "renversé par cette situation". En 2020, la direction que Sciences Po Aix a été saisie de "trois cas", mais en découvre "des dizaines et des dizaines sur les réseaux sociaux". Quant aux messages qui l'accusent d'imposer la loi du silence, Rostane Mehdi s'en défend.

C'est pourtant ce que dénonce Julie*, étudiante en 5e année. En mars 2019, après une rupture, elle découvre sur Facebook que son ex-petit ami a fait floquer, sur un maillot de basket, un jeu de mot à caractère sexuel détournant le nom de famille de l'étudiante. "C'est une tradition à Sciences Po Aix, qui consiste à faire un jeu de mots sur une fille qu'on a chopée, avec qui on a couché, avec ou sans son consentement", explique Julie à franceinfo. "Ce surnom est choisi avec toute l'équipe de basket. Ça veut dire qu'ils se réunissent, racontent des histoires qu'ils jugent drôles et ils se concertent pour trouver un surnom", poursuit l'étudiante.

Une "obligation de confidentialité" illégale

Sur les réseaux sociaux, Julie est victime de blagues sexistes et graveleuses. Malgré les demandes répétées de la jeune femme, le jeune homme, devenu entre temps "chargé de TD, donc professeur", porte le maillot en public et publie photos et commentaires dégradants sur Facebook. "Il a joué avec ce tee-shirt et sa visibilité de prof dans un événement de 2 500 personnes, dénonce Julie. Je me suis vraiment sentie humiliée et je me suis dit qu'il faisait ça dans l'impunité la plus totale. Je devais alerter". 

En octobre 2020, Julie saisit la cellule d'écoute de Sciences Po Aix. Deux mois plus tard, elle reçoit un courrier signé du directeur de l'établissement, et que franceinfo a pu consulter : le jeune homme, qui n'a pas contesté les faits, est tenu de lui rendre le tee-shirt, d'effacer tous les commentaires sur les réseaux sociaux et de rédiger une lettre d'excuses. Son contrat avec Sciences Po Aix ne sera en outre pas renouvelé. Ce qui émeut toutefois la jeune femme, c'est une phrase glissée en bas du courrier, expliquant que "toutes les parties concernées sont tenues au respect d'une obligation de confidentialité couvrant l'ensemble des éléments du dossier".

Cette requête n'est pas légale, estime Louis le Foyer de Costil, avocat en droit public et en droit de l'éducation. "Ce n'est pas à l'université de décréter que des faits commis dans l'établissement sont confidentiels", précise-t-il. "Par défaut, ce n'est pas confidentiel, la parole des étudiants est libre (…). Ils ont le droit de dire la vérité, quand bien même c'est préjudiciable à l'image de l'institution." Interrogé sur cette formule, le chef d'établissement, Rostane Mehdi, botte en touche : "C'est une formule que nous devons probablement faire évoluer." 

Aucune procédure disciplinaire en cinq ans

Quant au non-renouvellement du contrat du chargé de TD, il s'apparente à une "non-sanction", pour l'avocat Louis le Foyer de Costil : "Il ne sera plus dans l'école, mais d'un point de vue juridique, ils ne l'ont pas sanctionné." Pour sanctionner le jeune homme, il aurait fallu engager une procédure disciplinaire.

"Une procédure disciplinaire c'est long", se défend Rostane Mehdi. "La commission de discipline va rendre une décision qui peut nous paraître ajustée, paraître ajustée à la victime, mais pas à la personne qui en est l'objet, explique-t-il. A l'inverse, la peine pourrait être trop légère, alors on pourrait engager une procédure encore plus longue d'appels, de cassation. Si bien que la situation ne trouvera une solution que des années plus tard." Sur les 5 dernières années, la direction de Science Po Aix n'a d'ailleurs engagé aucune procédure disciplinaire ni saisi le procureur de la République pour des cas de violences sexuelles ou sexistes.

Pour rétablir la confiance, Science Po Aix a décidé de renforcer la cellule d'écoute. Deux cadres et deux professeurs viendront renforcer le travail jusque-là mené par une seule juriste. De son côté, la direction enjoint les élèves à faire connaître leur situation à l'administration et affiche sa bonne volonté. "Une institution qui ne serait préoccupée que par cacher ce genre de chose serait une institution que je ne souhaiterais pas diriger", conclut Rostane Mehdi.

*Le prénom a été modifié à la demande l'intéressée.

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